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Saint-Emilion, l’initiation dans la pierre et la vigne

À Saint-Émilion, en Gironde, il existe une église monolithe, entièrement creusée dans la roche, fondée par les moines bénédictins. Une église originale, la plus vaste église monolithe d’Europe dont la réalisation rappelle le développement de la cité autour d’une activité de pèlerinage sur le tombeau du saint patron, saint Émilion, sans oublier l’activité de la vigne.

Un passé sans drame majeur, Saint-Émilion n’est pas une cité guerrière mais bourgeoise et monastique. Quatre communautés monastiques se sont succédées : du VIe au XIe siècle, les bénédictins élèvent un monastère à l’emplacement actuel du château Ausone. Ils sont les inspirateurs de l’église monolithe avec l’ordre des Templiers, puis ils adoptent la règle de saint Augustin au XIIe siècle. À partir du XIIIe siècle les franciscains et les dominicains animent la vie de la cité (enseignants des arts et des sciences, soignants, jardiniers et vignerons, accueil des pèlerins).

Au cours des siècles, trois sanctuaires monolithes ont été édifiés par des « planteurs de foi » qui deviendront « planteurs de ceps ». Des alignements de menhirs ont été les ancêtres des observatoires astronomiques. Orientés vers le Soleil levant aux différents solstices, ils constituent des lignes de visée permettant de déterminer les groupes d’étoiles des solstices, de partager la circonférence céleste en 12 parties, de suivre les mouvements de la Lune, de fixer les dates des fêtes, des travaux champêtres…
Des recherches attribuent l’implantation des menhirs au Moyen-Orient, berceau de la civilisation pastorale, de la métallurgie et de l’écriture et qui s’est distinguée par des constructions colossales (menhirs, dolmen, cromlech, obélisques, pyramides…). Il y a 4500 ans ces savants bâtisseurs s’aventurèrent sur l’Océan atlantique pour l’étain, indispensable avec le cuivre pour faire le bronze.

Les premiers monastères

Saint Patrick (385-461) convertit les druides irlandais à la foi chrétienne. Ils iront à leur tour prêcher en Europe, dont la France déchristianisée après la chute de l’Empire romain. Saint Colomban (540-615) est de ceux-là. Il fonda plus de 200 monastères selon les règles de saint Benoît (480-547) et transmit une culture savante profane et sacrée originaire d’Irlande et des plus anciens occupants de l’île : les Phéniciens qui avaient introduit les cultes égyptiens. Au début du VIIe siècle, ces moines chrétiens imprégnés de traditions celtiques installèrent un monastère près d’un imposant menhir où existaient déjà un ermitage druidique et une source miraculeuse. Le menhir de Pierrefitte est face au promontoire rocheux de l’actuel clocher de Saint-Émilion et offre un excellent point de visée du Soleil levant. Ce menhir mesure 5 mètres de haut et pèse 50 tonnes, taillé en forme de main droite qui salue le Soleil levant au solstice d’hiver. La destruction du monastère par les Sarrasins au VIIIe siècle précéda de peu l’arrivée de l’ermite Émilion. Originaire de Vannes, proche de Carnac, il s’établit dans une cavité rocheuse face au menhir. Il pérennisa la symbiose entre tradition celte et tradition chrétienne. Par son charisme et sa sagesse, il laissa une communauté dynamique.

Un sanctuaire monolithe souterrain

Les moines-druides sont à l’origine du sanctuaire monolithe creusé dans la falaise sous le domaine de l’actuel Château de Ferrand. Après avoir passé une porte on découvre une galerie de 7 salles alignées, chacune s’ouvrant sur la vallée, ouvertures orientées vers le Soleil levant du solstice d’hiver, projetant 7 raies de lumière sur 7 sièges. À chaque extrémité de la galerie, une loge pour un gardien ou guide, celle du fond s’inscrivant dans un cercle de 4m de diamètre, lui même dans un carré de 4m sur 4m. Un siège dans chaque salle pour le méditant, face à l’ouverture qui marie le carré et le cercle.

Suit une salle avec 7 sièges en arc de cercle, puis un labyrinthe monolithe avec des culs de sac et parois perforées de petits trous pour communiquer, ainsi que 2 loges.

