Société

Éducation familiale une réorientation nécessaire ?

Les faits divers qui mettent en scène des mineurs, tout comme leurs difficultés croissantes face à l’autorité, ne manquent pas de susciter des interrogations sur leur éducation. Comment en sommes-nous arrivés-là et que faut-il remettre en question ?

Tout le monde a en tête le tournant que fut mai 68, contrepied d’une éducation trop rigide où l’excès d’autoritarisme étouffait l’enfant. Mais des décennies plus tard, il semble que la libération soit devenue tyrannie de l’enfant roi, et que l’autorité, parentale ou scolaire, ait été jetée avec l’eau du bain.

Une éducation pas aussi positive ?

C’est ainsi qu’aujourd’hui, certains remettent en cause l’éducation positive qui a vu le jour à partir des préceptes de Célestin Freinet ou Maria Montessori, ou encore de la psychanalyste Françoise Dolto. Plus adaptée aux rythmes de l’enfant, cette éducation nouvelle, aujourd’hui qualifiée de positive, rejette toute violence ou coercition (de la fessée à l’isolement forcé). Elle prône un regard optimiste, bienveillant et attentif au bien-être de l’enfant, et une écoute inconditionnelle de ses besoins émotionnels. Il est évident que cette démarche éducative a permis des avancées nécessaires à l’épanouissement des enfants. Mais ses intentions bienveillantes ont aussi leurs ombres. C’est pourquoi, actuellement, des voix s’élèvent pour souligner les limites, voire les dangers de ce type de posture, lorsqu’elle tend à effacer tout cadre de référence et de confrontation pour l’enfant.

À la recherche de l’autorité perdue

Ainsi Caroline Goldman (1) soulève, par exemple, la problématique du « déni de la différence de générations » qui place les parents et enfants sur un pied d’égalité. Avec l’abolition de la différence générationnelle, l’enfant est maintenant considéré comme acteur social à part entière, sans différence avec un adulte, ce qui est un leurre : car comment « élever » son enfant si on se situe à son niveau ?
De son côté, Didier Pleux (2) dénonce un penchant individualiste qui survalorise l’enfant et le surprotège, croyant lui épargner douleur ou frustration. Mais ce faisant, en lui évitant toute confrontation à des limitations ou des difficultés, on l’affaiblit en l’empêchant de se forger dans l’adversité. De même que les maladies infantiles renforcent le système immunitaire, de saines confrontations permettent de structurer l’enfant. Les éviter, au contraire, le rendent plus fragile.

Un environnement toxique

Dans un monde qui se veut de plus en plus fluide, où les repères s’estompent, où chacun revendique ses propres normes, imposer un quelconque critère éducatif apparait trop souvent comme une violence. Par manque d’affirmation, de repères, d’appui, des parents ou éducateurs seront conduits à préférer la négociation à l’exigence, et à chercher à se faire aimer en cédant aux caprices, favorisant le laisser faire plutôt que la fermeté morale. Cette incapacité à gérer les conflits empêche d’apprendre à l’enfant à surmonter ses propres pulsions, de violence, de colère, de peur, ainsi que celles des autres. Et ce, alors que, dès l’âge moyen de douze ans, il est plongé dans la société des écrans et son univers agressif.

La discipline positive

C’est pourquoi de nombreux pédagogues appellent au retour de l’autorité et de la discipline, cadres qu’ils jugent indispensables à l’éducation de l’enfant.
D’aucuns, comme Haim Ginott (3) prônent le retour de la punition, arguant que savoir corriger est essentiel pour développer l’estime de soi et la confiance. Pour lui, la correction permet de percevoir un chemin d’amélioration et de progrès en plus de la victoire de la chose bien faite. Pour cela, selon Jane Nilsen (4), le préalable est de créer le lien, la relation de confiance, base sur laquelle peut s’instaurer une écoute, un sentiment d’appartenance où l’enfant se sent reconnu et accepté. Ensuite il pourra entrer dans la phase d’acceptation et comprendre l’exigence. La « discipline positive » se substitue donc à « l’éducation positive ». Comme le disait la philosophe Délia Steinberg Guzman, « une attitude juste voudrait que dès le début, les enfants sachent qu’ils sont venus dans un monde qui attend beaucoup d’eux et qu’ils doivent commencer à y répondre avec de petites tâches, les leurs […] et que personne ne peut les leur ôter et que personne ne peut les accomplir à leur place. » (5)

Une école des parents ?

Mais peut-être avons-nous besoin en premier chef d’une école des parents ? À cet égard, le succès de l’émission de télé-réalité « Super Nanny » est édifiant (6). Quels critères, quelles règles partagées, quels comportements auront valeur d’exemples pour une transmission réussie ?
Être parent ne s’improvise pas mais s’apprend : l’amour ne suffit pas. Pour gagner le respect et l’amour des enfants, il faut se sentir légitime dans l’exigence, dans l’accompagnement, en leur donnant des petites épreuves qui les rendront victorieux d’eux-mêmes : plutôt que les empêcher de s’approcher de l’eau, mieux vaut leur apprendre à nager et à vaincre la peur de l’eau. Assumer un risque mesuré pour laisser place à l’aventure et les fortifier pour les temps durs qui s’annoncent.

Donner un sens à l’éducation sur une base morale

Dans son éditorial d’octobre, le fondateur de Nouvelle Acropole en France, Fernand Schwarz cite Kant à juste propos (7) : « L’homme ne peut devenir homme que par l’éducation. Il n’est que ce que l’éducation fait de lui. Il faut bien remarquer que l’homme n’est éduqué que par des hommes et par des hommes qui ont également été éduqués… Ordinairement, les parents élèvent leurs enfants seulement en vue de les adapter au monde actuel, si corrompu soit-il. Ils devraient bien plutôt leur donner une éducation meilleure, afin qu’un meilleur état pût en sortir dans l’avenir. » Un état dans lequel ils puissent faire émerger le meilleur d’eux-mêmes et construire leur liberté dans l’acceptation des contraintes. Construisons ensemble une société habitable où chacun peut se sentir acteur d’un monde partagé.

(1) Psychothérapeute française, docteure en psychopathologie clinique, spécialisée dans la psychologie des enfants et des adolescents
(2) Didier Pleux : psychologue cognitiviste, L’éducation bienveillante, ça suffit, Éditions Odile Jacob, 2023, 192 pages
(3) Haïm Ginott, psychologue, psychothérapeute, éducateur
(4) Jane Nelsen, psychologue, thérapeute familiale, auteur de Positive discipline, Random House Publishing Group Editions, 1981, traduit en français par Béatrice Sabaté, La discipline positive, Éditions Marabout, 2019, 496 pages
(5) Philosophie à vivre de Delia Steinberg, philosophe et écrivain, ancienne présidente de Nouvelle Acropole
(6) Diffusé sur la chaîne M6
(7) Kant, Réflexions sur l’éducation, traduit par Alexis Philonenko, Éditions Vrin, 1990
Sylvianne CARRIÉ
Ancienne professeur de secondaire, formatrice en philosophie à Nouvelle Acropole
© Nouvelle Acropole
La revue Acropolis est le journal d’information de Nouvelle Acropole

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