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Arts

Jérome Bosch,Vision de l’enfer et quête de la lumière divine

L’œuvre de Jérôme Bosch terrifie par ses visions infernales de l’au-delà. L’espérance n’en est pas moins présente dans un idéal de pureté.

Jheronimus van Aken (1450-1516) est né à Bois-le-Duc (Bosch en néerlandais, d’où son pseudonyme), dans les actuels Pays-Bas. Très tôt, il adhéra à l’austère société Notre-Dame où il eut la charge de mettre en scène les fêtes religieuses, ce qui explique le caractère théâtral de son œuvre. Influencé par l’art des miniatures, l’artiste se sentait sollicité par la moralité. Dieu inflige un châtiment en se servant du diable. Le contexte sociologique de son temps, époque où régnaient violences, guerres, superstitions, sorcellerie, s’y prêtait. Il fallait sensibiliser les esprits.

Condamnation des sens

Le Jardin des délices (Madrid, Prado, 1515) prend place au centre d’un triptyque comprenant le paradis terrestre et l’enfer. Est montrée une volonté effrénée de sacrifier aux plaisirs terrestres. Partout, hommes et femmes sont représentés de manière abstraite et désincarnée.

Trois plans horizontaux divisent le tableau.
Sur la partie haute s’étend le lac d’impudeur. Symbole de stagnation, on y voit des hommes se baignant. Des eaux s’élèvent d’inquiétantes constructions, les entreprises humaines non éclairées par la lumière divine, l’adultère.
Au-dessous, des cavaliers chevauchant des créatures monstrueuses sont entraînés dans une ronde infernale autour d’un bassin où se baignent des femmes, les plaisirs de Sodome et Gomorrhe. C’est l’air malsain qu’apporte la musique, condamnée par l’artiste dans son volet sur l’enfer.
La partie inférieure du panneau est véritablement chaotique ; est présenté le désordre de l’âme. Les humains sont assemblés par petits groupes, les uns sous une coquille d’œuf, d’autres sous un arbre… L’idée d’enfermement prédomine car ils sont prisonniers de leur vice. Le fantastique s’exprime par la confusion des règnes, humain, minéral, végétal, animal.

Les associations les plus incohérentes obligent le spectateur à considérer l’univers sous un autre angle. Les valeurs humaines sont remises en question. « Les différences de proportion entre l’homme, l’animal, la plante et l’objet sont abolies […] la taille est subordonnée à la signification » (1). Les hommes sont mêlés aux fruits, chacun image particulière de l’âme. Des oiseaux gigantesques dardent leur regard fixe sur les humains. L’artiste, tentant de mettre en garde l’homme contre sa propre bestialité, rappelle Howard Phillips Lovecraft (1890-1937) (2) pour qui l’évocation des « créatures immondes » menaçant la race humaine n’était qu’une manière de dénoncer la bêtise inhérente à l’homme.
Existe cependant une embellie. En bas, à gauche, un homme et une femme, d’apparence douce et agréable, ont été mis à l’écart en étant isolés dans un halo lumineux.

Lutte entre le bien et le mal

La lutte intérieure est toujours possible, comme le montre Saint Jean-Baptiste dans le désert (Madrid, Museo Lazaro Galdiano, 1489). Saint Jean-Baptiste est celui qui a choisi de quitter le monde pour se retirer dans le désert. En lui s’exprime le conflit entre les séductions de la société et l’ascétisme de la nature. Les forces s’opposant au sein de celle-ci sont l’image des déchirements connus par son âme.
Il n’est pas représenté debout annonçant le Messie, mais couché en train de penser ! Son corps est divisé en deux par une plante, une scission illustrant son combat intérieur, la lutte, dont rend compte le paysage, entre les forces de lumière et les puissances démoniaques. Noire et épineuse, les ondulations du végétal évoquent les tourments du saint. Ses fruits, peut-être vénéneux, ont un caractère inquiétant.
Cette image de mort est compensée par le sourire de la nature, les collines au caractère apaisant. Un oiseau mange les graines de la plante ; tout est combat et la lutte pour faire triompher le bien n’est jamais terminée. Dans cette aventure sans fin, le visage du saint est optimiste et confiant.

Acheminement vers l’absolu

Tant est grande la fascination de Bosch pour l’enfer, que l’on ne peut qu’être surpris de l’idéalisation ayant marqué sa représentation du paradis, ainsi dans ses Visions de l’au-delà (Venise, Gallerie dell’Academia, 1515), cycle de quatre tableaux montrant les chemins vers l’enfer et le paradis.

Le peintre a distingué deux paradis. Le paradis terrestre, celui que l’on peut retrouver si l’on est bon et pur, reste un paradis à l’échelle humaine. D’une tout autre nature est le paradis céleste, Montée des bienheureux vers l’empyrée (4e panneau).
Un artiste ayant dépeint la nature humaine sous des dehors aussi sombres ne pouvait concevoir l’accès des âmes au paradis qu’avec la plus grande rigueur. Quelques élus seulement s’élèvent lentement vers le séjour divin. Subtil, le peintre de Bois-le-Duc a créé, non des cercles concentriques et bien délimités, simplement un vortex bleu absorbant, un tunnel de lumière conduisant au paradis représenté par un mystérieux disque blanc.

C’est l’image du voyage personnel entrepris par l’individu ici-bas. Le rêve du paradis conduit les actions des vivants. Cette peinture de Jérôme Bosch propose une quête mystique, un acheminement vers l’individuation personnelle dont parle Carl Gustav Jung (1875-1961). Le cercle, dans lequel se fondent les âmes, est le Soi, Dieu présent en l’âme humaine, l’espace dans lequel se meut la divinité, à l’instar des mandalas tibétains, des rosaces des cathédrales. Il « souligne toujours l’aspect le plus important de la vie : son unité et sa totalité » (3). L’ange accompagnant la créature signifie que la relation avec le divin doit sans arrêt motiver la quête de celle-ci, laquelle ne connaîtra son plein accomplissement qu’une fois la vie achevée.

Jérôme Bosch est parvenu à rendre l’informe éblouissant, le difforme gracieux, la laideur noble. Le christianisme n’est pas seulement la vision de l’enfer. Il est aussi la promesse de cette lumière, de ce vortex qui conduit à la divinité.

(1) Stefan Fischer, Bosch l’œuvre complet, Éditions Taschen, 2014, page 110
(2) Écrivain américain connu pour ses récits fantastiques de science-fiction et d’horreur
(3) Aniél Jaffé, Le symbolisme dans les arts plastiques. In Carl Gustav Jung, L’homme et ses symboles, Éditions Robert Laffont, 1964, page 240

À lire
Jacques Combes, Jérôme Bosch, Éditions Pierre Tisné, 1946
Roger van Schoute et Monique Verboomen, Jérôme Bosch, Éditions La Renaissance du livre, 2007
Stefan Fischer, Bosch l’œuvre complet, Éditions Taschen, 2014
Till-Holger Borchert, Bosch par le détail, Éditions Hazan, 2020

par Didier LAFARGUE
Libraire à Bordeaux
© Nouvelle Acropole
La revue Acropolis est le journal d’information de Nouvelle Acropole

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