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Écologie-Nature

Mégabassines : vers une guerre de l’eau ?

« Ces mégabassines sont un symbole, ou un révélateur d’un modèle agricole industriel qui accapare une ressource dont tout le monde a besoin » (1).

Jacques, éleveur du Maine-et-Loir

Selon les hydrologues, le déficit hydrique de la France est d’environ 14% depuis les années 90. De plus cet hiver 2022- 2023 montre des signes alarmants d’une sécheresse inédite. Dans ce contexte la construction de superbassines pour remédier au manque d’eau a suscité des levées de bouclier.

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En ce mois de mars 2023, mois généralement pluvieux, succédant à un hiver exceptionnellement sec, notre pays se trouve confronté à une situation jamais vue : devoir approvisionner en eau certains villages par camions, alors que l’an dernier encore, on était surpris de devoir le faire en fin d’été. 
Et les prévisions pour l’été 2023 sont alarmantes. Déjà, en Espagne, en ce début du printemps, on voit se développer des incendies gigantesques « non maîtrisables » qui nous rappellent les catastrophes en Australie ou en Californie de l’été passé.

L’enjeu de l’accès à l’eau

Mais la grave question de la disponibilité en eau (2) semble moins liée au changement climatique, qu’au mode d’agriculture intensif moderne. En effet, jusqu’à présent et contrairement aux apparences, ce n’est pas le changement climatique qui a joué le rôle principal mais bien les pratiques agricoles industrielles et extensives.
Dans ce contexte, le projet de construction des fameuses « grandes bassines » est explosif. Perçu comme un mouvement d’appropriation privée de l’eau souterraine au service d’un modèle agricole non durable, il amène l’éclosion de nouvelles « jacqueries » modernes. Ces dernières ne sont plus le fait des paysans, mais de citoyens alarmés par une mainmise par des particuliers d’un bien collectif.  Car beaucoup d’opposants considèrent comme immoral l’appropriation privée d’un bien naturel collectif à des fins économiques et au service d’un modèle agricole funestes.

Que sont les mégabassines ? 

Beaucoup peuvent penser qu’il s’agit de collecter l’eau de pluie pour assurer un arrosage ultérieur en fonction des nécessités. Ceci ne poserait sans doute pas de problèmes. C’est ce que font de plus en plus de petits maraîchers ou certains agriculteurs. Ce procédé est plus que vertueux, car il évite de ponctionner dans l’eau potable des réseaux collectifs pour arroser ses plantations et il permet de prélever l’eau de pluie à sa source.
Mais il n’en n’est rien. Le principe de ces bassines est de pomper, dans la nappe phréatique, l’eau pure qui s’y trouve, pour la remonter en surface et la rendre disponible, durant les périodes sèches pour l’irrigation des grandes surfaces.
Ce besoin d’irrigation s’est fortement accru ces vingt dernières années, non pas tant à cause du réchauffement climatique, mais comme conséquence de nos pratiques agricoles modernes.

Les nappes phréatiques en danger ?

Notre modèle d’agriculture industriel est basé sur la déforestation extrême de l’environnement comme par exemple la destruction des haies bocagères et le remembrement pour la constitution de champs de centaines, voire de milliers d’hectares. En déforestant, on réduit les précipitations, et en éradiquant les haies, on réduit la captation de l’eau en même temps que la biodiversité. Et ceci se conjugue très souvent à un grand gaspillage de cette même eau par évaporation du fait de l’arrosage par aspersion en plein soleil.
En parallèle, de moins en moins d’eau de pluie parvient à s’infiltrer dans le sol et à reconstituer ces fameuses nappes phréatiques. Ceci est dû à des pratiques agricoles telles que le labour profond qui engendre la constitution d’un soc de labour imperméable en même temps que destruction de la vie souterraine, et à l’urbanisation / asphaltisation des sols. La conséquence de cela est qu’une très grande partie de l’eau de pluie ne fait que ruisseler et provoquer de multiples épisodes d’inondation ainsi que l’évacuation vers la mer de cette eau et des éléments superficiels et fertiles du sol, polluant ainsi un peu plus celle-ci, mais ne reconstituant nullement les nappes phréatiques. 
C’est pourquoi, dans un contexte de sécheresse accrue, leur reconstitution annuelle en hiver dans un modèle agricole inchangé est loin d’être acquise et le remplissage des méga-bassines par la même occasion.

Les scientifiques : pour ou contre ?

Notre actualité est de plus en plus faite de rumeurs qui se veulent information, voire de « fake-news » qui travestissent intentionnellement la vérité. En l’occurrence, les rapports du GIEC (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat) et du BRGM (Bureau de Recherches Géologiques et Minières) ont fait l’objet de multiples « interprétations », voire de détournement de sens, alors qu’ils étaient très prudents et circonstanciés sur leurs conclusions. Désormais, nous entendons régulièrement des hydrologues rectifier et exprimer leur réticence, voire leur désaccord quant au développement large et sans recul de mégabassines. Des chercheurs du BRGM ainsi que leur Présidente, Madame Michèle Rousseau (3), prennent leurs distances avec ces interprétations et évoquant le détournement des conclusions du GIEC qui, dans son étude, a répondu à un cahier des charges précis et n’a pas simulé les conséquences du réchauffement climatique.

