Philosophie

Les sectes

De temps en temps, que ce soit à l’occasion d’une circonstance ponctuelle ou par besoin de combler un vide médiatique, le sujet des sectes est remis au goût du jour.

Nous ne trouvons aucune définition claire ou objective de la secte. Le seul dénominateur commun le plus souvent admis est qu’une secte est mauvaise et que, même si elle ne l’est qu’à moitié, elle est suffisamment suspecte pour risquer de le devenir tout à fait d’un moment à l’autre.
Néanmoins, nous trouvons quelques éléments qui, par leur répétition, devraient pouvoir permettre d’esquisser une définition.

La finalité d’une secte paraît devoir être l’exploitation de ses « adeptes », terme adopté officiellement pour désigner ses composants – et l’enrichissement de son ou de ses dirigeants. Dès lors, tout ce que peut proposer ou offrir la secte n’est qu’une vulgaire couverture. Derrière toute secte se trouve forcément un but inavouable, bien au-delà de l’exploitation des personnes et de l’encensement de leurs chefs.
Ainsi, découvrira-t-on ici un trafic d’armes, là un trafic de drogues, ailleurs un réseau de prostitution, une filière politique proscrite ou démodée, des escroqueries de haute volée, que sais-je encore.

On sait quand on entre dans une secte, on ne sait jamais quand on en sort, dit-on fréquemment. En d’autres termes, on y emploie des techniques coercitives pour empêcher tout abandon du groupe. Une fois dedans, la secte effectue le fameux « lavage de cerveau », annulation ou altération de la personnalité, pouvant entraîner parfois de graves perturbations psychologiques.

On les accuse de promouvoir le repli par rapport à la société, dans des propriétés campagnardes isolées, où les « adeptes » sont soumis à des régimes de sommeil et de nourriture restreints, dans la seule idée de les soumettre servilement au bon vouloir du ou des dirigeants. Ou encore de lutter contre la cellule familiale, bannissant la saine convivialité qui devrait régner entre pères et enfants, mari et épouse, frère et sœur, entre amis et entre copains.
Ainsi, à grands coups d’a priori, on ébauche le portrait lamentable de « l’adepte » et de l’influence néfaste qu’exerce sur lui le gourou charismatique. Mais seuls de fieffés imbéciles se laisseraient berner par une secte de ce genre… ce qui réduit déjà considérablement le risque.

Faute de secte, des comportements sectaires

Une secte est un groupe ou une organisation qui relève déjà de l’intolérable liberté de conscience et d’association, pensent certains ; aussi tente-t-on à tout prix de matérialiser sa face obscure en cherchant des faits manifestement délictuels, illicites.
Et quels sont donc ces prétendus délits ?
On nage ici en eaux troubles car personne ne peut se soustraire aux lois quand une faute grave peut être prouvée, qu’elle soit ou non le fait d’une secte. Alors on se contente d’incriminer les sectes d’une prétendue atteinte à la liberté physique et psychologique, à cette liberté de conscience dont chacun dispose pour s’approprier des idées.

Mis à part, bien entendu, le cas d’une séquestration qui empêcherait la personne de se mouvoir comme bon lui semble, il semble bien difficile de déterminer si une association porte vraiment atteinte à la liberté de conscience, ou si c’est l’individu qui exerce sa propre liberté de conscience en y adhérant.

Ceux qui tirent bénéfice des sectes

Grâce aux sectes, des groupes « anti-sectes » voient le jour et recueillent des subsides conséquents, afin de déprogrammer les « adeptes » ou de conseiller leurs parents. Et voilà que fleurissent des cabinets de sectologues, les associations de défense de parents et d’enfants, qu’ils soient pro ou anti. Leur système de défense est aussi agressif que celui des sectes qu’ils attaquent.
Grâce aux sectes, des journalistes ont fait leur lit de la publication de livres qu’ils ne cessent de mentionner et de promouvoir à tout va. Grâce aux sectes, nous avons des « experts » de la dernière heure qui, sans approfondir leur sujet et sans descendre vraiment sur le terrain des sectes, établissent toutes sortes de catégories et sont promus au rang de vedettes.
Grâce aux sectes, les médias remplissent leurs espaces et vendent du scandale, qu’il soit fondé ou pas. On s’étonne de voir se répandre une nouvelle sans la moindre confirmation de véracité, tout le monde copiant sur tout le monde, et chacun y ajoutant son grain de sel. Tant et si bien que c’est parfois l’effet inverse de celui recherché au départ qui est ainsi obtenu, la méfiance finissant par s’installer envers ces supports supposés informer et non déformer.


Les autres sectes et les autres délits

Si nous tenons pour justes les définitions qu’on donne des sectes et réels les délits qu’on leur attribue généralement, un rapide tour d’horizon nous permet de vérifier qu’il ne suffit pas de faire partie d’une secte pour commettre un de ces délits ou en être la cible.
Nombre de sociétés et d’institutions cachent des choses, n’affichent pas certains de leurs buts tout en agissant en accord avec d’autres, exploitent les gens, les maltraitent les prostituent, les harcèlent, et vont jusqu’à assassiner s’ils veulent éliminer des témoins indésirables.

