Philosophie

Le suprématisme des Lumières

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Toutes les époques et philosophies, malgré leurs bonnes intentions, ont un côté obscur. Bien qu’actuellement, en Occident, on l’ait oublié, le siècle des Lumières a lui aussi produit des effets sombres dont les conséquences nous concernent aujourd’hui.

Nous essaierons de comprendre comment les Lumières ont créé la pensée raciste contemporaine et pourquoi nous ne devrions pas l’ignorer.

Les Lumières à la rescousse

De nos jours, dans certains pays, on se trouve confronté à l’obscurantisme naissant, à la fragmentation de la pensée, au nationalisme, au relativisme et aux idéologies diversitaires. Pour faire face à cela, ce mouvement intellectuel des XVIIe et XVIIIe siècles, que l’on a appelé Lumières, apparaît comme une réponse aux forces du « chaos » et du postmodernisme. C’est en effet une réponse pour ceux qui sont attachés à l’idéal du progrès indéfini, au rationalisme mécanique et au libéralisme classique.

Le paradoxe des Lumières

Mais ces nouveaux « éclairés » ne prennent pas en compte le cœur du paradoxe qui entoure la philosophie des Lumières. Ce paradoxe est celui d’une philosophie qui encourage l’humanisme, mais dont les idées de liberté humaine et de droits individuels – concepts auxquels nous ne pouvons manquer d’adhérer – ont pris racine dans des nations qui ont soumis d’autres êtres humains à l’esclavage et qui ont produit l’extermination de nombreuses populations indigènes.  

Liberté contre esclavage

Comme le note le journaliste historique Jamelle Bouie, « la domination coloniale et l’expropriation fonctionnaient de concert avec la propagation de la liberté, et le libéralisme émergeait parallèlement à nos notions modernes de race et de racisme » (1).

Il souligne ainsi la contradiction fondamentale qui a surgit entre la propagation de la liberté et le maintien de l’esclavage. Nous devons comprendre ce que cela signifie pour notre compréhension du monde d’aujourd’hui. Le dénigrement, la ségrégation et l’esclavage ne sont pas nouveaux dans l’histoire de l’humanité, mais ceux qui les ont pratiqués jadis n’aspiraient pas à promouvoir la liberté et les améliorations pour l’ensemble de la société ou à défendre les droits de l’homme et l’égalité devant la loi pour tous.

Civilisation et sauvagerie

La dichotomie entre civilisation et sauvagerie caractérise l’expansion occidentale hors d’Europe. Basée sur les idées des Lumières elle se justifie en apportant la « civilisation » aux peuples ignorants et sauvages, c’est-à-dire à ceux qui n’étaient pas comme eux ! Car l’Europe, héritière des Lumières, s’est centrée sur elle-même sans chercher à comprendre les peuples qu’elle rencontrait.

La pensée scientifique des Lumières a créé l’idéologie d’un « code couleur, blanc supérieur au noir »

Ordre métaphysique ou classification expérimentale ?

La pensée scientifique des Lumières a créé une taxonomie (classification) (2) raciale et l’idéologie d’un « code couleur, blanc supérieur au noir » explique l’historien Ivan Hannaford (3). Il s’agit de « laisser de côté l’ordre métaphysique et théologique des choses, au profit d’une description et d’une classification plus logiques qui ordonneraient l’humanité selon des critères physiologiques et mentaux basés sur des faits observables et des preuves expérimentales. »

Locke, le père de la démocratie moderne

Le philosophe empiriste anglais John Locke (1632-1704) a précédé le philosophe idéaliste Kant dans sa défense de l’esclavage ; et, dans le même temps, il faisait la promotion de la défense de la liberté politique et économique. Il est considéré comme le père de la démocratie moderne. Locke accorde aux propriétaires « un pouvoir et une autorité absolus » sur leurs esclaves. L’opposition de Locke à « l’esclavage » fait référence à son opposition à la domination politique d’un monarque absolu comme celle des Cours européennes, mais pas à la traite négrière ! C’est ainsi que finalement, ces notions d’infériorité ont pris racine dans notre société.

La vérité des Lumières

Cependant, certains défenseurs autoproclamés des idéaux des Lumières ont tenté de nier et de ridiculiser l’idée d’un lien entre les Lumières et nos conceptions modernes de la race et de la hiérarchie raciale, comme si la recherche sur le sujet n’existait pas. Ce n’est pas seulement regrettable, c’est ironique : c’est une trahison des principes supérieurs des Lumières et de leur glorification des faits, de l’observation, de la raison et de la délibération. Et c’est aussi dangereux.

Comme le souligne Jamelle Bouie, affronter le paradoxe des Lumières, c’est prendre au sérieux ses propres valeurs. Le rejeter, c’est préférer l’hagiographie à la vérité.

(1) https://www.slate.fr/story/163550/prendre-serieux-cote-obscur-philosophes-lumieres-racisme-kant-locke
(2) Carl von Linné a conçu notre taxonomie, c’est-à-dire la classification (encore utilisée aujourd’hui) des espèces en catégories, ordres, familles. Elle repose sur une conception fixe et territoriale de la vie où chaque être est défini par son appartenance à une espèce, elle-même enracinée dans un environnement, un lieu
(3) dans Race : the history of an idea in the West
Lecture conseillée :
Sonia Shah, Migrations, grandeur et misère de la vie en mouvement, traduit par Julien Besse, Éditions Ecosociété, 2022, 370 pages, 22 €
Bertrand Vergely, Obscures Lumières, Collection Idées, 2018, 224 pages, 18 €
Fernand SCHWARZ
Fondateur de Nouvelle Acropole en France
© Nouvelle Acropole 
La revue Acropolis est le journal d’information de Nouvelle Acropole

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