Les méga-bassines, une solution miracle ?

Ainsi, les méga-bassines, loin d’être une solution miracle, dévoilent de multiples effets pervers : sur le plan physique, le risque d’épuisement de nappes phréatiques ne pouvant se reconstituer suffisamment, et l’évaporation de cette eau pure en été du fait des températures de plus en plus élevées  (estimation à 3 à 4% par la Coop de l’eau 79, et accroissement de l’évapotranspiration de 10 à 15% par degré supplémentaire de température) ; économiquement, par la probabilité de ne pouvoir remplir ces bassines que certaines années pour préserver la nappe ; humainement, du fait de la privatisation de l’accès à ses réserves d’eau et à leur accaparement au détriment des petits agriculteurs et sentiment d’injustice pour les autres citoyens ; psychologiquement, par le fait de créer les conditions pour repousser la prise de mesures responsables appropriées pour une agriculture durable comme l’évoquait en septembre 2021 l’Office Français de la biodiversité du Ministère de la Transition Ecologique.

Un gaspillage de l’eau

L’orientation funeste de notre agriculture intensive moderne a déjà produit, dans de nombreux endroits, un déficit de reconstitution des nappes phréatiques, ; c’est pourquoi le projet des superbassines apparaît, pour beaucoup, comme une course en avant pour maintenir ce modèle non optimal et non durable, en puisant dans des ressources naturelles déjà affaiblies. 
L’enjeu premier est de rééquilibrer la relation entre besoins et ressources par une gestion rationnelle de l’eau. « La plupart des territoires concernés par ces bassines n’ont pas une culture suffisante de l’utilisation rationnelle de la ressource » déclare un hydrobiologiste (3). « On traite le symptôme et pas la cause » (4). Mais un écologue chercheur au CNRS (5) souligne que les mégabassines ne sont pas la seule ni la première réponse à mettre en œuvre face au défi climatique. « Cela passe par la restauration de zones humides, la réduction des usages de pesticides et la plantation d’arbres. » (6)

Derrière les mégabassines, un modèle remis en cause

Car il existe des alternatives à cette ponction excessive des ressources en eau, avec de nouveaux modèles d’agriculture, tels l’agroforesterie, l’agriculture sur sol vivant, etc. Mais développer ces alternatives, exigerait d’investir de nouveau dans l’homme plutôt que dans les machines, de redonner de la valeur au travail agricole et aux agriculteurs plutôt qu’à des « ouvriers » agricoles et des robots – avenir qui nous menace par l’industrialisation du modèle agricole. Ceci supposerait aussi de revaloriser les métiers de l’agriculture, d’en faire des métiers non dangereux, sans produits chimiques nocifs pour l’acteur comme pour le consommateur ; de revoir le prix des aliments en recentrant sur l’essentiel : une alimentation saine préservant la santé, préservation de la nature et du vivant. 

Renouer avec la Terre

Une autre voie serait d’encourager les contacts entre producteurs et consommateurs en suscitant la participation à certaines actions peu techniques qui permettraient aux citadins de se rapprocher et se réapproprier le lien à la terre comme, par exemple, les récoltes collectives comme cela se fait sur de petites surfaces, etc. Mais pour cela, il faudrait sans doute réduire la taille moyenne des « exploitations » agricoles et tourner le dos à l’évolution actuelle et, ainsi, permettre au monde citadin et au monde agricole de communiquer et partager à nouveau du sens et de l’action.
En allant plus loin, il faudrait sans doute envisager de remettre à leur juste place les dépenses de loisirs et de divertissement de déplacement (pour les citadins), voire d’habitat dans nos dépenses. 
Si pour certains, ce n’est malheureusement pas possible économiquement, et il faut voir comment leur permettre de remettre le pied à l’étrier, sur le plan collectif, pour beaucoup, il y a une possibilité de révision de l’allocation des dépenses pour un meilleur futur.

N’est-ce pas cela la « sobriété heureuse » ? Faire de nos loisirs un acte utile au niveau collectif, ou faire d’une action citoyenne un loisir fait aussi partie d’un nouveau paradigme. 

(1) Jacques, éleveur du Maine-et-Loir
2) Lire l’article L’eau, le nouvel or bleu de Jean-Pierre Ludwig, paru dans la revue 343 (septembre 2022) 
https://www.revue-acropolis.fr/wp-admin/post.php?post=14450&action=edit
(3) Lors d’une audition au Sénat du 15 mars 2023
(4) Florence Habets, directrice de recherche en hydrométéorologie au CNRS, site Bon Pote https://bonpote.com
(5) Christian Amblard, directeur de recherche honoraire au CNRS, dans La Vie, 23 mars 2023, n°4047
(6) Vincent Bretagnolles, directeur de recherches au CNRS, dans La Vie, 23 mars 2023, n°4047
Hans LUWEI
Permaculteur
© Nouvelle Acropole
La revue Acropolis est le journal d’information de Nouvelle Acropole

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