Philosophie

La concentration juste

Dans l’exercice de la discipline mentale de « L’Octuple sentier » de l’enseignement du bouddhisme, après l’attention juste, nous sommes conduits à nous exercer à la concentration juste.

Un temps de pause avec un vieux conte qui enseigne l’art de la concentration … Le maître de thé et le ronin.

Pour être admis au palais, un maître de thé du seigneur de Tosa dut revêtir la tenue des samouraïs et donc, porter leur marque distinctive, c’est-à-dire deux sabres.
Alors qu’il traversait un pont, il fut soudain bousculé par un ronin, (1) l’un de ces guerriers errants, farouches brigands. Celui-là avait l’air d’être de la pire espèce. Il déclara, froidement :
« Ainsi, vous êtes un samouraï de Tosa. Je n’apprécie pas beaucoup d’être bousculé de la sorte et j’aimerais que nous réglions ce petit différend, sabre en main. »
Désemparé, le maître de thé avoua sa vérité :
« Je ne suis pas un vrai samouraï, malgré les apparences. Je ne suis qu’un humble maître de thé qui ne connaît absolument rien au maniement du sabre. »
Le ronin ne voulut pas croire à son histoire. D’autant plus que son véritable but était, en fait, de tirer quelque argent de cette victime dont il avait pressenti la nature peu courageuse. Il resta inflexible et haussa le ton pour impressionner son interlocuteur. Un attroupement ne tarda pas à se former autour des deux hommes. Profitant de l’aubaine, le ronin menaça de déclarer publiquement qu’un samouraï de Tosa était lâche, qu’il avait peur de se battre.
Voyant la déraison du ronin, et voulant sauver l’honneur de son seigneur, le maître de thé se résigna à mourir. Il accepta le principe d’un combat.

Mais, ne voulant pas se laisser tuer passivement, il eut une idée. Se rappelant qu’il était passé quelques minutes plus tôt devant une école de sabre, il pensa qu’il pourrait y apprendre les rudiments du combat pour au moins apprendre à tenir un sabre et affronter honorablement une mort inévitable. Il expliqua donc au ronin : « Étant en mission pour mon seigneur, je dois d’abord m’acquitter de mon devoir. Cela risque de prendre encore deux bonnes heures. Auriez-vous la patience de m’attendre ici ? »
Respectant chevaleresquement les règles du Bushido, le ronin accorda le délai.

Notre maître de thé se précipita à l’école qu’il avait remarquée et il demanda à voir le maître de sabre de toute urgence. Le portier était peu disposé à laisser entrer cet étrange visiteur qui n’avait aucune lettre de recommandation. Mais, touché par l’expression tourmentée de l’homme, il décida finalement de l’introduire auprès du maître. Celui-ci écouta avec beaucoup d’intérêt son visiteur lui raconter sa mésaventure et son désir de mourir en samouraï.
– « Voilà un cas remarquable, unique même », déclara le maître de sabre.
– « Ce n’est pas le moment de plaisanter », répliqua le visiteur.
– « Oh, mais pas du tout, je vous assure. Vous êtes vraiment une exception ».
D’habitude, les élèves qui viennent me voir veulent apprendre comment manier un sabre et comment vaincre. Vous, vous voulez que l’on vous enseigne l’Art de mourir… Mais avant, pourriez-vous me servir une tasse de thé puisque vous êtes maître en cet art incomparable ? »
Le visiteur ne se fit pas prier car c’était certainement pour lui la dernière occasion de pratiquer son art. Paraissant tout oublier de son tragique destin, il prépara soigneusement le thé puis le servit avec un calme surprenant. Il exécutait chacun de ses gestes comme si rien d’autre n’avait d’importance en cet instant.
L’ayant observé attentivement pendant toute la cérémonie, le maître de sabre fut profondément impressionné par le degré de concentration de son visiteur.
– « Excellent, s’exclama-t-il, excellent ! Le niveau de maîtrise de soi que vous avez atteint en pratiquant votre art est suffisant pour vous conduire dignement devant n’importe quel samouraï. Vous avez tout ce qu’il faut pour mourir honorablement, ne vous inquiétez pas. Écoutez seulement ces quelques conseils. Dès que vous apercevrez votre ronin, pensez avant tout que vous allez servir du thé à un ami. Après l’avoir salué poliment, remerciez-le pour le délai accordé. Pliez ensuite délicatement votre veste et déposez-la au sol, avec votre éventail dessus, tout comme vous faites pour la cérémonie du thé. Attachez le bandeau de résolution autour de votre tête, relevez vos manches puis, contentez-vous de poser la main sur la garde de votre sabre, sans même le dégainer, tout en fixant votre adversaire avec la même parfaite concentration que celle qui fût la vôtre en me servant le thé ».

Le visiteur remercia le maître de sabre pour ses précieux conseils et il retourna à l’heure dite près du pont où l’attendait le ronin. Suivant les instructions qu’il avait reçues, le maître de thé se prépara au combat comme s’il était en train d’offrir une tasse de thé à un hôte. Quand il posa la main sur la garde de son sabre en fixant le visage de son adversaire avec une totale concentration, le ronin n’en croyait pas ses yeux et son visage prit le masque de la terreur !
Était-ce bien le même homme qui se trouvait en face de lui ? Assurément il s’était trompé sur la nature profonde de son adversaire. N’y tenant plus, il tourna les talons et s’enfuit en courant.
Notre maître de thé tout perplexe resta un long moment interrogatif avant de s’en retourner voir le maître de sabre pour lui confier son aventure et sa surprise face à la fuite du samouraï.
Le grand maître du sabre lui répondit :
« Vous êtes devenu disciple de l’art du sabre. Devant votre parfaite concentration, le samouraï a vu sa mort dans vos yeux et a préféré abandonner le combat ».
Par la concentration tout en chacun peut parvenir à la profondeur et à l’élévation et se libérer de ses peurs. Comme le maître de sabre, faisons toute chose comme un chemin vers l’intérieur de soi.

Exercice philosophique :
Concentration sur la marche lente : 10 mn
Marcher lentement, très lentement … en prenant pleine conscience de son mouvement, à travers ses muscles, ses articulations, les sensations de la plante de ses pieds, retrouver le contact à la terre et l’équilibre perdu dans la précipitation de nos gestes au quotidien.

Écoute musicale pour votre méditation :
Pergolesi – Stabat mater (avec Philippe Jaroussky et Emöke Barath)
https://www.youtube.com/watch?v=P65oBJBdSXM

(1) Samouraï indépendant qui n’a pas de maître
Catherine PEYTHIEU
Formatrice en philosophie à Nouvelle Acropole 
© Nouvelle Acropole
La revue Acropolis est le journal d’information de Nouvelle Acropole

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