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Rencontre avec Jacques Castermane, 2e partie : La voie du Zen, voie de l’expérience                                       

À l’occasion des Journées mondiales de la philosophie en 2024, nous avons rencontré  Jacques Castermane qui a longuement partagé avec nous son expérience de la voie du zen (1).

Ce second article est extrait de la conférence que Jacques Castermane, pratiquant de zazen depuis de nombreuses années, a animé à l’école de philosophie Nouvelle Acropole Paris 11. Il y explique le sens de la pratique de zazen : concilier les contraires et quitter l’égocentrisme.

Revue Acropolis : Le premier mot sur le chemin, c’est un OUI. Pouvez-vous nous en dire plus ?

Jacques Castermane :
« OUI à ce qui est !». On retrouve cette invite chez Dürckheim (2), chez Arnaud Desjardins (3) comme chez son maître Swami Prajnanpad (4). Pourquoi ? C’est une question de bon sens. Vous pensez peut-être que c’est du fatalisme. Pas du tout. Au réveil vous ouvrez les volets et la première chose que voyez : Il pleut ! Réaction à la fois mentale et affective : » Quel dommage, je me réjouissais de faire une promenade sous un ciel ensoleillé ». Étant en chemin ou non, une autre attitude s’impose. Il pleut.
OUI à ce qui est pour la simple et bonne raison que cela est. Ce Oui n’est pas du fatalisme. Confronté au réel vous pouvez maintenir votre désir de vous promener et, comme vous êtes astucieux, vous le ferez, enveloppé dans un imperméable et muni d’un parapluie.
J’ai mal aux dents, vraiment mal. OUI à ce qui est. Pourquoi ? parce que cela est. À quoi bon laisser paraître que tout va bien ?
André Comte-Sponville, qui est souvent venu au Centre pour proposer des leçons de philosophie disait : « Je préfère une vraie tristesse à une fausse joie ».
Étant en chemin, il n’est pas question de se mentir, de faire semblant, mais d’affronter la vérité et de l’assumer. C’est l’occasion de découvrir que quoi que ce soit qui est apparaisse, disparaît plus tôt ou plus tard.

Revue A. : Que voulez-vous dire par « quoi que ce soit qui apparaisse, ce qui apparaît va disparaître » ?

J.C. : Quand on dit OUI à ce qui apparaît, en même temps on dit OUI au fait que cela pourrait disparaître. Quel beau temps. OUI. Ce faisant je suis prêt à dire OUI au mauvais temps. En disant OUI à ce qui est, nous ne sommes plus dans un combat contre le NON. Il s’agit d’associer le oui et le non … les deux, ensemble. Ce que je vis comme étant agréable et ce que je vis comme étant désagréable ; ce que j’aime et ce que je n’aime pas. Les deux ensembles. Ce paradoxe est un fondement de la tradition qu’est le zen.
Je pratique l’exercice appelé zazen. En ce moment J’inspire… OUI. Pourquoi ? Parce que j’inspire. Et voilà qu’en ce moment j’expire… OUI. Pourquoi ? Parce que j’expire. Jusqu’à ce jour où, acceptant de ne plus opposer les contraires, je fais l’expérience que je respire et que Moi (qui peut faire mille et une choses) je n’y suis pour RIEN. Découverte de cette part de moi-même qu’est l’INFAISABLE. Expérience que tout au long de mon existence, je suis soumis à cette action vitale paradoxale qui transcende tout ce que le moi peut faire. Mais qui y prête attention ?
Quelqu’un m’a dit : « Respirer ! Vous en faites une histoire. C’est banal, tous les humains respirent ». Je lui ai répondu : « Si vous trouvez cela banal, arrêtez de respirer. Vous n’allez quand même pas vivre dans la banalité tout le reste de votre vie ! ».

Revue A. : Vous avez parlé de l’ordre. Un jour, je crois, Dürckheim vous a dit, probablement suite à l’une de vos questions, ou à une situation ou à une expérience : « Nous ne pratiquons pas zazen pour nous mettre à l’abri des bombes, nous pratiquons zazen pour voir et pour montrer que là où nous sommes, le monde peut encore être en ordre ».

