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Philosophie

Simone Weil, philosophe en quête de l’essentiel

Rencontre avec Thierry ADDA
Directeur National de Nouvelle Acropole France

Dire que Simone Weil est une philosophe du XXe siècle, dit bien peu de cette âme incandescente en quête d’absolu qui cherche tout ce qui peut amener l’homme à contacter les besoins profonds de son âme.

La revue Acropolis a interrogé Thierry Adda sur les œuvres de Simone Weil, notamment Venise sauvée et L’enracinement. Cet article est divisé en deux parties. Le premier article est consacré à la philosophie de Simone Weil. Le second article sera consacré aux enseignements de Simone Weil dans ses œuvres littéraires, et notamment la pièce de théâtre inachevée « Venise sauvée »

Acropolis : Que pouvez-vous dire de la pensée de Simone Weil ?

Thierry ADDA : Le philosophe Gustave Thibon, sûrement un des philosophes dont je suis le plus proche, disait de Simone Weil que c’était le seul être dans lequel il n’avait vu aucun décalage entre l’idéal qu’elle affirmait et la vie qu’elle menait. Ainsi, pendant la guerre, elle n’hésite pas à donner ses tickets de rationnement à ceux qui ont faim, quitte à ne pas manger elle-même à sa faim. C’est une âme exceptionnelle. Albert Camus disait d’elle, qu’elle était le plus grand esprit de notre temps, et plus récemment, cette phrase m’a beaucoup touché. André Comte-Sponville l’a appelée « la grande disciple », celle qui cherche en elle à faire la conjonction du Vrai, du Bien, de l’Être et de la Valeur. Elle montre par sa vie comment, en renonçant à la part de petitesse et d’attachements qui entrave son humanité, l’homme peut accéder à la part divine qui est en lui. C’est probablement sa manière d’honorer les propos de son maître, le philosophe Alain, qui disait : « L’important n’est pas de se connaître, mais de se conduire. » Une phrase apparemment bien simple, mais pourtant pleine d’implications. Car c’est durant une vie entière qu’il s’agit ici de se conduire, et pas seulement l’espace d’un moment. De se conduire en allant de l’avant et en osant la fidélité à soi-même, jusqu’à la mort.

A. : Il y a donc selon vous un vrai dialogue entre la pensée théorique de Simone Weil et son œuvre romanesque ?

T.A. : En fait c’est toujours la même idée qui est à l’œuvre et qui cherche à se manifester. Dans L’Enracinement, elle clarifie l’existence des besoins profonds à l’intérieur de l’homme et la différence, entre, d’un côté, les besoins de l’âme et de l’autre les besoins temporels de l’existence, en nous exhortant au discernement et au sens des limites.
Quand on a faim, on mange et vient un moment où l’on n’a plus faim. Par contre, le propre des vices de l’âme qui sont de faux besoins, c’est qu’ils n’ont pas de limites ; ainsi, l’avare n’a jamais assez d’or. La nourriture rassasie, il en est de même des nourritures de l’âme.
Il faut donc chercher à assouvir les besoins de l’âme, les rassasier, et tout particulièrement les besoins d’ordre et d’enracinement. Car l’ordre n’est pas mettre un cadre figé sur les choses, mais au contraire résoudre les contradictions par le haut, mû par la force de l’amour. A contrario de l’amour véritable, les désirs, quand ils sont le propre de la passion et de la concupiscence, ne sont jamais satisfaits, il en faut toujours plus.

A. : Dans ses œuvres littéraires et théoriques, Simone Weil fait référence à de nombreuses sources, grecque, hindoue, biblique. Peut-on dire d’elle qu’elle serait polymathe (1), avec non seulement une très vaste culture mais aussi une capacité à croiser différentes disciplines ?

T.A. : Je ne pense pas que l’on puisse dire d’elle qu’elle est polymathe. Fondamentalement Simone Weil est une littéraire et une philosophe. Simplement, elle cherche tout ce qui peut amener l’homme à contacter sa véritable nature. Si la nature de l’arbre est de donner des fruits, la nature profonde de l’homme est de faire croître en lui la conscience, de parvenir à contacter une conscience supérieure, qui mène à ce que l’on pourrait appeler, une sorte de grâce.
Comme une investigatrice, elle cherche dans toutes les cultures, toutes les langues, les échelons, les marches, les opportunités qui sont données à l’homme de s’élever pour voir la manifestation de cette grâce et de ce génie humain. Mais toujours dans cette direction fondamentale de l’élévation de l’esprit. Dans le monde de l’action, elle pouvait être particulièrement maladroite. Et si elle était très courageuse dans son audace et sa fougue de se confronter à ce qui la dépassait, elle n’était pas, par ailleurs, un génie dans les matières scientifiques ou techniques. C’est une philosophe accomplie qui cherche dans toutes les cultures, l’empreinte de la dimension spirituelle dans l’homme.