Ne sommes-nous pas déjà suffisamment manipulés par la propagande et la politique sans qu’on ait besoin de sectes pour découvrir enfin ce qu’est la manipulation ? Nous achetons tous des choses qu’en réalité nous ne désirons pas et dont nous n’avons pas besoin ; mais l’injonction de la publicité est féroce. La majeure partie de la population va aux urnes pour un visage ou un discours plutôt que pour une idéologie politique bien comprise. N’est-ce pas là de la manipulation ? Et cette peur des enfers qu’on agite devant nous au regard de nos fautes, au lieu de promouvoir un développement salutaire de la conscience individuelle ?
Tous ceux qui se suicident appartiennent-ils à des sectes ? Pour douloureux que soient ces massacres collectifs, nous ne devons pas oublier que le taux de suicide a augmenté considérablement ces dernières années, et surtout dans les pays développés. Et les victimes de ces guerres inutiles et incompréhensibles dans lesquelles s’entredéchirent des peuples de religion, d’ethnie ou de langues différentes ?
Le monde saigne dans beaucoup d’endroits, et l’on ne devrait pas s’étonner que surgissent des sectes, bonnes, moins bonnes, ou mauvaises, qui veulent à leur manière proposer des solutions et des palliatifs.


Nouvelle Acropole

Il est évident qu’en tant que directrice internationale de cette association qui œuvre dans cinquante pays (1), je ne peux que me sentir concernée par la question.
Il se peut que je perde quelque objectivité à force d’entendre et de lire si souvent comment les autres voient Nouvelle Acropole et quelles en sont les finalités « occultes ».
Il se peut que je sois indignée de voir une association culturelle œuvrant depuis trente-sept ans (2) être ainsi mise dans le vulgaire sac des sectes et, pire encore, de celles qui sont parmi les plus dangereuses et les plus destructrices, sans qu’il ne soit jamais démontré quoi que ce soit en ce sens.
Je ne suis pas un chef charismatique. Je suis une femme qui a consacré sa vie à l’étude et à l’enseignement. Je ne me suis pas enrichie ; j’ai donné ce que j’avais de mieux à cette association qui incarne le meilleur de ma démarche humaniste. J’ai personnellement connu le fondateur de la Nouvelle Acropole (3) qui, au jour de sa mort, en 1991, n’avait pour toute richesse que deux mille pesetas en banque et ses vêtements…
Je ne cherche pas des « adeptes » ; je veux des hommes et des femmes libres, capables de penser et de choisir par eux-mêmes. Je considère totalement légal de donner l’opportunité d’accéder à la proposition philosophique de Nouvelle Acropole, car d’une certaine façon il faut que les idées circulent. Et si le fait de donner des conférences et des cours est une forme illicite d’influence, qu’on me montre une autre voie plus appropriée.
Et oui, je suis convaincue que, tous, nous pouvons changer notre personnalité pour l’améliorer, en dépassant nos impuissances et nos faiblesses pour les convertir en facultés positives et en action généreuse afin de vivre en harmonie avec tous ceux qui nous entourent. Un idéal humaniste ne cherche pas à s’enfermer dans son réduit, mais au contraire, il veut donner ce qu’il a à ceux qui veulent bien l’accepter.
Nouvelle Acropole est aussi le produit de ce monde, de cette page d’histoire, de ses difficultés et de ses potentialités. Elle se nourrit de tous les sages et penseurs qui ont cherché à promouvoir la dignité et l’esprit humains ; ce n’est pas un courant à part de la philosophie mais, au contraire, elle tente de suivre le même chemin que celui qu’ont tracé les philosophes pour d’autres civilisations avides de vigueur et d’élan.
D’ailleurs, tous les groupes ne sont pas forcément des sectes. Et ce n’est pas un délit d’être un tant soit peu différent, de voir la vie avec d’autres yeux, et de croire que, aussi irrationnel que cela paraisse, il existe des valeurs spirituelles qui méritent d’être conquises, au-delà de tant de biens matériels qui nous sont proposés comme unique forme de devenir.

(1) Cet article a été écrit en 1995 au moment où Délia Steinberg Guzman présidait l’Organisation Internationale Nouvelle Acropole. L’actuel président est Carlos Adelantado Puchal
(2) Actuellement Nouvelle Acropole a 66 ans
(3) Jorge Angel Livraga
Traduit de l’espagnol par Yannick Mathe
Extraits d’un article paru dans la revue N°143 La spiritualité aujourd’hui, enjeux et défis, mai à aout 1995,
Lire l’article en intégralité
par Délia STEINBERG GUZMAN
Présidente d’Honneur de l’Organisation Internationale Nouvelle Acropole
© Nouvelle Acropole
La revue Acropolis est le journal d’information de Nouvelle Acropole

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