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Rencontre avec un philosophe : Nicolas de Cues, un penseur moderne de la Renaissance

Nicolas de Cues est l’un des grands penseurs du XVe siècle. Théologien et philosophe, il fut à la fois homme de connaissances et homme d’action. Ce cardinal précurseur de nouveaux modes de penser, s’intéressa de près aux mathématiques, à la mécanique, à l’astronomie. Il se fit également remarquer par ses écrits, ses missions diplomatiques et ses interventions auprès de la papauté. Il prôna inlassablement le dialogue et la conciliation pour dépasser les oppositions. 

Nicolas Chrypffs – ou Krebs – plus communément appelé Nicolas de Cues naît à Kues, sur les rives de la Moselle, région de Trèves, actuelle Allemagne, en 1401. Son père, Johan Chrypffs, un riche armateur, meurt en 1451 et sa mère, Catherine Roemer, en 1427.
Il fait ses premières études à l’école des Frères de la Vie Commune, au Deventer (Pays-Bas), dont la dévotion moderne, harmonisant le mysticisme et la raison, influence puissamment le jeune étudiant. Il étudie d’abord le droit à Heidelberg et à Padoue, et devient expert en droit canonique. Pendant son séjour à Padoue, il se lie d’amitié avec Paolo Toscanelli, médecin et scientifique réputé. Après plusieurs années de pratique juridique, il étudie la théologie à Cologne et se fait ordonner prêtre. Il étudie également le latin, le grec, l’hébreu et plus tard l’arabe.

En 1432, il commence son activité politique et diplomatique en se rendant au concile de Bâle comme représentant de son évêque, avec pour mission d’obtenir la réforme du calendrier et de promouvoir l’unité politique et religieuse de la chrétienté.
En 1437, il entre au service du pape Eugène IV, qui l’envoie en tant que légat papal à Constantinople, afin de préparer le prochain concile de Ferrare et d’obtenir l’assistance de l’empereur Jean Paléologue, le patriarche de Constantinople et d’un grand groupe d’évêques en vue de l’unification des églises catholique et orthodoxe, ce qui sera réalisé pendant une courte période. Dans cette commission se trouvait également George Gémiste Pléthon, promoteur de l’orientation néoplatonicienne de l’Académie florentine.
Lors de son bref séjour de deux mois dans la capitale de l’empire byzantin, il découvre des manuscrits grecs de saint Basile et de saint Jean Damascène. En 1438, il se trouve à Ferrare pour informer le pape et plus tard prendre une part active au concile de Florence.
Dans les années suivantes, il développe une activité intense comme envoyé papal à divers congrès allemands, il prêche la croisade contre les Turcs, réforme des églises, des monastères, des hôpitaux, essaie de faire revenir les hérétiques hussites au sein de l’Église, et en même temps il mène à bien des missions délicates de haute politique comme la pacification des relations entre l’Angleterre et la France. Comme dirait de lui l’abbé alchimiste Trithème : « il apparaissait partout comme un ange de lumière et de paix ».

En 1448, le pape le nomme cardinal, bien qu’il refuse un tel honneur, auquel l’oblige le pape suivant, Nicolas V, en lui attribuant l’église Saint-Pierre-aux-liens à Rome et en l’affectant au diocèse de Brixen. En prenant en charge cette mission, il est impliqué dans des conflits politiques avec Sigismond, duc d’Autriche et comte du Tyrol, qui finira par l’emprisonner, et qui forcera le Cusain à la démission, faisant accréditer l’excommunication papale.
Malgré son caractère pacificateur et le fait d’avoir résolu tant de litiges tout au long de sa vie, il ne put voir la paix dans son propre diocèse, qui se produisit deux ans après sa mort, survenue en 1464 à Todi, en Ombrie, alors qu’il accomplissait une nouvelle mission, envoyé par le pape Pie II.
Son corps repose dans son église de Saint-Pierre-aux-liens à Rome, mais son cœur fut déposé devant l’autel de l’hôpital de Cues, fondé par le cardinal avec son héritage familial et destinataire de son importante bibliothèque et de son matériel scientifique. Deventer, la ville de ses études de jeunesse, reçut également la « Bourse cusaine », une dotation pour financer les études de jeunes séminaristes pauvres.

Une œuvre éclectique

Sa vie d’action intense ne l’empêcha pas de composer une œuvre vaste qui peut être classée en quatre sections :

