Histoire

Simone Weil, La philosophie grecque, un sujet de réflexion et un exemple de vie

Simone Weil (1909-1943) fut une femme remarquable et exceptionnelle, qui en l’espace de sa courte vie vécut des expériences très fortes. Passionnée de philosophie, celle-ci deviendra un exemple de vie pour elle. Militante active et passionnée, elle se mit au service des opprimés en voulant développer leur culture et leur spiritualité et elle militera avec le Général de Gaulle pour la France libre à Londres. Mystique, elle vécut jusqu’au bout les implications de sa foi en la mettant à l’épreuve de la raison. De santé fragile, elle mourut jeune. Elle laisse une œuvre importante. L’authenticité de sa quête de vérité et sa largeur de vue inspirent une profonde réflexion humaniste sur notre époque.

Simone Weil étudia avec grand intérêt la philosophie, notamment les sources classiques, qui devinrent pour elle sujet de réflexion mais aussi exemple de vie. Platon fut entre autres, la grande référence de sa vie et de son œuvre.
Simone Weil décrit la philosophie grecque comme une source pure tant elle est convaincue qu’Homère, Eschyle et Sophocle n’ont pu écrire ce qu’ils ont écrit que parce qu’ils étaient unis à Dieu. Elle dit que la Grèce est la civilisation des ponts : pont entre Orient et Occident. Confluent de la science et de la philosophie. Médiation entre Dieu et l’homme.

Elle admire en Pythagore sa science sacrée des mathématiques qui, pour elle, est une médiatrice entre le concevable et l’inconcevable. L’Un est l’indivisible et contient tous les nombres, toutes les idées, tous les plans de Dieu. L’Un est le Nombre – Non-Nombre, Mystère…

Quant à la science des proportions, elle la saisit dans les choses les plus quotidiennes : « L’amitié est une égalité faite d’harmonie, l’harmonie étant la pensée commune de penseurs séparés. »

Simone Weil et Platon

De Platon, elle dit qu’il est un mystique authentique et même le père de la mystique occidentale (la Source grecque). Elle dit que Platon a eu le mérite d’expliquer que le Bien et l’Être ne sont pas de ce monde, et que notre malheur vient de leur absence, comme de celle de Dieu. « Il faut que l’âme continue à aimer à vide, ou du moins à vouloir aimer. Mais si l’âme cesse d’aimer, elle tombe, dès ici-bas, dans quelque chose de presque équivalent à l’enfer. » (L’amour de Dieu et le malheur).
Elle admira sa science mathématique qui exprimait : « Dieu est un perpétuel géomètre ». Pour elle, comprendre, à l’instar de Platon, les lois de Nature ou l’ordre du monde, équivaut à se fondre en Dieu. Aimer l’ordre du monde est comme aimer son prochain. Dieu aurait, en effet, créé le monde en renonçant à le diriger, bien qu’il l’alimente en permanence. L’amour c’est respecter la liberté de l’autre, l’accepter pour ce qu’il est, une créature emplie d’âme.
Elle admirait aussi la ligne méditative de Platon car, de lui, elle eut la révélation que le monde était « Pensée ». Elle disait qu’il fallait savoir « lire Dieu derrière l’ordre ».

Ce qu’elle a retenu aussi de Platon, est que le monde est beauté à admirer. Platon ne disait-il pas, dans le Timée, que « le Beau serait en effet, la copie du Bien » ? Le Bien serait hors de ce monde mais Dieu aurait mis dans ce monde la Beauté qui transparaît dans les choses visibles, comme image du Bien.
Elle assimilera aussi la justice à l’amour car seule la justice aurait ce pouvoir d’unir les volontés. Car entre le fort et le faible, il n’y a que la volonté du fort qui s’exprime pour opprimer le faible. Seule la justice effacerait les différences : la justice permettrait de créer un rapport d’égalité entre deux volontés. La balance serait ce symbole de l’équilibre des volontés. Le Soleil est la représentation la plus éclatante de la justice puisqu’« il est parfaitement impartial dans la répartition de la lumière ».

Platon restera la grande référence de sa vie et de son œuvre. Dans les cours de philosophie, elle enseigne Platon. Notamment la morale platonicienne où nous découvrons la théorie de l’âme emprisonnée par les passions et la nécessité de mettre les valeurs cardinales au cœur de notre vie.

La vie morale, inspirée de Platon

Chacun a en lui-même la capacité de pensée. Tous les hommes en sont doués. Si quelqu’un ne comprend pas, c’est parce son âme est attachée par des liens de la douleur, du plaisir et, ainsi, il devient incapable de contempler par l’intelligence les modèles éternels (les fameux archétypes platoniciens). Si quelqu’un n’est pas capable de comprendre les modèles éternels, ce n’est pas par insuffisance intellectuelle mais par insuffisance morale. Pour s’intéresser aux modèles parfaits, il faut cesser de donner une valeur aux choses non éternelles. L’éducation doit consister à tourner l’âme vers où il faut qu’elle regarde, à délivrer l’âme des passions.
Pour Simone Weil, la morale de Platon consiste à ne pas se faire à soi-même le tort suprême qui consiste à s’aveugler. Nous savons que nous agissons bien quand le pouvoir de penser n’est pas entravé par nos actions. Il faudrait faire seulement les actions qu’on peut penser
clairement et ne pas faire les actions qui obligent l’âme à ne pas les penser clairement.

