ArtsHistoire

L’art préhistorique un nouveau regard sur nos ancêtres


« Quand tu es seul et crois que tu peux faire ce que tu veux, n’oublie pas le vieux sage qui habite en ton cœur. Ce vieux sage est l’incarnation vivante en nous des images archétypiques. C’est l’homme aussi vieux que le monde, qui pendant deux millions d’années a vécu la vie humaine avec toutes ses souffrances et ses joies, qui a thésaurisé en soi les images fondamentales de l’existence et qui, au nom de l’expérience éternelle, évoque une image qui fait communier avec le fond humain toute situation individuelle, en apparence unique. »

Carl Gustav JUNG

L’exposition sur l’art préhistorique actuellement présentée au Musée de l’Homme (voir encadré) nous met en contact avec la surprenante finesse et cohérence des représentations artistiques dites primitives qui résonnent en nous avec une familiarité troublante.

Au-delà de l’émotion esthétique devant les œuvres présentées, cette exposition nous interroge sur l’identité et l’unité des populations préhistoriques par-delà les frontières d’espace et de temps.
En présentant une fresque des œuvres les plus anciennes connues d’Homo sapiens remontant à – 40 000 ans, l’on constate avec étonnement que les plus vieilles n’ont rien à envier aux plus récentes. Ainsi la qualité des fresques de la grotte de Chauvet qui remontent à – 36 000 ans est comparable à celles de Lascaux, réalisées vers – 19 000 ans. Nous sommes dans de longues échelles de temps et on ne peut plus parler, comme on le faisait avant, d’une évolution progressive et linéaire du plus simple vers le plus complexe.

Un nouveau paradigme pour l’art primitif ?

Ceci remet-il tout bonnement en cause la notion d’art primitif ? « L’art de la préhistoire est loin d’être figé, le renouvellement des connaissances est constant. La préhistoire est une jeune discipline scientifique » dit Éric Robert (1). Il nous explique qu’il s’agit d’une science en construction qui évolue avec les nouvelles techniques et fait reculer constamment les dates des origines de l’humanité. On maintient des classifications par confort basées sur les modes de production des outils, mais tout cela est très relatif et changeant, obligeant à une grande ouverture d’esprit face aux découvertes incessantes qui modifient les paradigmes en cours.
Riches des découvertes des premiers paléontologues avec des ébauches d’interprétation, les nouvelles générations de chercheurs avancent dans la recherche de sens de ce besoin humain de se relier intimement à la nature qui l’entoure et à lui-même à travers ces représentations animales et humaines.

L’humain en l’homme présent dès l’origine ?

Une diversité de styles et de symboles ainsi que les bases communes qui apparaissent dans des lieux si divers comme l’Europe, l’Afrique et jusqu’en Sulawsi, en Indonésie font émerger la notion de culture et prouvent l’existence d’une humanité capable de réflexion et de transmission avec un référentiel commun.
Ces œuvres nous parlent d’une humanité une, douée d’intelligence et voulant transmettre son vécu. Sa capacité d’adaptation aux conditions difficiles de la période glaciaire nous interroge et nous propose une réflexion sur notre propre capacité d’adaptation aux changements à venir sur notre planète.
Nos ancêtres sapiens (et probablement les humanités précédentes) étaient doués de réflexion et pour cela, nous devons nous interroger sur la dimension philosophique de leur message et de leur époque, ce qui nous invite à renouveler notre regard sur leurs œuvres. C’est la proposition de Jean-Paul Jouary (2) : « Cette civilisation d’hier n’est pas primitive. Ce vocable est erroné, fautif qui déconsidère ceux qui nous ont précédés, comme si nous avions, avec le progrès scientifique et technique, augmenté notre intelligence depuis. La propension à considérer les cultures  » traditionnelles »  ou  » primitives » comme statiques, tandis que la nôtre serait en progrès, oublie le dynamisme de la tradition orale. La transformation n’est pas l’apanage des sociétés  » modernes ». Peut-être au contraire, est-ce nous qui, en dépit de nos progrès théoriques et techniques, de la raison, de l’utilitarisme et de l’efficacité, pour ne pas dire de la productivité et de la domination, avons depuis lors perdu quelque chose : ce qui relève de la sensibilité, de la sensation, de l’affectivité, de l’incertain, de l’intuitif, du plaisir, du jeu et donc de l’art d’être humain ? En d’autres termes, vivons-nous une déshumanisation ? »
Ces réflexions nous invitent à rester humbles et admiratifs devant le message de nos ancêtres à écouter plus avec le cœur qu’avec la tête et peut-être nous apporterons quelques réponses utiles à nos angoisses contemporaines.