  • Écrits juridiques
    De concordantia catholica et De auctoritate praesidendi in concilio generali, à l’occasion du concile de Bâle, dans lesquels il soutient la supériorité des conciles sur l’autorité du pape et propose des réformes qui purent s’appliquer quelque temps plus tard.
  • Écrits philosophiques
    Le plus connu est son traité De docta ignorantia, (la docte ignorance) sur le fini et l’infini. Il aborde une théorie de la connaissance dans ses traités De conjecturis et le Compendium.
  • Écrits théologiques
    Ce sont des traités dogmatiques, ascétiques et mystiques, dans lesquels on trouve des échos de Thomas de Kempis (1). De cribratione alchorani écrit à l’occasion de sa visite à Constantinople, aborde le thème de la conversion des musulmans. De quaerendo Deum, De filiatione Dei, De visione Dei et Excitationum libri X, rassemblent ses réflexions mystiques sur la Sainte Trinité et la notion de Dieu et ses relations avec le monde.
  • Écrits scientifiques
    Il s’agit de douze traités pour la plupart brefs, parmi lesquels se trouve Reparatio calendarii, correction et mise à jour des Tables alphonsines, élaborées à l’époque du roi Alphonse X le Sage.
    Dans les ouvrages consacrés aux mathématiques il établit la quadrature du cercle et recourt fréquemment au symbolisme des lettres et des nombres dans ses réflexions. En ce qui concerne l’astronomie, pour le Cusain, la Terre n’est pas le centre de l’univers et n’est pas immobile mais en mouvement, ses pôles ne sont pas fixes et les corps célestes ne sont pas complètement sphériques, ni leurs orbites circulaires.

Précurseur d’une pensée moderne à la Renaissance

Nicolas de Cues est considéré comme un précurseur de la nouvelle philosophie de la Renaissance, qualifiée de « moderne » ou pré-moderne. Giordano Bruno se considéra comme disciple et continuateur du cardinal cusain.
Il reprend l’idée de l’évolution cosmogonique, pour laquelle Dieu, au lieu du moteur immobile et omni-parfait de la scolastique, se base sur le mouvement, qu’il utilise également pour ses relations avec le monde.
Le monde est une évolution divine, il acquiert donc plus d’importance.
Enfin, l’homme montre des vestiges de Dieu et du mouvement dans l’essence de sa capacité cognitive. Ces éléments, la valeur du monde et de l’homme deviennent essentiels dans la philosophie de la Renaissance qui émergeait alors.

Quant à sa théorie de la connaissance, il distingue quatre degrés : les sens, qui fournissent des images confuses et incohérentes ; la raison, qui les diversifie et les ordonne ; l’intellect, la raison spéculative qui les unifie ; et enfin, la contemplation intuitive, qui permet de comprendre l’unité des contraires.

Nous pouvons résumer les propositions philosophiques qui se trouvent dans ses œuvres :

  • Doctrine des conjectures
    La vérité est au-dessus de notre connaissance et savoir qu’il en est ainsi, constitue la première science. C’est l’idée de « la docte ignorance », c’est-à-dire, la sagesse comme reconnaissance des limites de la connaissance. Il prend du Pseudo Denys sa théologie négative et la voie vers le Deus absconditus : pour aspirer à la connaissance de l’unité suprême, il est nécessaire que l’homme fasse abstraction des affirmations positives, en se détachant de la connaissance des contraires.

Doctrine de la coincidentia oppositorum
Dieu, parce qu’il est infini, est au-dessus de ce qui est et de ce qui n’est pas ; et en Lui se trouvent les deux dimensions et toutes les oppositions qui existent entre les êtres. C’est l’unité suprême, qui exige de l’âme la contemplation intuitive, au-delà de la connaissance, qui la conduit à la connaissance de Dieu.

• Doctrine du posset
Tout ce qui existe est possible. La possibilité devrait être antérieure et postérieure à l’être en acte. En Dieu, les deux s’y trouvent. Dieu n’est ni simple être ni simple pouvoir être, mais posset, c’est-à-dire un pouvoir être qui est parvenu à être d’une manière réelle et absolue.

Doctrine de la complication et de l’explication
Tout étant possible en Dieu, c’est la complication de toutes les choses, d’où le fait que la différence entre Dieu et le monde n’est que relative. Dieu n’a plus d’être par rapport au monde, mais il l’a d’une autre manière. Le monde est la manifestation de Dieu et en lui réside le principe de son unité et de son ordre ; c’est le « plus grand concret et composé ».

Dans son œuvre, on trouve des antécédents de l’idée de Giordano Bruno sur l’infini, symbolisée par la phrase « Dieu est une sphère dont le centre se trouve partout et la circonférence nulle part » affirmation qui se trouvait déjà dans un traité hermétique du XIIe siècle, intitulé Liber XXIV philosophorum, un écrit anonyme composé de 24 définitions de Dieu, chacune suivie d’un commentaire.

(1) Thomas de Kempis, né Thomas von Kempen (vers 1380 -1471), était un moine néerlandais du Moyen-Âge. Il est principalement connu pour avoir écrit L’Imitation de Jésus-Christ, une œuvre religieuse majeure. Ordonné prêtre en 1413 ou 1414, il a également été sous-prieur et maître des novices. Il a rédigé environ quarante traités spirituels
(2) Son appellation nous vient du mystique rhénan Maître Eckhart. L’œuvre, dont la date de rédaction est incertaine, a été étudiée par l’historien de philosophie allemand Clemens Baeumker qui a contribué à son analyse et à l’histoire du néo-pythagorisme et du néoplatonisme au Moyen-Âge.
Article traduit du site https://biblioteca.acropolis.org par Michèle Morize
Crédit image : Wikipedia
Nouvelle Acropole Espagne
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La revue Acropolis est le journal d’information de l’École de philosophie Nouvelle Acropole France

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