Arts

HOMMAGE À : Paul Durand-Ruel, le visionnaire de l’impressionnisme

Le musée du Luxembourg a organisé une exposition consacrée à de grands artistes impressionnistes mais également à un personnage hors du commun, Paul Durand-Ruel (1833-1922), visionnaire, qui a lancé un nouveau courant pictural, précurseur d’un art moderne : l’impressionnisme.

 

Paul Durand-RuelTout a commencé avec son père Jean-Marie Fortuné Durand-Ruel, principal commis d’une papeterie parisienne appartenant à sa femme, et qui vendait des fournitures pour artistes-peintres en échange de leurs œuvres. Il s’intéressait aux aquarellistes anglais (Richard Parkes Bonington, John Constable entre autres).

En 1847, il ouvrit une galerie boulevard des Italiens. La Révolution de 1848 vint interrompre le développement des affaires. En 1851, il demanda à son fils Paul de le rejoindre à la galerie et les affaires reprirent. La galerie d’art louait des tableaux à des particuliers qui souhaitaient décorer leurs murs, pour impressionner leurs hôtes lors de soirées, ou à ceux qui voulaient les copier pour s’exercer à la peinture. En outre, elle proposait des services appréciés par les artistes (fournitures pour la peinture, l’aquarelle ou le dessin, encadrement, mise sous verre…). En 1858, le père de Paul s’installa au n°1 de la rue de la Paix, près de la place Vendôme.

Paul Durand-Ruel, un visionnaire

Paul Durand-Durel s’intéressa d’abord à la peinture française du XVIIIe siècle, à la peinture hollandaise et aux artistes espagnols tels El Greco et Francisco José de Goya.

En 1855, il assista à l’Exposition universelle de Paris. Il eut le coup de foudre pour les œuvres d’Eugène Delacroix, peintre majeur du romantisme. Il écrira : «C’est le triomphe de l’art vivant sur l’art académique (1) et plus tard : «En 1855, les œuvres de Delacroix m’ouvrirent définitivement les yeux et me fortifièrent dans la pensée que je pourrais peut-être dans mon humble sphère, rendre quelques services aux vrais artistes en m’employant à les faire mieux comprendre et aimer.» Ce fut le début de sa passion pour l’école des peintres romantiques de 1830 (Théodore Géricault, Eugène Delacroix, Antoine-Jean Gros, William Blake) puis de l’école de Barbizon (Théodore Rousseau, Jean-François Millet, Charles-François d’Aubigny, , Jules Dupré, Camille Corot…), avec des tableaux sur la Nature et des tableaux pour certains relativement finis.

Il installa sa galerie rue Laffitte dans le neuvième arrondissement de Paris. Cette rue devint plus tard la rue des experts et des marchands.

Le mécène des artistes

Paul Durand-Ruel

Paul Durand-Ruel rencontra de nombreux artistes, Claude Monet, Edouard Manet, Camille Pissaro, Edgar Degas, Berthe Morizot, Auguste Renoir, Alfred Sisley, avec lesquels il devint ami. Il les fréquentait car il avait une très grande foi dans leur peinture. Il les soutenait moralement, leur rendait visite, payait parfois leurs factures (loyer, médecin, épicier…), se tenait au courant de l’évolution de leur travail, les conseillait quant au choix des couleurs, du matériel de peinture, (utilisation de gouaches lorsque le marché des tableaux était mauvais) ou des tendances (la peinture de ciels clairs quand les ciels gris se vendaient mal). C’est ainsi qu’entre 1971 et 1903, il acheta 53 toiles à Pissarro, soit 1/3 de sa production.

Il achetait ainsi massivement les tableaux aux artistes, parfois en les payant plus cher que leur valeur, et ensuite il pouvait contrôler leurs prix. Les artistes le lui rendaient bien. Claude Monet écrivit : «Sans Durand, nous serions morts de faim, nous tous, les impressionnistes. Nous lui devons tout. Il s’est entêté, acharné, il a risqué vingt fois la faillite pour nous soutenir. La critique nous traînait dans la boue : mais lui, c’est bien pire ! On écrivait : « Ces gens sont fous, mais il y a plus fou qu’eux, c’est un marchand qui les achète! »».

Un précurseur dans de nombreux domaines

Paul Durand-Ruel était un marchand d’art, doté d’un flair indiscutable, un véritable entrepreneur qui prit des risques parfois insensés pour aller jusqu’au bout de son rêve.

Il fit évoluer considérablement la profession de galériste par ses talents innovateurs qu’il appliqua dans de nombreux domaines.

D’abord, comme on l’a vu, il devint ami et mécène des artistes, leur achetant leurs œuvres, même lorsque celles-ci n’étaient pas connues et les soutenant financièrement.

Il fut un véritable entrepreneur : il achetait des toiles qui ne se vendaient pas, contrairement à ses confrères qui préféraient jouer la sécurité (des négociants) et acheter ce qui se vendait. Il sortit ainsi de son rôle de commerçant, ce qui généra du mépris chez certains de ses confrères.

