Sciences humaines

LUC BIGE, L’énigme de ma vie : Vers un développement impersonnel

Luc Bigé, docteur en sciences et fondateur de l’Université des symboles, se livre dans son dernier ouvrage, L’énigme de ma vie, vers un développement impersonnel, (1), à transmettre les impressions du mystère de sa vie, comme une synthèse poétique de toute cette richesse vécue.

L’œuvre de Luc Bigé aborde des territoires très divers tels la mythologie, l’astrologie, la symbolique du corps, mais aussi l’histoire et l’épistémologie. Dans son dernier ouvrage, issu des entretiens avec Sarah Hirschmuller, il nous invite à nous ouvrir au sens du mystère d’être vivant. Par petites touches, on voit apparaître un véritable chemin de vie et de sagesse. Voici quelques extraits inspirateurs.

Envisager la vie comme une énigme

Mais dès lors qu’on envisage sincèrement sa propre vie comme une énigme, on se connecte à son mystère. Le mystère que je suis pour moi-même, si je le reconnais et si je m’ouvre à lui, me relie immédiatement au grand mystère de la vie, auquel je deviens tout à coup étrangement disponible. Mes représentations tombent – du moins les plus inutiles d’entre elles –, et certainement les moins utiles à la vie. Quelque chose se dénoue, se désencombre et devient soudain infiniment simple.
Lorsqu’on ne fait rien – délibérément ou malgré soi, lorsqu’on s’ennuie, par exemple – on entre en contemplation avec soi-même. Il y a un enfer du faire. Sortir de l’injonction à faire est se donner une chance d’entrer dans le grand silence, de retrouver le sens ou le goût de soi comme mystère. Ce chemin commence à l’instant où je reconnais que je suis un mystère à mes propres yeux.

Nous sommes le fruit de l’histoire de l’Univers

La musique c’est l’art d’écouter les autres sonorités pour entrer en résonnance avec elles. Comment apprendre à résonner avec elles ? C’est ainsi qu’une société devrait fonctionner. Un bon chef d’orchestre ne fait rien, en réalité, il indique juste le mouvement du souffle…. Mais il donne à l’ensemble du groupe la conscience claire que le groupe est là au service de quelque chose de plus grand que la somme des individus. Il y a l’orchestre lui-même, et autre chose d’encore plus grand, quoi qu’invisible, au service du quoi l’orchestre se met. Il exprime ce qui transcende le groupe.
On voit bien que tout ce qui nous entoure et tout ce qui nous arrive, en ce moment même, est le fruit de l’histoire de l’univers. Nous sommes – vous, moi, maintenant dans cette pièce à boire ce thé – le fruit de l’histoire de l’univers. Et cela, si l’on prend conscience, éveille une immense gratitude. Parce que tout ce travail ou plus exactement toute cette œuvre qui s’est produite depuis l’origine du temps, littéralement l’origine du temps, a abouti à ce que nous soyons là aujourd’hui. C’est un don pur. C’est le don immense de l’univers. Devant ce don, dont nous faisons d’ailleurs partie, ce don où nous-mêmes sommes un don qui est fait à nous-mêmes et au monde, on ne peut qu’être … transportés de gratitude.

Vivre sans contact avec la transcendance est impossible à l’homme

L’âme, le Soi, l’être essentiel… Le terme d’âme a une connotation religieuse, celui du Soi une connotation jungienne – ou plutôt orientale à l’origine. Nous tentons de designer cet espace d’ouverture, de pure présence de soi dans le cœur, qui installe toute la personne dans son être propre, qui la « cale » dans une pure simplicité, qui fait qu’elle n’a plus besoin du regard des autres pour exister. Lieu de refuge, d’amour, de paix, de lumière ou de silence, l’expérience que chacun en fait est différente. Mais il s’agit de l’unique lieu, en soi, où se découvre notre identité véritable. Quand ce lieu est découvert, quand nous parvenons à habiter ce lieu en nous, alors tout le reste de soi, de sa personne, devient … personne. Il n’y a plus « personne », il y a le Soi.
Vivre sans contact avec la transcendance est impossible à l’homme, le gouffre intérieur se creuse s’il ne peut plus chercher dans le ciel et les étoiles le secret de son propre mystère. » Pour ce qui est de l’immanence, il s’agit de s’ouvrir à la gratitude, de développer l’art de ressentir autour de soi les autres, les êtres, les champs magnétiques, le tien, le mien, celui de cette pièce ; l’art de se laisser toucher par eux. Puis, par extension, ressentir les êtres, les énergies au-delà, étendre sa conscience à de plus grands espaces, se sentir appartenir. 

La nature fait bien les choses

La nature sauvage n’obéit pas à la règle « que le meilleur gagne ». La nature sauvage vit, certes, dans le conflit, mais c’est un conflit qui crée de l’harmonie. Une harmonie d’une invraisemblable beauté, d’ailleurs – la beauté de la nature n’échappe à personne. Les conflits naturels génèrent des échanges et conduisent à une évolution harmonieuse du système, tandis que nous, les hommes, créons des conflits qui génèrent du chaos, et pas mal de laideur. « La nature fait bien les choses », dit le dicton, et nous … plutôt mal. Du moins aussi longtemps que nous méconnaissons notre condition, qui est d’être vivants, d’être, nous aussi, des fruits de la vie. Et rien d’autre.

