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La Bhagavad Gita et le combat intérieur                

La Bhagavad Gita est un trésor philosophique de la tradition de la sagesse indienne. Un récit héroïque qui, pour le pour le chercheur de sagesse, explique de nombreuses vérités spirituelles au sujet du « combat intérieur » et de la condition humaine. Le nom « Bhagavad Gita » se traduit par « Chant du Seigneur ».

L’histoire met en scène deux branches d’une même famille descendant des frères Pandu et Dhritarashtra. Dhritarashtra, le fils aîné, était né aveugle (symboliquement dépourvu de vision spirituelle), et il lui était donc impossible d’être l’héritier de son père. Le second fils, Pandu, avait un problème différent en ce qu’il ne pouvait pas concevoir d’enfants, mais en utilisant un mantra spécial, sa femme invoqua les dieux, demandant à chacun à tour de rôle de lui concevoir un enfant au nom de son mari.
C’est ainsi que naquirent les « Pandavas » – fils de Pandu – qui devinrent les héritiers légitimes du royaume.  
La femme de Dhritarashtra tomba également enceinte, mais sa grossesse dura de nombreuses années et, se lamentant de son état, elle exigea d’être frappée au niveau de l’estomac de manière à accoucher de l’enfant. Elle donna naissance à une boule de fer qui se brisa en 99 morceaux qui devinrent les fils de Dhritarashtra, les « Kuravas ».

La dualité Pandavas et kuravas en l’homme

Les Pandavas et les Kuravas représentent les deux principaux aspects de la personne humaine et les deux directions de ses activités.
Tout d’abord, les Pandavas représentent notre aspect spirituel émanant du ciel symbolisé par la filiation avec les dieux ; ils révèlent la direction de nos qualités, de nos actes de bonté et, en résumé, de nos vertus. 
Le second aspect, les Kuravas, représente notre nature matérielle symbolisée par la boule de fer d’une part et la multiplicité d’autre part. C’est la direction de nos tendances égoïstes et de notre intérêt personnel, en résumé, de nos faiblesses. 

Les êtres humains ont une double nature, à la fois spirituelle et matérielle, et nous avons tous pour tâche d’apprendre à vivre et à agir dans ces deux mondes. 
Il semble que la dichotomie entre l’esprit et la matière soit la condition de notre conscience, mais l’éternelle question (à laquelle répond la Bhagavad Gita) est la suivante : lequel de ces deux aspects guidera notre conscience et par conséquent notre vie ?
Il semble que nous soyons tenus de faire ce choix.

Le royaume est dénommé Hastinapura, « la cité des éléphants ». L’éléphant est associé à l’idéal du sage qui possède une force immense pour surmonter n’importe quel obstacle, mais doué d’une telle douceur que, si une traînée de fourmis croisait son chemin, la créature bienveillante lèverait prudemment ses pattes pour éviter de piétiner l’une d’entre elles. 
Hastinapura représente notre conscience, où les deux principales familles (les deux aspects de l’être humain) se disputent le pouvoir. 

Les Pandavas sont les souverains légitimes, mais le fils aîné Yudhishthira ayant perdu un jeu de dés pipé, lesPandavas en gage furent exilés pendant 12 ans, et les Kuravas régnèrent en leur absence. Une fois cette période écoulée, les Pandavas revinrent, mais les Kuravas refusèrent d’abandonner leur position, ayant décidé qu’ils appréciaient tout particulièrement le pouvoir dont ils étaient investis. 
Trop souvent, nous mettons en jeu notre responsabilité et notre autonomie (juste cette fois-ci, cela ne peut pas faire de mal, un dernier lancer de dé…) et, à la place de nos vertus, de notre autodiscipline et de notre force d’âme, nos vices prennent joyeusement le pouvoir.

Le choix d’Arjuna

Après des tentatives infructueuses de résolution du conflit par la négociation, il devient évident qu’une bataille sera inévitable… Arjuna, chef des Pandavas et héros du récit part avec Duryodhana, chef des Kuravas, consulter leur cousin Krishna. Endormi à leur arrivée, Krishna se réveille, les écoute et leur explique qu’à l’un il offrira toutes ses armées, et à l’autre qu’il s’offrira lui-même. 
Ayant vu à son réveil Arjuna en premier, Krishna lui demande de choisir et, sans hésitation, Arjuna choisit Krishna. Duryodhana en est secrètement excité, car si le choix lui avait été donné, il aurait certainement privilégié les armées !

