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Oser la résistance spirituelle !

Nous vivons un temps où les fondations mêmes de ce qui a permis notre culture commune semblent se fissurer. Les chiffres parlent d’eux-mêmes : 48 % des jeunes Européens considèrent que la démocratie dans leur pays est menacée, démocratie qui d’ailleurs ne fait plus guère l’unanimité, car près de la moitié d’entre eux doutent qu’elle soit le meilleur des régimes (1). Un sur cinq va même jusqu’à se déclarer prêt à accepter un gouvernement autoritaire dans certaines circonstances.

Défaitisme, impuissance, désillusion, anxiété… la liste n’est pas exhaustive, le manque de perspective et de confiance dans le futur s’installe, au profit de l’anxiété et la solastalgie (émotions négatives et douleurs psychiques face à la dégradation d’un environnement auquel nous sommes attachés) (2). Comme nous le voyons chaque jour, par perte d’ancrage intérieur, peu à peu la résignation s’installe, puis finalement la violence, faute de convictions, d’arguments et de chemin possible.

Pour autant, une autre voie est possible !

Résister est fondamental, cela en vaut la peine, il y va de l’état de notre monde, mais aussi de notre possibilité de vivre une vie ayant du sens.
Comme le rappelle Cyril Dion dans son Petit manuel de résistance contemporaine (3) : « Résister, c’est refuser de céder à la résignation. C’est croire que l’on peut encore influer sur le cours des choses. » Alban Vistel peu connu aujourd’hui, ne disait pas autre chose en 1952. Syndicaliste à la CGT, impliqué dans le Front Populaire, résistant de la première heure, il employait pour évoquer la Résistance le terme étonnant de « résistance spirituelle » (4). Il parlait d’une morale si haute que, portée au niveau de l’esprit, elle en devenait principe central et moteur d’action, combat de l’âme contre toute forme d’abdication intérieure.  C’est bien de ce choix fait dans un acte de volonté consciente et de ce « refus victorieux de tout déterminisme historique… de toute fatalité d’anéantissement… » dont nous avons tant besoin aujourd’hui.

Dans cette rentrée 2025, il est impressionnant de mesurer à quel point, les termes employés il y a plus de 70 ans, résonnent douloureusement avec notre actualité. Oui, il est plus qu’indispensable de faire émerger en nous « un dynamisme, un douloureux effort d’approfondissement, une volonté de conquête de l’avenir », si nous voulons vraiment changer de direction, ne plus aller dans le mur et nous redonner une possibilité de futur. Oui, la résistance spirituelle n’est pas, comme il en témoigne avec force, une simple posture morale mais bien un volontariat concret, engagé dans l’affirmation de valeurs essentielles, un dynamisme qui puise dans la conscience, et trouve sa force dans la fraternité qui naît du partage de l’épreuve.

C’est précisément là que se joue aujourd’hui ce combat qui laisse tant d’entre nous dans le désarroi. Car il n’est pas seulement réflexion politique ou écologique, mais bel et bien action dans une clé philosophique et spirituelle. Une action qui pour être humble n’en est pas moins efficace. Comme le dit si justement la sagesse chinoise « Mieux vaut allumer une bougie que maudire l’obscurité ».

Alors, à une époque où l’usage de la violence devient chaque jour plus banal, assumons ce constat et passons à l’action, car comme nous le rappelle Jorge A. Livraga, le fondateur de Nouvelle Acropole dans le monde, la violence n’est jamais la solution. La seule solution est d’agir concrètement au travers du volontariat, de former des hommes et des femmes, porteurs de valeurs, animés par l’altruisme et le service envers autrui.

Oui, agissons, car notre époque a soif de dignité et faim d’idéal, comme le rappelle Michel Onfray : « Rien ni personne ne peut empêcher cette relation qu’il y a entre notre idéal et notre réalité… rien ne saurait justifier qu’on fasse fi d’un idéal à réaliser» (5).
Sans idéal, nous nous disloquons intérieurement en détruisant notre monde. Quand il devient impossible de reculer, ne reste plus en nous que notre conviction, disait Paul Ricoeur : « L’intolérable me transforme de fuyard ou de spectateur désintéressé en homme de conviction » (6).

L’histoire de la philosophie n’est au fond que l’expression de cette soif d’idéal à travers les âges. Une longue chaîne de résistances de l’esprit dans laquelle il devient urgent que nous ayons le courage de prendre notre place. Socrate buvant la ciguë plutôt que de trahir sa conscience. Épictète, esclave, affirmant que la vraie liberté réside dans l’âme. Spinoza, excommunié, continuant d’écrire sur la joie et la liberté. Et plus proche de nous, Simone Weil, mêlant lutte sociale et quête mystique. Tous ont témoigné par leur vie que la résistance spirituelle n’est pas une crispation contre le monde, mais un élan vers plus grand que soi.

Comme le disait si bien Hélie de Saint Marc (7) : « Si un jour on ne comprend plus comment un homme a pu donner sa vie pour quelque chose qui le dépasse, ce sera fini de tout un monde, peut-être de toute une civilisation. »

Alors osons nos convictions, mêmes si elles font un pied de nez au matérialisme et au nihilisme ambiant, et nourrissons notre vie intérieure, ce trésor invisible qui nous relie à nous-mêmes, aux autres et au monde. Ainsi seulement, nous pourrons sortir de l’isolement et vivre la fraternité, non comme un slogan, mais comme un lien concret avec autrui, une possibilité de rompre l’isolement en agissant ensemble pour le monde.

Aujourd’hui, comme hier, répondre à la désagrégation du monde par l’élan des âmes, au désespoir par la conviction, à la solitude par la fraternité n’est pas seulement une option, c’est la condition de notre dignité.

(1) Lire l’article de Sidonie Rahola-Boyer, Les jeunes Européens perdent foi en la démocratie, d’après un sondage, paru dans le Figaro du 04/07/2025. Ce sondage a été demandé par la fondation Tui, qui financedes projets dédiés à la jeunesse en Europe. L’institut de sondage britannique YouGov s’est chargé d’interroger de jeunes Européens, âgés de 16 à 23 ans, entre avril et mai 2025, sur leur état d’esprit
(2) https://greenly.earth/blog/actualites-ecologie/tout-comprendre-sur-la-solastalgie
(3) Paru aux éditions Actes Sud en 2018
(4) Alban Vistel, Fondements spirituels de la Résistance, Éditions Esprit, 1952
(5) Extrait de l’Interview de Michel Onfray réalisé par Joseph Le Corre dans l’hebdo Le Point du 05 07/2025
(6) Paul Ricœur, Préface à l’ouvrage d’Emmanuel Mounier: Écrits sur le personnalisme, Éditions du Seuil, Collection Points, 2000, page 12
(7) Hélie Denoix de Saint Marc, officier, de l’armée française, résistant, déporté, combattant d’Indochine et d’Algérie et écrivain français (1922-2013). Il a écrit Les Sentinelles du soir, publié aux éditions Arènes en 1999
Thierry ADDA
Président de Nouvelle Acropole France
© Nouvelle Acropole
La revue Acropolis est le journal d’information de l’École de philosophie Nouvelle Acropole France

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