« Photosophie », dialogue entre l’Art et la Philosophie
Ce beau livre d’art est un ouvrage insolite qui relie de très belles images en noir et blanc, pour aller à l’essentiel et des textes philosophiques, réflexion de l’auteur et d’autres collaborateurs. Nous y pénétrons avec une sélection de textes pour vous inviter à aller plus loin et le découvrir en profondeur par vous-mêmes. L’ouvrage a été traduit en plusieurs langues, dont une version en espagnol et en français que vous pouvez vous procurer en France.
Pierre Poulain est un photographe de rue avec une approche fascinante de la photographie.
« Pour moi, la photographie est un mode de vie philosophique qui vise à révéler le sens de la vie », dit-il.
À travers ses photos, il tente de déchiffrer, comprendre, observer et exposer la vie sur Terre.
Il vise le « moment décisif » dans la photographie mais élargit sa définition au-delà d’un temps et d’un endroit spécifiques. Le moment décisif, à son avis, doit transmettre une certaine qualité de vie à travers l’harmonie, la beauté et un profond sentiment. Ces qualités se dégagent de chacune de ses photos.
Dans une entrevue avec Hagit Elmakies, pour l’ouverture de son exposition, PhotoSophie, à Tel Aviv, en 2018, Poulain a dit : « Selon moi, la photographie artistique est une photographie paradoxale. Il y a là une tension, quelque chose qui attire mais n’est pas totalement clair. Une bonne photo suscite un point d’interrogation. Comme une énigme non résolue invitant l’observateur à s’arrêter et à regarder plus loin. »
Ces photos sont riches en signification et réclament pour bien les déchiffrer une forte introspection à l’observateur.
L’essentiel est invisible aux yeux
L’œuvre d’art est un masque qui manifeste et révèle la beauté qui n’est pas le Beau en soi. L’œuvre d’art est visible, elle rend perceptible le Beau qui reste à jamais une idée, une essence invisible, un archétype. Le Beau est l’acteur et l’œuvre en est la représentation théâtrale.
Ainsi, pour être qualifiée d’œuvre d’art, une photographie doit fonctionner comme un masque qui révèle une autre réalité, derrière ou au-delà de l’image visible au premier abord. C’est au photographe de percevoir cet « essentiel invisible » et d’en capturer le voile – l’image – au moment exact où la frontière entre réalité et illusion est la plus mince, permettant aux spectateurs de discerner quelque chose de l’acteur derrière le masque.
Une photo d’art – un support visible de l’invisible – est toujours l’offrande d’un mystère, d’une vérité qui ne peut être dévoilée par les mots ni pleinement captée, comprise et intégrée par le mental rationnel.
Une photo d’art est sur le fil du rasoir, elle appartient aux deux mondes à la fois. Elle donne à voir une scène que l’on peut identifier, une portion du visible que l’appareil photo a figé mais elle doit aussi contenir autre chose, une présence non reconnaissable, qui ne peut être catégorisée et cependant évidemment manifestée.
Une bonne photo, une photo artistique, est toujours symbolique. Permettant à l’invisible d’émerger dans le visible, elle charge l’image d’un sens qui échappe aux limitations de l’intellect. L’invisible est porteur de vie et, la vie étant en constante expansion, l’invisible déborde dans le visible en empruntant le pont de l’art et en se manifestant comme Beau.
La voilée et la dévoilée
Un sein doit-il être montré ou caché ? Et s’il ne s’agit pas de sein, qu’en est-il des cheveux? Et du visage ? Je conçois que la vérité se trouve quelque part au milieu, comme dans ces teintes de gris des photographies. Tout ne doit sans doute pas être dévoilé… mais tout ne doit pas non plus être caché. La solution peut se trouver dans l’éveil de la capacité humaine à discerner – également appelée intelligence.
Il faut parfois oser
Il faut parfois oser… Il faut parfois sauter dans l’inconnu.