Krishna représente l’étincelle de divinité en chaque personne et également la divinité au sens le plus universel. En choisissant Krishna, Arjuna choisit symboliquement le conseil de son propre Esprit, il choisit la Vie dans son aspect le plus profond, et il choisit la sagesse pour être son guide sur le champ de bataille. 
Par opposition, notre nature égoïste, symbolisée par les Kuravas, choisira toujours la massification, l’accumulation, la quantité et la variété. Elle cherchera toujours la largeur au détriment de la profondeur et c’est pourquoi la négociation avec nos faiblesses est rarement possible. Nos impulsions inférieures ne peuvent concevoir des choses au-delà de leur propre nature, notre identité matérielle ne peut imaginer notre identité spirituelle car, tout comme Dhritarashtra, la matière naît « aveugle » et sans vision spirituelle.

Suite à la rencontre avec Krishna, le champ de bataille est fixé et les armées des Pandavas et des Kuravass’alignent de part et d’autre du Kurukshetra, le champ de bataille de la vie. C’est à Arjuna qu’il revient de donner le signal du commencement de la bataille, mais alors qu’il chevauche entre les deux armées avec Krishna comme cocher, il est complètement submergé par la peur et le désespoir… Pourquoi doit-il se battre ? Il se laisse alors choir sur le plancher de son char, en refusant de se battre – c’est l’image de la crise au centre de l’être humain : une crise qui apparaît comme inévitable au cours du développement de notre conscience dans son mouvement ascendant.

Le point d’indécision d’Arjuna, son incertitude et ses doutes menacent comme une étendue périlleuse, mais dans son désespoir, il prend la décision de demander de l’aide à Krishna et c’est à ce moment-là que Krishna commence à chanter pour lui. Arjuna représente notre nature héroïque, l’attitude qui veut faire ressortir le meilleur de nous-mêmes pour le bénéfice de ceux qui nous entourent. 
Nous possédons tous cette étincelle héroïque et aussi faible qu’elle puisse paraître en temps de crise, l’une des premières leçons que le héros doit apprendre est qu’il lui est nécessaire de passer à l’action. Arjuna manifeste ce mouvement pour sortir du désespoir en demandant à Krishna de l’aider.

Passer à l’action

Dans nos propres vies, une fois que nous acceptons une situation et que nous passons à l’action, nous commençons à nous sentir immédiatement plus libres. Souvent, l’origine d’une peur aiguë ne réside pas dans l’événement lui-même, mais dans son anticipation. 
Lorsque nous commençons à nous tester nous-mêmes et à nous connaître, nous nous sentons un peu plus légers. Si nous demeurons conscients en cas de crise, alors ces dernières peuvent s’avérer être les moments les plus transformateurs de nos vies.

Alors que Krishna entame son chant, il enseigne à Arjuna la réincarnation et l’idée qu’il existe une partie essentielle de l’être humain qui est immortelle : « Rien de ce qui n’existe véritablement ne peut jamais mourir ». Nous ne croyons peut-être pas personnellement à la réincarnation, mais la plupart d’entre nous peuvent ressentir une sorte de centre au sein duquel nous possédons une plus grande stabilité et sommes moins changeants par rapport aux caprices et aux humeurs plus éphémères. Notre centre est le lieu où nous rencontrons des sentiments de paix, de solennité et de sérénité. Nous y sommes mieux à même d’accepter et de comprendre la Vie telle qu’elle EST, et d’être moins frustrés par les aléas des circonstances.

Dans la conquête de nous-mêmes et la plénitude d’une vie accomplie, il est essentiel que nous provoquions un conflit entre ces deux aspects de notre nature humaine. Pourquoi ? Parce que, dans un sens, c’est à travers le combat intérieur que notre partie héroïque peut réaliser son potentiel et saisir l’opportunité de se construire intérieurement et extérieurement. Il en va de même de notre monde intérieur que de notre monde extérieur : tout ce qui nous est connu à un moment donné ne nous l’était auparavant pas, il nous aura fallu entrer dans l’inconnu pour le découvrir. 

La Bhagavad Gita décrit le besoin évolutif de l’homme de mener la guerre intérieure. De plus, connaissant cette bataille à l’intérieur de nous-mêmes, nous aurons beaucoup moins recours aux guerres extérieures et aux luttes réciproque les uns contre les autres. Le message de la Gita peut nous aider à libérer le potentiel héroïque que nous portons en nous et son symbolisme peut nous aider à faire face à nos luttes quotidiennes, de sorte que, comme Arjuna, nous puissions nous élever vers les hauteurs de notre conscience et gouverner notre vie avec sagesse.

Siobhan FARRAR
Nouvelle Acropole Royaume-uni
Article traduit de la revue de Nouvelle Acropole Royaume-Uni par Florent Couturier-Briois
© Nouvelle Acropole
La revue Acropolis est le journal d’information de l’école de philosophie Nouvelle Acropole France

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