Ainsi, personne n’a le droit de dire qu’il est incapable de comprendre. En effet, chacun peut se dire qu’il peut tourner les yeux de l’âme de telle façon qu’il comprenne. La véritable morale est intérieure. Elle est sous-tendue par des valeurs philosophiques cardinales, identiques chez Simone Weil et Platon. Ce sont les valeurs du Beau, du Bien, du Vrai, du Juste.

Simone Weil et les valeurs platoniciennes

Pour Simone Weil, la valeur est « au centre de tout, au cœur même de la philosophie ». Elle est un concept qui se forme dans notre esprit. Elle est l’objet de nos pensées. C’est une force intérieure qui pousse l’homme à faire le bien. La valeur prend ainsi la forme de la vertu.


Le Beau

Pour Simone Weil, ce qui fait le beau, c’est une sorte de miracle créant un accord entre l’esprit et la matière. Le beau touche l’âme humaine. Elle place le beau en correspondance avec le Bien. Le Beau est un pont entre l’homme et Dieu. La beauté est la marque de l’incarnation de Dieu.

La Vérité

Platon met aussi la vérité au rang suprême des valeurs. C’est une valeur plus difficile à définir que la beauté. Il est impossible de penser le monde tel qu’il est vraiment. Et pourtant la vérité du monde est une pensée. Les sens ne peuvent rien pour nous faire découvrir le vrai du faux. Seule notre pensée, dans le silence intérieur, peut effectuer cette découverte qui se dérobe à notre intelligence.

Le Bien

Le souverain Bien est cet idéal de lumière dont parle Platon. Il est une quête personnelle, une attitude de l’âme. Nous ne pouvons juger le Bien que par nous-mêmes. Simone Weil considère qu’on n’obtient l’expérience du Bien qu’en l’accomplissant. C’est en faisant le Bien
qu’on peut apprécier ce qu’il est. La valeur du bien existe par l’action de l’homme. Apprendre à être bon permet de développer le Bien.

La Justice

Elle se définit comme un devoir envers soi-même. En étant plus exigeant envers moi-même, rigoureux dans mon comportement, je serai moins injuste pour autrui. Elle cite le Livre des Morts des Anciens Égyptiens : « Je n’ai pas fermé mes oreilles à des paroles justes et vraies ». Simone Weil associe la justice à l’attention et à l’amour.
Les quatre vertus cardinales (nommées valeurs par Simone Weil) sont unies et solidaires. Elles ont le même caractère d’éternité.

Albert Camus dira de Simone Weil qu’elle était le plus grand penseur du XXe siècle. D’autres la considèrent comme un « passeur » de la sagesse antique vers la modernité mais aussi de la tradition orientale vers le monde occidental.

Extrait de Simone Weil (1909-1943), Philosophe de l’absolu, Sous la direction
de Louisette Badie et Hélène Serre, Éditions Nouvelle Acropole, collection Les Dossiers Spéciaux, 2009, 62 pages
Site de Simone Weil
www.simoneweil.fr
Par Louisette BADIE

Articles parus dans la revue Acropolis

Rencontre avec – Simone Weil, philosophe de la renaissance intérieure, par Louisette Badie, N° 171 (avril 2001)
Simone Weil et la science, N° 207 (janvier-février 2009)
Hommage à Simone Weil, Rencontre avec Monique Broc-Lapeyre, par Louisette Badie, N°208 (mars-avril 2009)
Simone Weil, philosophe de la renaissance intérieure, par Louisette Badie, N°208 (mars-avril 2009)
Simone Weil à la Cour Pétral, N° 210 (aout-novembre 2009)
Simone Weil, une philosophie de civilisation, Par Françoise Béchet, N° 212 (février à mai 2010)
Simone Weil, éduquer aux besoins de l‘âme, par Françoise Béchet, N° 302 (décembre 2018)

Ses œuvres

Attente de Dieu, Edition du Vieux Colombier, 1949
Cahiers I, Éditions Plon, 1951
Cahiers II, Éditions Plon, 1953
Cahiers III, Éditions Plon, 1956
Simone Weil, Œuvres complètes, Éditions Gallimard, 1999
La condition ouvrière, Éditions Gallimard, collection Espoir, 1951
La connaissance surnaturelle, Éditions Gallimard, collection Espoir, 1950
L’Enracinement, Éditions Gallimard, collection Idées, 1955
Écrits historiques et politiques, Éditions Gallimard, collection Espoir, 1960
Écrits de Londres, Éditions Gallimard, collections Espoir,1960
Intuitions pré-chrétiennes, Édition du Vieux Colombier, 1951
Lettre à un religieux, Éditions Gallimard, collection Espoir, 1951
Réflexions sur les causes, de la liberté et de l’oppression sociale, Éditions Gallimard, collection Espoir 1955
Attente de Dieu, Éditions Fayard, 1966
Poèmes, Éditions Gallimard, collections Espoir, 1968
La pesanteur et la grâce, Éditions Plon, 1947
Pensées sans ordre concernant l’amour de Dieu, Éditions Gallimard, collection Espoir, 1962
Sur la science, Éditions Gallimard, collection Espoir, 1966
La source grecque, Éditions Gallimard, collection Espoir, 1953

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