RevueSciences humaines

La Masculinité non toxique

Face aux dérives du masculin toxique – agressivité, domination, refus de la vulnérabilité –, il devient urgent de redéfinir la polarité masculine et la façon dont elle peut s’exprimer. 

De nombreux systèmes de connaissance métaphysiques reposent sur l’idée que tout commence par un principe vivant, éternel et non manifesté, souvent appelé simplement « l’Un ». Parfois, ce principe est également symbolisé par un principe duel qui, dans la Cosmogénèse de Helena Petrovna Blavatsky, est appelé « Père-Mère » – « père » faisant référence au principe de l’esprit ou de la conscience, et « mère » au principe de la substance, à la racine de la matière.

Ainsi, tout ce qui existe descend de cette dualité primordiale, qui était à l’origine une unité.

La dualité primordiale dans les traditions 

Nous pouvons voir cela clairement exprimé dans le symbole Yin-Yang de la Chine ancienne. Le Yin est symboliquement désigné comme le féminin, tandis que le Yang est désigné comme le masculin. Certaines caractéristiques du Yin sont la terre, la féminité, l’obscurité, la réceptivité, tandis que le Yang serait le ciel, la masculinité, la lumière, l’activité. Les deux procèdent du Grand Ultime, le Taiji.

Dans ce symbole, nous ne voyons pas une division rigide entre le Yin et le Yang, le masculin et le féminin, mais une nature fluide dans laquelle chaque qualité renferme en elle la semence de l’autre, symbolisée par un point noir dans la partie blanche et un point blanc dans la partie noire. Ces points grandiront jusqu’à ce que le blanc devienne noir et que le noir devienne blanc. Ce processus est décrit dans le Yijing ou « Le livre des mutations », qui montre comment chaque situation de la vie se transforme en une autre jusqu’à ce qu’elle revienne à son point de départ.

Le masculin et le féminin dans l’être humain

Dans la psychologie jungienne, on dit que chaque homme a une « anima », un archétype intérieur du féminin, tandis que chaque femme a un « animus », une image intérieure du masculin. Ainsi, aucun d’entre nous n’est exclusivement masculin ou féminin : chaque homme a un côté féminin et chaque femme un côté masculin. Cela ne signifie nullement que nous sommes tous identiques, mais plutôt qu’il existe une tendance prépondérante et une tendance équilibrante. 

La masculinité toxique

Les problèmes ont tendance à survenir lorsque le féminin intérieur, dans le cas des hommes, ou le masculin intérieur, dans le cas des femmes, est réprimé, généralement en raison de pressions et d’influences socioculturelles. C’est alors que peut apparaître ce que l’on a appelé la « masculinité toxique », c’est-à-dire une exaltation des qualités masculines supposées au détriment des qualités féminines. 

Selon Michael Flood, qui écrit dans The Conversation (1), « l’expression met l’accent sur les pires aspects des attributs masculins stéréotypés. La masculinité toxique est représentée par des qualités telles que la violence, la domination, l’analphabétisme émotionnel, la prétention sexuelle et l’hostilité à l’égard de la féminité ». Je suppose qu’il doit également exister une sorte de « féminité toxique », bien que l’on n’en parle pas beaucoup pour le moment.

Réprimer sa masculinité ou féminité intérieure

Il existe également un processus inversé dans lequel, au lieu de réprimer sa masculinité ou sa féminité intérieure (animus ou anima), un homme réprime sa masculinité extérieure, que ce soit en raison de pressions socioculturelles ou parce qu’il craint que son agressivité masculine naturelle n’éclate dans des expressions de violence et ne cause du tort à ceux qui l’entourent. De même, une femme peut réprimer sa féminité extérieure, là encore en raison de pressions socioculturelles (comme dans la culture « la dette » des années 1990) ou d’autres craintes souvent inconscientes, comme celle d’être la proie du désir masculin si elle se révèle trop féminine.

Il est donc important d’apprendre à canaliser ces forces naturelles que nous portons en nous du fait d’être né dans un corps masculin ou féminin, avec la psyché masculine ou féminine qui l’accompagne.

Les archétypes masculins

Un certain nombre de psychologues, principalement jungiens, tels que Robert Moore, ont longuement traité de ce sujet. Dans son livre, coécrit avec Doug Gilette, King, Warrior, Magician, Lover: Rediscovering the Archetypes of the Mature Masculine, publié pour la première fois en 1990, il analyse ces quatre archétypes en relation avec la psyché masculine.

            • L’amoureux

L’archétype de l’amoureux est particulièrement intéressant dans le cadre du thème de la masculinité non toxique, car il va à l’encontre du mythe dépassé selon lequel l’expression des émotions serait l’apanage exclusif des femmes. 