L’église monolithique, orientée pour l’évolution mentale du pèlerin

Les bénédictins sont également les inspirateurs de l’église monolithique du XIe et du XIIe siècles. Face au fronton du portail de l’église romane (aux dimensions de cathédrale), le pèlerin est confronté au Jugement dernier et happé par la béance noire au-delà des portes ouvertes. À l’intérieur, aucune sculpture chrétienne habituellement rencontrée. Les parois sont décorées d’un entrelacs de losanges rouges dans lesquels sont peintes des roses rouges à cinq pétales : la rose primordiale, rose héraldique, symbole de renaissance spirituelle par un retour aux sources. Or le christianisme a rejeté la rose comme étant un symbole païen et par son attachement à Vénus, elle devint l’emblème des prostituées. C’est au Moyen-Âge que les premières roses ont été à nouveau importées et cultivées par les Croisés en provenance de l’Orient. Après ce premier choc émotionnel, trois caractéristiques annoncent au pèlerin la vocation initiatique du lieu :
– L’orientation de la nef inversée, le maître-autel se trouve à l’Ouest ! Cet axe expose l’entrée de l’église au Soleil levant du solstice d’hiver, alors que le Soleil couchant du solstice d’été illumine le rocher au dessus du maître-autel. Cet axe symbolise l’évolution mentale du pèlerin, une deuxième naissance en entrant dans l’église (aube de sa vie spirituelle).
– Le sol de la nef s’élève légèrement vers l’Ouest et se termine par trois marches qui confirment la progression.
– Une chapelle taillée dans la masse dédiée à saint Nicolas dont la statue vêtue de rouge est encadrée de deux serpents au dessus de deux flacons d’apothicaire. Nicolas, de « nikè » victoire et « laas » pierre, soit vainqueur de la pierre. Elle nous signale la présence de prêtres érudits pratiquant « l’art sacré », l’alchimie. La coquille de saint Jacques au-dessus de l’autel rappelle le symbole du patron des alchimistes.

Puis s’avançant dans l’église le pèlerin aperçoit, gravé en relief dans la voûte, deux anges à 4 ailes, les keroubims ou chérubins. Seule représentation de la puissance divine dans le temple de Salomon pour garder les Tables de la Loi (Exode, 25,22), qui nous amène à l’ordre des Templiers. Si les bénédictins apportent la tradition celtique, les moines-soldats marient les cultures Orient-Occident.

Les catacombes, signature des Templiers

L’ordre des Templiers démarre en 1118 avec Hugues de Payns, responsable de la sécurité des pèlerins en Palestine avec neuf compagnons, dans un contexte de Guerre sainte. Ils œuvrent jusqu’à leur anéantissement en 1312 par décision de Philippe le Bel et du pape Clément V. On retrouve à l’entrée des catacombes de Saint-Émilion la signature des Templiers : une croix pattée, une chapelle en forme de rotonde évoquant le Saint-Sépulcre; un corps de logis dénommé la commanderie leur fut attribué dans la ville; la patronne de Saint-Emilion est Marie Madeleine que vénéraient les Templiers. Le message initiatique est gravé sur la paroi au fond de l’église, un triptyque surplombant le maître-autel :
– Un homme qui tient en respect un dragon avec un bâton et qui n’a rien d’un saint Georges, plutôt un dompteur face à une bête qui le domine. Première étape de l’initiation, on apprivoise le dragon, on maîtrise ses instincts et ses pulsions.
– Un joueur de viole. L’apprenti chevalier doit ouvrir son esprit aux arts (musique, mathématiques, géométrie, astronomie, philosophie, …) pour s’arracher aux ténèbres de l’ignorance.
– Au centre, un grand vase. Le contexte culturel du XIIe siècle n’est pas sans évoquer le Graal, la quête des chevaliers du Graal, un code de chevalerie. Devenu chevalier par une transformation radicale du cœur et de l’esprit, le disciple peut accéder au Graal et œuvre pour servir la communauté humaine, pour une nouvelle civilisation : ici, le royaume du Seigneur annoncé par les Évangiles.

Saint-Émilion, Miroir du vin

Saint-Émilion est aussi le miroir du vin, ce vin qui, au dire des alchimistes, « marie les étoiles d’en haut et les étoiles d’en bas », il n’a pas son pareil pour relier l’homme aux forces intimes de la nature. Le vin a une ascendance divine, tous les peuples vignerons vénèrent le vin et sa mère la vigne. Sur les rivages de l’Europe, la vigne évince les arbres sacrés. Du menhir de Pierrefitte au vin en passant par les grottes de Ferrand, l’église monolithe, ces hommes portaient le même idéal, tourné vers le solstice d’hiver qui nous invite à une renaissance.

Pour se rendre à Saint-Émilion
Place de l’église monolithe
33 330 Saint-Émilion
Bibliographie :
Saint-Émilion, voyage dans l’inconnu, François Querre – Jacques de Givry, Éditions Georges Naef, 2009, 95 pages,
25 €
Saint-Émilion, quand les pierres parlent, François Querre – Jacques de Givry, Éditions Georges Naef, 2005, 95 pages,
25 €
Saint-Émilion, 20e anniversaire de l’inscription à l’UNESCO, Éditions Terre de Vin
https://www.terredevins.com/actualites/20-ans-unesco-saint-emilion-toute-une-histoire
Par Marc GILET
À lire
Saint Benoît
Par Odon HUREL
Éditions Perrin, 2019, 277 pages, 23 €
L’auteur est directeur de recherche au CN.R.. et spécialiste du monachisme bénédictin. Dans cet ouvrage, il démêle mythes et réalités pour retracer l’histoire peu connue de ce « patriarche des moines d’Occident » et décrire l’originalité de la règle de saint benoît ». Le pape Paul VI l’a proclamé en octobre 1964  « patron principal de toute l’Europe ».

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