J.C. : L’ordre. Il s’agit de l’ordre des choses que les Chinois désignent par le sinogramme Tao et les Japonais par le kanji Do. Cette phrase : « Nous ne pratiquons pas zazen pour nous mettre à l’abri des bombes, nous pratiquons zazen pour voir et pour montrer que là où nous sommes, le monde peut encore être en ordre », Dürckheim l’a prononcé en 1972. C’était pendant la guerre du Vietnam. Dans tous les journaux en Allemagne, comme dans la plupart des pays du monde, une photo avait été publiée : celle de cette petite fille brûlée au napalm qui courait nue sur la route. C’était l’une des photos les plus émouvantes qu’on pouvait avoir sous les yeux. Rütte, ce petit village de la Forêt Noire, n’était pas un refuge dans lequel on aurait pu se croire à l’écart de ce qui se passe dans le monde. Nous avions tous vu cette photo.
Graf Dürckheim introduisait toujours la pratique de zazen avec quelques mots. Et c’est cette fois-là, lorsque nous commencions la pratique de l’assise en silence il nous a dit : « Nous ne pratiquons pas zazen pour nous mettre à l’abri des bombes. Nous pratiquons zazen pour faire l’expérience et témoigner que là où nous sommes, le monde peut encore être en ordre ».
D’une certaine manière, ces mots légitimaient l’exercice que nous allions faire, sans avoir l’impression de fuir les drames de l’existence auxquels chacun plus tôt ou plus tard peut être confronté.
Ce que dit Graf Dürckheim, concerne le collectif humain et la singularité qu’est chacun (les deux, ensemble). Face à huit milliards d’êtres humains, il serait prétentieux d’imaginer ou d’espérer que, parce que je pratique zazen chaque matin, je vais pouvoir changer le monde. En même temps, grâce à la pratique régulière de zazen chacun, personnellement, peut faire l’expérience d’un ordre qui n’est pas le contraire du désordre ; désordre, l’expérience d’un calme qui n’est pas le contraire de l’agitation. Identifié au moi existentiel, nous vivons à la surface de nous-mêmes, comme on l’observe lorsqu’on est face à l’océan où des petites vagues alternent avec de grandes vagues. Par contre, sous la surface des vagues, le plongeur fait l’expérience d’un calme qui n’est pas le contraire de l’agitation.
Zazen ? Une plongée au fond de soi-même là où se révèle le vrai Soi.

Revue A. : Que change la pratique du Zazen pour celui qui la pratique ?

J.C. : J’ai le souvenir d’un chirurgien qui venait au centre régulièrement. Il disait commencer sa journée par une demi-heure de zazen. Un jour je lui ai demandé : « Vous venez régulièrement au Centre depuis plusieurs années, avez-vous l’impression que la pratique quotidienne de zazen change quelque chose dans votre vie professionnelle ? ».
Sa réponse : « C’est considérable. Avant de venir au Centre, avant de connaître la pratique de zazen, lorsque je commençais la journée à la clinique, je faisais le tour des patients opérés les jours précédents. J’ouvrais la porte de la chambre et en restant sur le seuil je m’adressais à la personne alitée : « Alors Madame Untel, vous allez bien, vous avez bien dormi ? Je vous souhaite une bonne journée” ».
Un jour, il s’est dit : « Je ne peux plus faire cela. Ce n’est pas digne ! ». Et Il ajoute : « Depuis que je viens au Centre, j’entre dans la chambre du patient, je m’assieds sur le bord du lit, je prends la main de cet homme, de cette femme, de cet enfant dans la mienne, et nous parlons tranquillement en ayant, comme vous nous le rappelez — infiniment de temps pendant trois minutes —. J’ai vraiment réalisé l’importance de ce que vous appelez une rencontre de personne à personne, une rencontre d’être à être. »
Quand j’ai raconté cette anecdote à Arnaud Desjardins, il m’a dit : « Jacques, ne cherche plus pourquoi tu as la responsabilité du Centre Dürckheim, maintenant tu en connais la raison ».
Ce que vit ce médecin dans le cadre de sa profession concerne de la même manière le maître d’école qui fait face à une vingtaine d’enfants ou le directeur d’une entreprise face à ses employés.
En quoi consiste le changement ? Un moine bénédictin qui avait passé une dizaine d’années au Japon me disait : « Chaque homme est né spirituel. Ce qu’on appelle un chemin spirituel a pour but de devenir un être humain ».