A : Certains ont pu dire que Simone Weil est une théoricienne du malheur et de la force de l’être. Qu’aurait-elle pensé, selon vous, de la situation que nous vivons aujourd’hui ?

T.A. : Malheureusement certaines situations n’ont pas beaucoup évolué depuis son époque voire ont empiré. Je crois que l’une des racines les plus profondes de la souffrance contemporaine est la relation au travail. Le travail, pour Simone Weil, est le propre de la condition humaine. C’est en travaillant que l’homme façonne le réel, qu’il se sent appartenir au monde, qu’il fait l’expérience de la liberté, sans oublier que parmi les besoins fondamentaux de l’âme, il y a aussi l’honneur, le sentiment de sa dignité, sans laquelle cette liberté n’est rien.
Pour Simone Weil, le travail est donc un des ancrages de l’âme, une des voies d’appartenance à la sphère sociale. Une des possibilités pour les individus de se reconnaître entre eux et d’interagir entre eux d’une manière harmonieuse.

Aujourd’hui, la question que l’on pourrait se poser serait la suivante : « quelles leçons avons-nous donc tiré des avertissements de Simone Weil pour la promotion d’un travail non servile ? Le problème de fond du monde dans lequel nous vivons, est précisément que le travail a cessé d’être un travail. C’est une action rémunérée, un job, un emploi. Il y a une perte profonde de la dignité du travail. Il y a un impensé contemporain de la spiritualité du travail. Le métier, dans son acception ancienne, était une opportunité pour l’homme de s’accomplir et de se perfectionner, en mettant tout son être dans ce qu’il faisait. L’emploi est quelque chose de bien différent, c’est une fonctionnalité à laquelle on répond par une compétence.

Quand on voit aujourd’hui le mode de fonctionnement de l’entreprise, la manière déshumanisée avec laquelle les gens sont amenés à travailler, on comprend la profonde corruption de l’âme générée par le profit et l’argent. Le monde du travail est devenu le monde de l’emploi (sans prendre en compte ceux qui sont sans emploi..) et il a perdu sa dignité. De plus, il y a tous ceux qui n’ont pas de possibilité d’accéder à une participation juste et équitable dans la société. Le fait qu’il n’y ait plus d’ordre, qu’il n’y ait plus d’enracinement dans des valeurs communes, l’absence de justice sociale dans le monde contemporain, produit certes une misère physique, mais aussi et surtout une misère spirituelle.

Voilà pourquoi je pense que Simone Weil nous conseillerait de réapprendre à faire des gestes simples qui ont du sens, essayer de retisser des liens entre les hommes, qui puissent faire vivre la fraternité par des actes et non pas par des mots. Sur cette base qui paraît aujourd’hui impensable et insensée, il faut retisser des liens, et travailler humblement, chacun à notre niveau, à la mise en place d’une société plus juste, dans laquelle le travail puisse permettre à chaque individu de réaliser ce qu’il est. Cela semble une utopie mais c’était l’une des aspirations les plus profondes de Simone Weil, une aspiration de plus en plus partagée par la jeunesse, et sur laquelle ce siècle commençant devra s’interroger.

Dans un second article Thierry ADDA abordera les enseignements de Simone Weil à travers son œuvre littéraire, notamment Venise sauvée.

(1) Personne dotée de multiples connaissances dans des matières qui n’ont pas forcément de liens entre elles. Homme et femme universel(le) ou de la Renaissance

À lire

Simone Weil (1909-1943)
Philosophe de l’absolu
Sous la direction de Louisette BADIE et Hélène SERRE
Éditions Nouvelle Acropole, collection Les Dossiers spéciaux, 2009, 64 page, 6,50 €
La vie et l’œuvre de Simone Weil.

Articles sur Simone Weil parus dans la revue Acropolis :

– N°171 (avril 2001) : Rencontre avec Simone Weil, philosophe de la renaissance intérieure, par Louisette Badie
– N°207 (janvier-février 2009) : Simone Weil et la science
– N°208 (mars-avril 2009)
 . Hommage à Simone Weil, Rencontre avec Monique Broc-Lapeyre, par Louisette Badie
. Simone Weil, philosophe de la renaissance intérieure, par Louisette Badie
– N° 210 (aout-novembre 2009),Simone Weil à la Cour Pétral
– N° 212 (février à mai 2010), Simone Weil, une philosophie de civilisation, par Françoise Béchet
– N° 302 (décembre 2018), Simone Weil, éduquer aux besoins de l‘âme, par Françoise Béchet
– N° 316 (mars 2020), Simone Weil, la philosophie grecque, un sujet de réflexion, un exemple de vie par Louisette Badie
Sur internet : www.simoneweil.fr
Propos recueillis par Françoise BECHET
Formatrice de Nouvelle Acropole Rouen
© Nouvelle Acropole

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