Où puis-je être le plus utile en fonction de mes compétences profondes ?

Si je m’inspire des travaux de Dumézil, je dirais qu’il y a trois voies de connaissance de soi, reposant sur les trois fonctions à l’œuvre dans le monde indoeuropéen : la fonction de souveraineté, la fonction guerrière et la fonction de production. On peut en déduire trois grandes familles d’approche pour aller vers soi-même.  Nous avons déjà évoqué la première voie, celle de la souveraineté : la méditation, la descente intérieure, l’observation de soi, la gratitude. Mais on peut aussi emprunter la seconde voie, qui est la voie guerrière du don de soi à plus grand que soi, à la défense d’une cause ; ou encore, emprunter la troisième voie, celle de la production : créer une œuvre-d’art, d’artisanat, de pensée, cultiver un jardin, que sais-je… être dans l’action, dans un « faire », mais un faire qui n’est pas alimentaire, qui est essentiel. Où puis-je être le plus utile en fonction de mes compétences profondes ? Voilà une question qui permet un choix éclairé, au sens le plus intime du terme.

S’ouvrir à l’inconnu, au mystère, vers l’énigme de l’existence

S’ouvrir à l’inconnu, c’est aussi -je vais le dire comme ça faute de mieux, bien que ce soit très inadéquat – arrêter de donner de l’importance à soi-même. Aussi longtemps qu’on est attaché à soi-même, on reste fermé à l’inconnu. Forcément. Il faut bien, à un moment, arrêter de s’occuper de soi. Le développement personnel prescrit l’inverse, « occupez-vous de vous, prenez soin de vous. » Bien sûr qu’il faut s’occuper de soi pour aller vers un mieux-être. Il y a des stades, des étapes. Mais vient un moment où le mieux-être, on ne voit pas très bien où ça conduit. Vient un moment où l’on a fait le tour du mieux-être, où l’on commence à rechercher le plus être. Alors le développement personnel n’est plus d’aucun secours. » C’est là qu’il faut s’ouvrir à l’inconnu, c’est-à-dire retourner sa conscience vers le mystère, vers l’énigme de l’existence. Et là, vraiment, il n’y a pas de recette. Personne ne viendra te dire ce qu’est l’énigme de ta vie. D’abord parce que ton énigme est unique, et ensuite…
Ensuite parce qu’ultimement, cette énigme n’est pas la tienne. Elle appartient à la grande géométrie, au grand jeu, à la danse de l’univers qui te traverse.

Notre cœur est un espace de mariage entre la transcendance et l’immanence

Les rapports de domination, le besoin irrépressible de liberté et le besoin de territoire sont trois qualités animales que l’homme continue de vivre dans sa propre nature, et selon ses modalités propres, c’est-à-dire : avec toute son intelligence. Il les amplifie, les complexifie, les théorise et finalement les rend infiniment plus redoutables. Mais cette intelligence-là n’a pas encore contacté le monde des étoiles. Elle n’a pas suffisamment développé sa capacité à se laisser féconder par l’intuition, son attention et sa sensibilité aux besoins de l’univers, sa compréhension de l’harmonie entre tous les règnes, sa capacité à trouver sa place dans la nature… Nous sommes en phase de transition, et je pense que cette période apparemment sombre dans laquelle nous entrons actuellement pourrait permettre ce redressement-là, que cela fait probablement partie de l’histoire de l’espèce. Notre époque est difficile parce que nous avons rejeté à la fois l’idée de transcendance et la réalité d’un contact immanent, horizontal, avec ce qui nous entoure. Cela fait beaucoup.

Dans l’immanence, c’est la conscience qui s’ouvre à plus grand que soi, peu à peu, à travers son entourage, toujours dans une dimension horizontale. Elle s’ouvre à l’Immense, en fait. Dans la transcendance, il s’agit d’accueillir des forces et des puissances capables de nous métamorphoser, de nous transformer, avec tous les risques que cela comporte, dont celui de l’ivresse du pouvoir – où l’on a tôt fait de se prendre pour un dieu. L’immanence est l’expansion horizontale de la conscience à travers le monde connaissable ; la transcendance c’est la descente verticale de l’inconnaissable. Notre cœur est un espace de mariage entre la transcendance et l’immanence. Poser sa conscience dans son cœur ouvre la sensibilité à l’immanence, c’est-à-dire à tout ce qui se trouve autour de soi, et en même temps, cela crée une matrice capable de recevoir la transcendance. 
Ce qui va faire changer nos comportements, c’est une conscience mieux installée dans l’espace du cœur et de la compassion, une conscience qui a développé les qualités du cœur que sont la gratitude, la non-compétitivité, la sensibilité à la souffrance des autres, de la nature et des animaux. Car au fond, quel est le but de la vie ? On pourrait certes en deviser des vies entières ; mais pour moi, l’ultime réponse à cette question, c’est : la vie. Le but de la vie, c’est la vie. 

(1) Luc Bigé, L’énigme de ma vie, Vers un développement impersonnel, Éditions Almora, 2023, 128 pages, 12 €
Toutes les citations sont extraites de l’ouvrage de Luc bigé cité ci-dessus
LAURA WINCKLER
Co-fondatrice de Nouvelle Acropole en France
© Nouvelle Acropole 
La revue Acropolis est le journal d’information de Nouvelle Acropole

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