Le 8 décembre 2024 la cathédrale Notre-Dame de Paris a rouvert ses portes. Cinq années de chantier ont mis en lumière le savoir-faire des bâtisseurs d’hier et d’aujourd’hui, qui, inspirés par un idéal plus grand qu’eux, ont (re)construit ce chef d’œuvre, tout entier chargé de l’âme de la France.
Plus qu’un monument, c’est avant tout un symbole à la résonnance universelle que l’incendie du 14 avril 2019 a détruit. Pour l’évoquer Fernand Schwarz, anthropologue, philosophe, fondateur de Nouvelle Acropole en France, et Philippe Giraud, artisan tailleur de pierre du Perche, compagnon du Devoir et ouvrier sur le chantier de restauration, se sont réunis autour d’une conférence réalisée à la Cour Pétral (Perche), le mercredi 16 Octobre 2024.
Notre-Dame cœur spirituel et politique
C’est au Moyen-âge, au moment où les villes ont commencé à se développer, intégrant la cathédrale dans le centre de la ville et dans la vie quotidienne, que naît Notre-Dame. Entre la première pierre posée en 1163, par l’évêque Sully et sa consécration, deux siècles environ s’écoulent.
Fernand Schwarz nous rappelle le rôle historique qu’a joué la cathédrale. L’arrivée des cathédrales et notamment celle de Notre-Dame de Paris amorça la naissance d’un ordre spirituel de la royauté française, que l’on appela « cérémonie de la religion royale ». En effet, elle devint le lieu des grandes cérémonies : le sacre des rois de France, les Te Deum (Nous te louons Ô Dieu), prononcés au moment des Victoires, bénédictions nuptiales, mariages, funérailles de rois et, par la suite, funérailles nationales de personnalités diverses.
Un lieu d’accueil de la vie intellectuelle et du peuple
Au Moyen-Âge, Notre-Dame de Paris était fréquentée par les citadins, commerçants, artisans… qui y venaient discuter du prix du blé, des textiles dans la partie profane composée de la nef et des bas-côtés. Les médecins recevaient leurs malades dans des chapelles destinées à cet effet. Il y avait des pièces de théâtre populaire, des farces et des bouffonneries. Les loges d’artisans et de commerçants s’y réunissaient également et beaucoup d’entre eux seront des donateurs de vitraux et de chapelles.
Notre-Dame de Paris fut également un centre administratif et judiciaire, où des procès se déroulèrent entre le parvis et la cathédrale. Chaque cathédrale possédait des lieux de culture : un chapitre (collège de clercs), une bibliothèque, une école pour les clercs. À cette époque, il y avait un haut niveau de culture, on connaissait la philosophie antique, Pythagore, Platon, quoique par bribes.
À la basilique de Saint-Denis, point de départ de l’architecture gothique, on parlait le grec et on traduisait les textes grecs anciens en latin. L’Abbé Hilduin (mort en 840) a traduit une œuvre d’un certain Denys l’Aréopagite (1), inspirateur de la théologie de la lumière que l’abbé Suger (ministre des rois Louis VI et Louis VII) appliqua dans la construction des cathédrales, en commençant par Saint Denis. (2) Suger conçoit Dieu comme lumière et qu’à travers la lumière l’esprit prend sa place.
Un monument vibrant
Sur ces bases théologiques, la cathédrale Notre-Dame de Paris inaugura un art nouveau, appelé « l’art de France » (francigenum opus) : le style gothique. Il remplaça l’art roman avec une ouverture importante à la lumière.
On supprima donc les murs qui séparaient le transept du chœur pour y faire rentrer la lumière triomphale et on inséra des vitraux et des rosaces dans les murs. La voûte gothique s’élança, vers le ciel tout comme la cathédrale avec la hauteur de son édifice, et ses flèches.
Pour maintenir l’équilibre de l’édifice, les arcs-boutants poussent les façades vers l’intérieur, les voûtes exercent une poussée extérieure inverse et proportionnelle afin que les murs restent stables. Par ce jeu de poussées et de contre-poussées, l’édifice est en « perpétuelle vibration » et cette harmonisation des forces contraires permet la stabilité et la pérennité de la cathédrale, depuis près de neuf siècles. Les bâtisseurs savaient allier les lois de l’architecture à celles du vivant.
La lumière de l’esprit
Ainsi, l’église s’élargit, s’élève et donne l’impression aux fidèles de quitter l’obscurité et de rentrer dans un lieu de lumière, et de se transporter vers l’invisible et la lumière divine. Saint Bernard (3), initialement opposé à l’art gothique, finira par être convaincu : « Comme la splendeur du soleil traverse le verre sans le briser, elle pénètre la solidité sans la trouer, quand elle rentre, et sans la briser quand elle sort, ainsi le verbe de Dieu, lumière du Père, pénètre l’habitacle de la Vierge et sort de son sein intact. » Les cathédrales introduisent aussi l’idée de rosace, qui accepte la lumière et la projette vers l’autel, comme l’esprit saint illumine l’homme. De l’extérieur on ne voit rien de la rosace, mais à l’intérieur elle devient vivante par la lumière qui la traverse.
La Vierge médiatrice des cathédrales
La cathédrale Notre-Dame de Paris fut consacrée à la Vierge Marie, mère du Christ, comme tant d’autres en France et en Europe. À l’époque romane, la Vierge était représentée par une vierge noire assise, avec un enfant sur les genoux, presque adolescent et maître du monde.
À l’époque gothique, la Vierge noire est transformée en Vierge de tendresse. Elle est debout avec un bébé dans les bas. Elle représente la matière sublimée par l’esprit et remplie de spiritualité. Elle devient la médiatrice entre les hommes et Dieu. Image de la mère, elle apparait plus accessible qu’un Christ en gloire.
Notre-Dame de Paris, image de l’univers
La cathédrale gothique est un espace à dimension humaine, représentant une image réduite de la Création avec ses trois dimensions : monde souterrain, Terre et Ciel. Elle comporte toujours trois éléments, à la verticale comme à l’horizontal. Dans le monde vertical, elle symbolise trois mondes : la crypte qui représente le monde souterrain, le sol et les colonnes, la Terre et les voûtes, le Ciel. Dans le monde horizontal, l’entrée de la cathédrale représente le monde souterrain avec un cercle, comme dans le labyrinthe dans la cathédrale de Chartres, le transept, la Terre, et le chœur, le Ciel.
Un chemin de vie
La cathédrale Notre-Dame de Paris comporte quatre façades qui correspondent à la roue du temps, au cycle des saisons, de la journée, de la vie et à l’accomplissement du chemin spirituel. La façade Est représente la naissance de la vie, la façade Ouest, la mort et l’invisible, la façade Nord, les ténèbres, la façade Sud, la lumière. L’axe du chœur est de 23 degrés, comme l’axe d’inclinaison de rotation de la Terre, mais l’axe de la nef suit le « cours royal » de la Seine, qui vient du Sud et tourne entre Notre-Dame et les Champs Élysées. Ce cours a servi à orienter les palais, etc.
La nef est le projet ou l’axe de l’humain, l’être qui vient de l’obscurité et doit apprendre à se purifier pour atteindre une future transformation de son expérience. Dans un second article, nous verrons l’esprit des bâtisseurs à l’œuvre dans la construction d’édifices monumentaux comme le furent les cathédrales.