Découvrir les trésors de l’exposition

Les trois thèmes principaux de l’art préhistorique sont les représentations animales, les signes géométriques et les figurations humaines. Le sujet de prédilection est l’animal. Les représentations humaines sont plus rares, surtout des silhouettes féminines, sculptées, gravées et peintes dont les styles varient tout en gardant un lien à travers des milliers d’années d’écart. Ils ont représenté également des vulves et de phallus.
Les spécialistes reconnaissent que le sens de cet art nous échappe, mais les œuvres d’une qualité exceptionnelle de précision, notamment les représentations de toute sorte d’animaux de leur environnement, depuis les sauterelles jusqu’aux mammouths, font preuve d’une acuité de vision et un sens artistique très sûr.
L’exposition est organisée en trois grands espaces. Le premier sur l’art mobilier consacré aux objets sculptés et gravés, façonnés par Homo sapiens depuis 40 000 ans. Le deuxième, sur l’art pariétal et rupestre avec des projections des fresques peintes gravées par nos ancêtres tout autour du monde. Le troisième, particulièrement original, est un hommage à la Venus de Lespugue qui demeure une muse inspiratrice pour l’art contemporain, en sachant qu’en 2022 on célébrait le centenaire de sa découverte dans une grotte de Haute-Garonne.
À partir du 8 février 2023, un autre clin d’œil au dialogue entre les arts a été mis en valeur avec une salle consacrée à Picasso et la Préhistoire, en sachant qu’il a dit sur la Venus de Lespugue, dont il s’inspira pour certaines œuvres, qu’elle évoquait « la quintessence des formes féminines ».


« L’art préhistorique n’a jamais été aussi contemporain » comme le dit Aurélie Clemente-Ruiz, directrice du Musée de l’Homme (Paris), à l’occasion de l’inauguration de la grande exposition Arts et Préhistoire (3), jusqu’au 22 mai 2023. De fait, les œuvres de cette exposition, dans leur infinie diversité, nous rappellent combien l’art est universel et intemporel et combien l’humanité est une.
Cette exposition offre une opportunité unique de voyager dans le passé à la rencontre des merveilleux artistes que furent nos ancêtres. Au-delà des célèbres Venus sculptées et des incontournables fresques de Lascaux ou Chauvet, l’exposition présente 94 pièces originales exceptionnelles, issues des riches collections du Musée de l’Homme et des prêts provenant de toute l’Europe, ainsi que des centaines d’images numériques de peintures et de gravures sur roche, montrant des œuvres de toutes les régions du monde.
Riches d’une diversité de formes et d’expressions insoupçonnées, elles illustrent le pouvoir de l’imagination et de la créativité humaine depuis la nuit des temps. Un regard neuf et enthousiaste sur les pratiques artistiques de la Préhistoire… jusqu’à nos jours.
Pour exemple, la riche interprétation très intuitive de la Dame de Lespugue proposée par Nathalie Rouquerol (4) ou l’interrogation sur la dimension chamanique des salles dites d’initiation des grottes de Lascaux, entre autres.
(1) Préhistorien, maître de conférences au Museum national d’Histoire naturelle et commissaire scientifique de l’exposition
(2) Jean- Paul Jouary, L’art paléolithique, réflexions philosophiques, Paris, L’Harmattan, 2001
(3) Exposition Arts de la Préhistoire, Musée de l’Homme, 16 novembre 2022 au 22 mai 2023, consulter : https://www.mnhn.fr/fr/exposition-evenement/arts-et-prehistoire
Consulter l’ouvrage : Arts et préhistoire, sous la direction scientifique de Patrick Paillet et Éric Robert, Éditions Man, 2022
(4) Voir article sur Venus de Lespuge dans la revue page 9
Lire l’article paru dans la revue Hérodote Arts et Préhistoire, Quarante mille ans d’expressions artistiques
https://www.herodote.net/Arts_et_Prehistoire-enjeu-665.php
Laura WINCKLER
Co-fondatrice de Nouvelle Acropole en France
© Nouvelle Acropole
La revue Acropolis est le journal d’information de Nouvelle Acropole

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