En réalité, l’expression d’émotions et de passions fortes est une caractéristique de l’archétype du héros (et souvent tout aussi bien de l’anti-héros), qui se distingue ainsi des autres en se présentant comme un être exceptionnel. 
Bien que les émotions et les passions soient souvent associées à une perte de contrôle et à l’égoïsme, il existe également des passions plus nobles telles que l’amour durable, la loyauté et l’amitié profonde. 

L’archétype de l’amoureux est également associé à la capacité de profiter de la vie, de vivre l’instant présent, de rire et de pleurer, non pas de manière hystérique, mais librement et spontanément.

                        • Le guerrier

Le guerrier est l’archétype peut-être le plus immédiatement associé au masculin, bien que l’histoire ait connu son lot de guerrières, telles que les « Amazones » de la Grèce antique ou Boadicée, reine des Iceni, qui a mené une grande révolte contre les Romains en Grande-Bretagne. Cela nous montre que les archétypes ne sont pas rigides et figés, mais qu’ils expriment des principes généraux, auxquels il existe toujours des exceptions naturelles.

Le guerrier se caractérise par le courage, qui est une vertu du cœur, du mot français « cœur ». 
Le guerrier idéal n’est pas un mercenaire, mais quelqu’un qui lutte pour une cause juste et noble. Il éprouve de l’amour et du dévouement pour un idéal ou une personne qu’il place au-dessus de lui-même. 

Dans La République de Platon, les guerriers servent et soutiennent les rois-philosophes. Dans le même ouvrage, Platon définit le courage comme la capacité à persévérer dans ce qui est juste, que ce soit en endurant la douleur ou en résistant à la tentation du plaisir. 

Bien que le courage ne soit en aucun cas l’apanage des hommes – il existe de nombreux exemples de courage féminin dans l’histoire, la nature et la vie quotidienne –, c’est une qualité particulièrement importante que les hommes doivent développer afin de mériter et de conserver leur respect de soi et leur dignité. Et comme l’ont souligné plusieurs philosophes, le courage n’est pas l’absence de peur, mais la capacité à « ressentir la peur et à agir malgré tout ».

                        • Le roi

Le roi est celui qui établit l’ordre et la discipline, et se caractérise par une justice bienveillante. En d’autres termes, il ne se contente pas de régner, mais il règne de la bonne façon et pense davantage au bien des autres qu’à son propre intérêt. 

Il ne s’agit pas de vouloir devenir littéralement roi ou souverain, mais d’être « le roi de son propre royaume », d’ordonner sa propre vie et d’agir avec bienveillance et justice envers soi-même et les autres. Un exemple pourrait être que si un jour nous sommes de mauvaise humeur, le roi en nous nous empêcherait de nous en décharger sur les autres, comprenant que notre humeur n’est pas la faute des autres et qu’il serait donc injuste de faire souffrir les autres pour quelque chose dont ils ne sont pas responsables.

                        • Le magicien

Le magicien est une personne qui maîtrise une compétence, et surtout, quelqu’un qui s’interroge sur lui-même et sur les lois de la vie et apprend à vivre en accord avec elles. Cet archétype a donc deux facettes : d’une part, devenir maître d’un art ou d’un métier, d’une compétence particulière, et d’autre part, devenir maître de soi-même. Dans la tradition occidentale, le magicien archétypal est peut-être Merlin, le mentor du roi Arthur.

Nous voyons ainsi que tous ces archétypes ont interdépendants : le guerrier sert le roi, le roi sert le peuple, le magicien enseigne au roi et l’amoureux sait comment vivre dans la joie. Combiner toutes ces facettes en soi-même mènerait à une vie épanouie et « non toxique ». Plutôt que de retourner à de vieux stéréotypes, ne serait-il pas meilleur de redécouvrir et de vivre ces archétypes éternels ?

À lire
Dieux intérieurs
Comment identifier votre archétype personnel
Laura WINCKLER
Éditions Acropolis, 2017, 252 pages, 15 € 

Une exploration des personnalités féminines et masculines, à travers les symboles universels de quatre visages de la féminité, représentés par les déesses grecques Aphrodite, Athéna, Déméter, Héra, et des visages de la masculinité, illustrés par sept dieux ou héros grecs, Dionysos, Hermès, Apollon, Arès, Héphaïstos, Zeus et Orphée.

Photo :  Artsy Solomon de Pixabay 
Article traduit de la revue de Nouvelle Acropole Royaume-Uni par  Florent Couturier-Briois
https://theconversation.com/toxic-masculinity-what-does-it-mean-where-did-it-come-from-and-is-the-term-useful-or-harmful-189298
Julian SCOTT
Nouvelle Acropole Royaume-Uni
© Nouvelle Acropole           
La revue Acropolis est le journal d’information de l’école de philosophie Nouvelle Acropole France

Articles similaires

Bouton retour en haut de la page