Il n’y a aucune manipulation dans cette photographie d’un jeune homme sautant dans la mer depuis les remparts de la vieille ville de Saint-Jean-d’Acre, en Israël. Il y a suffisamment de profondeur, mais il est impossible d’en être certain avant de sauter et d’en faire l’expérience par soi-même.
Oser pénétrer l’inconnu est comme sauter dans la mer pour découvrir, une fois dans l’eau, un nouveau monde qu’il n’est pas possible de percevoir de l’autre côté… de l’autre côté du miroir. Et une fois que l’on a vu l’autre côté du miroir, l’inconnu cesse d’exister. L’ignorance a laissé la place à la conscience.
Le moment décisif
Un moment décisif est toujours un moment significatif. Il se produit en une fraction de seconde, c’est pourquoi le capturer est un art. Il y faut de l’intuition, la perception de la relation harmonique entre tous les composants visuels, et par dessus tout, il est nécessaire de « laisser aller » le mental, de cesser de vouloir le contrôler. Ne pas penser. Ne pas chercher à comprendre. Ne pas interférer avec la situation.
Le moment historique présent est un défi, et je me demande si nous sommes encore capables de reconnaître l’importance décisive qu’il pourra avoir dans l’Histoire de l’humanité. La plupart d’entre nous, malheureusement, en sont incapables. Mais pour ceux qui le peuvent, il n’y a pas d’alternative à continuer le combat pour la Vie.
La musique du cœur
Sur la place centrale de la vieille ville de Prague, un enfant et un vieil homme jouant du saxophone. L’enfant est-il si profondément absorbé dans son monde intérieur qu’il soit indifférent à la musique et puisse ne pas entendre le saxophone ?
Ou, au contraire, écoute-t-il l’instrument avec une intensité telle qu’il ne permette à aucun bruit alentour de le perturber et de le distraire de sa concentration ?
Je veux croire que le vieil homme au saxophone ne dérangeait pas l’enfant et était un des musiciens de l’orchestre invisible qui jouait dans le cœur de l’enfant.
La Ronde
Je comprends l’harmonie comme inséparable de la vie, et la vie est toujours en mouvement.
L’évolution ou l’expansion de conscience est également un mouvement, un mouvement qui nous garde vivant. C’est un mouvement vers une meilleure et plus profonde compréhension de notre propre nature et identité. Être en mouvement, avoir un but, c’est se sentir vivant.
Ce mouvement s’opère dans l’espace, bien sûr, mais principalement dans le temps. Sans temps, sans maturité possible, il ne peut y avoir de mouvement. Il nous faut accepter le passage du temps si nous voulons rester vivants. Il nous faut accepter notre âge, notre expérience accumulée.
Le mouvement spiralé et incessant de ces danseurs de tango est comme une Ode à la Vie.
Avoir ou ne pas avoir
L’état de nos possessions est toujours en mouvement, parfois nous possédons, et parfois non. Nous achetons et nous vendons. Nous recevons et nous donnons.
L’être est la voie de la Liberté, et l’avoir nous enchaîne à un mouvement que nous ne pouvons pas contrôler car il nous rend esclave des circonstances extérieures.
Aujourd’hui il s’avère très difficile – sinon impossible – de renoncer à « avoir » mais nous pouvons atteindre un équilibre et essayer de nous contenter juste de ce dont nous avons besoin: ne manquer de rien mais ne pas posséder trop. Avoir ce qui est nécessaire pour Être, pour être libre, pour être soi-même.
Pierre Poulain à travers cet ouvrage et ses photographies, nous invite à éveiller notre propre regard philosophique, savoir nous interroger sur le sens de la réalité au-delà des apparences, dans ce jeu de contrastes entre l’image qui n’est que sensation d’un instant et la parcelle d’éternité qu’elle vehicule. Nous vous souhaitons une bonne lecture, à faire lentement, image par image, pour s’impregner de la vision et du sens qu’elles dégagent.
Photosophie
Par Pierre Poulain
Édition en Espagnol et Français
Publié par Pierre Poulain (à compte d’auteur)
Année 2019
www.photos-art.org
pierre@photos-art.org
Par Laura WINCKLER