(1) Lire le premier article paru dans la revue Acropolis N° 370 (mars 2025) : Rencontre avec Jacques Castermane : La voie du Zen, la voie de l’expérienc
https://revue-acropolis.com/rencontre-avec-jacques-castermane-la-voie-du-zen-la-voie-de-lexperience/
(2) Karlfried Graf Dürckheim, diplomate, psychothérapeute et philosophe allemand (1896-1988). Il a été initié au bouddhisme zen de l’école Rinzai au Japon et a pratiqué le Kyūdō avec le maître Kenran Umeji
(3) Maître spirituel indien d’Arnadu Desjardins. Son enseignement est connu sous le nom d’Adhyatma Yoga (Yoga tournée vers le Soi)
(4) Lire les articles sur la rencontre entre Gilles Farcet et Arnaud Desjardins
• Entretien avec Gilles Farcet. #1 La rencontre d’un disciple avec son maître
https://revue-acropolis.com/entretien-avec-gilles-farcet-la-relation-maitre-disciple-1-la-rencontre-dun-disciple-avec-son-maitre/
• Entretien avec Gilles Farcet. #2 La rencontre avec Arnaud Desjardins
https://revue-acropolis.com/entretien-avec-gilles-farcet-la-relation-maitre-disciple/
• Entretien avec Gilles Farcet. #3 Le maître ne présente pas des signes extérieurs de richesse
https://revue-acropolis.com/entretien-avec-gilles-farcet-la-relation-maitre-disciple-3-le-maitre-ne-presente-pas-des-signes-exterieurs-de-sagesse/
• Entretien avec Gilles Farcet. #4 À quoi reconnaît-on l’aspirant-disciple ?
https://revue-acropolis.com/entretien-avec-gilles-farcet-la-relation-maitre-disciple-4-a-quoi-reconnait-on-laspirant-disciple/
• Entretien avec Gilles Farcet. #5 Le « maître racine » et les maîtres auxiliaires
https://revue-acropolis.com/entretien-avec-gilles-farcet-la-relation-de-maitre-disciple/
(5) Centre Dürckheim à Mirmande (26270), animé par Jacques Castermane et consacré à la voie du Zen
https://centre-durckheim.fr


Aujourd’hui enseignant zen reconnu, Jacques Castermane est le disciple de Karlfried Graf Dürckheim. Depuis 1981 il propose la Voie tracée par son maître suite à une immersion dans le monde du Zen (1937-1947) : « Le Zen dans ce que cette tradition recèle d’universellement humain ». Il ne s’agit pas d’un chemin à suivre mais d’un chemin qu’il est possible à chacun de tracer par soi-même afin de reprendre contact avec notre état de santé fondamental dont les symptômes sont le calme intérieur, la paix intérieure, la simple joie d’être.
Jacques Castermane s’est initié à la cérémonie du thé et aux arts martiaux tels que l’Aïkido, le Karaté, le tir à l’arc.
Il a publié aux Éditions Albin Michel Le Centre de l’Être en 1992, Garçon, un valium et deux aspirines aux Éditions terre du Ciel en 1994, Les leçons de Graf Durckheim, premiers pas sur le chemin initiatique, aux Éditions du Rocher en 1996, La Sagesse exercée aux Éditions Le Relié en 2013 et récemment, Comment peut-on être Zen, aux Éditions Marabout en 2023, Jacques Castermane ou la sagesse du corps – Zazen et enseignements, aux Éditions Almora en 2023.

Propos recueillis par Lionel NOSJEAN
Formateur à Nouvelle Acropole 
© Nouvelle Acropole
La revue Acropolis est le journal d’information de l’École de Philosophie Nouvelle Acropole France (lien interactif)

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