Ensuite, il mit en œuvre un certain nombre d’actions pour faire connaître les futurs impressionnistes au public : expositions gratuites pour le public dans sa galerie ; expositions individuelles organisées (Renoir, Monet, Pissaro, Sisley…) ; expositions de séries monographiques (à l’époque ce genre d’expositions étaient organisées pour les artistes à titre posthume) ; rétrospectives d’œuvres d’art des débuts de l’artiste jusqu’à ses créations les plus récentes ; expositions collectives (19 artistes et 250 œuvres exposées) ; expositions privées organisées dans son appartement du 35, rue de Rome, décoré d’œuvres d’artistes, pour des visiteurs ou hommes d’affaires qui pouvaient ainsi admirer les œuvres peintes et en même temps conclure des affaires autour d’un bon dîner…

En 1889, il créa la Revue internationale de l’art et de la curiosité puis en 1890 L’art dans les deux mondes, revue illustrée par des dessins commandés aux artistes. De grands critiques de l’époque y contribuèrent pour faire des articles sur les impressionnistes et convaincre le public de s’y intéresser. C’était très novateur pour l’époque.

En 1863, Paul Durand-Ruel devint également expert en vente publique auprès des commisseurs priseurs. Il put ainsi estimer des œuvres d’art, authentifier les tableaux et écarter les faux du marché. Il mit en place des mécanismes qui permirent aux artistes de soutenir leur cote, mécanismes qui sont encore appliqués aujourd’hui dans le marché de l’art contemporain.

Il créa un réseau de galeries nationales et internationales pour faire connaître les impressionnistes en France et à l’étranger : à New-York aux États-Unis, en Europe, à Berlin en Allemagne (où Paul Cassirer, marchand indépendant devint le représentant des impressionnistes) et à Londres en Grande Bretagne). Vers les années 1886, Paul Durand-Ruel s’imposa alors comme la référence absolue de l’impressionnisme des deux côtés de l’Atlantique. Son rêve était que les collectionneurs puissent un jour revendre leurs acquisitions à de grands musées comme le Louvre, le musée de Philadephie…

Entre 1891 et 1922, il acheta une quantité incroyables de tableaux, soit près de 12.000 œuvres dont plus de 1000 tableaux de Monet, 1500 de Renoir, 400 de Degas, 400 de Sisley, 800 de Pissaro, 200 de Manet, 400 de Mary Cassat. L’art devint une valeur marchande.

Enfin, il se mit en relation avec les banques et la finance pour se donner les moyens de ses ambitions (contracter des emprunts pour acheter les œuvres d’art, soutenir les artistes).

Le combat sur tous les fronts

Paul Durand-Ruel - Monet

Passionné par l’art et doté d’un flair indiscutable et sans faille, Paul Durand-Ruel a toujours pris des risques et mené le combat pour aller au bout de ses ambitions.

Il soutint sans défaillances les artistes, même lorsque ceux-ci se décourageaient. C’est ainsi qu’il sauva les tableaux de Monet de la destruction en lui avançant l’argent nécessaire : «Je vous envoie les 1500 francs que vous me demandez. Je voudrais vous envoyer aussi du courage pour surmonter les mille difficultés que vous rencontrez à chaque pas. C’est dans l’adversité que naissent les meilleurs enseignements et n’allez pas croire que vous n’ayez rien appris dans votre lutte contre la nature. Revenez dès que vous voudrez et vous chercherez, nous chercherons ensemble si vous voulez, ce que vous voudrez faire».

Il défendait les artistes même lorsque ceux-ci avaient des convictions politiques différentes du bourgeois, fervent catholique, monarchiste convaincu qu’il était : le communard Gustave Courbet, et plus tard le républicain athée Claude Monet ou encore l’anarchiste Camille Pissaro. En outre, il brava l’opinion défavorable qu’avaient les marchands d’art et le public à son égard. Auguste Renoir lui écrivit : «Ils (le public, la presse et les marchands) auront beau faire, ils ne tueront pas votre vraie qualité : l’amour de l’art et la défense des artistes avant leur mort. Dans l’avenir, ce sera votre gloire» (2).

Il subit plusieurs fois des crises, frôlant à plusieurs reprises la faillite. Lorsqu’il ne put plus acheter, il demanda aux artistes de vendre directement aux collectionneurs. Lors du krach de la banque de l’Union générale qui entraîna sa chute, il fut sommé de rembourser ses créanciers. Il se retrouva à la limite de la faillite. Il fut obligé de vendre à bas prix des toiles de l’école de Barbizon et de certains impressionnistes et de mettre en gage des œuvres chez des créanciers, qu’il mettra plus de dix ans à rembourser, respectant toujours sa parole.

Il fut également accusé d’une affaire de contrefaçon de tableaux, destinée à le faire tomber. Il fut alors soutenu et défendu par les artistes.

Ainsi Paul Durand-Ruel consacra sa vie à l’art et à la fin de sa vie, il eut le grand bonheur d’assister au succès de Monet, Renoir, Degas ou Cassatt. Il sut allier raison et intuition, affirmer ses convictions, combattre avec pugnacité et persévérance, pour que de simples artistes rentrent dans l’Histoire et deviennent immortels.

Par Marie-Agnès LAMBERT

 


(1) Mémoires de Paul Durand-Ruel, établies, présentées et annotées par Paul–Louis et Flavie Durand-Ruel, éditions Flammarion 2014
(2) Lettre de Renoir à Paul Durand-Ruel, novembre 1885

 

Lire L’Objet d’Art – hors-série n°81, Paul Durand-Ruel, le pari de l’impressionnisme – septembre 2014

Site internet : www.durand-ruel.fr

 

Musée du Luxembourg

19, rue de Vaugirard – 75006 paris

www.museeduluxembourg.fr

Tel : 01 40 13 62 00

Exposition : Paul Durand-Ruel, le pari de l’impressionnisme

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