Arts

Van Gogh, le génie incandescent

Le musée Van Gogh d’Amsterdam et l’établissement public des musées d’Orsay organisent une exposition intitulée Van Gogh à Auvers-sur-Oise.

C’est la première exposition d’envergure consacrée aux œuvres produites par l’artiste durant les deux derniers mois de sa vie, passés à Auvers-sur-Oise, près de Paris. L’exposition constitue l’aboutissement d’années de recherches sur cette phase cruciale de la vie de l’artiste, et permettra au public de l’apprécier enfin à sa juste dimension (1).

Soixante-dix jours d’intense créativité à Auvers-sur-Oise

Arrivé à Auvers-sur-Oise le 20 mai 1890, Vincent Van Gogh y décède le 29 juillet à la suite d’un coup de revolver qu’il se serait tiré dans la poitrine. Bien que le peintre n’ait passé qu’un peu plus de deux mois à Auvers, cette période voit un renouveau artistique, avec des recherches propres, marqué par la tension psychique de la nouvelle situation qui se cristallise autour de cette installation. Durement éprouvé par les différentes crises subies à Arles puis dans l’asile de Saint-Rémy, Vincent Van Gogh se rapproche de Paris et de son frère Théo, désormais marié et père d’un petit Vincent, pour retrouver un nouvel élan créatif.

À son arrivée, Van Gogh se déclare charmé par le village et son environnement : « il y a beaucoup de bien-être dans l’air. » Comme le lui a recommandé le Dr Gachet, il se « jette dans le travail », pour se « distraire », oublier son mal et la menace d’une récidive. Il adopte une vie strictement réglée, se lève et se couche tôt, il peint à l’extérieur le matin et retouche ses tableaux l’après-midi, dans une salle mise à la disposition des peintres par Ravoux. Mais il évite la fréquentation des artistes de passage, semblant rechercher la solitude et fuir ce qui pourrait le détourner de la peinture. Le choix d’Auvers tient à la présence dans le village du Dr Gachet, médecin spécialisé dans le traitement de la mélancolie, et par ailleurs ami des impressionnistes, collectionneur, et peintre amateur. Van Gogh s’installe au centre du village, dans l’auberge Ravoux, et explore tous les aspects du nouveau monde qui s’offre à lui, tout en luttant contre des inquiétudes multiples, crainte du retour de ses crises cycliques, soucis liés à la santé et aux projets d’indépendance commerciale de Théo, sentiment de relégation dans les priorités existentielles de son frère, doutes sur sa valeur artistique, sans oublier une notoriété naissante dans la critique. Comme le laisse pressentir l’intensité du regard de son autoportrait, Van Gogh est toujours dans une recherche d’absolu inatteignable à ses yeux. Ses traits intenses, ses volûtes, ses couleurs vives, le mouvement incessant qui se dégage de chacune de ses œuvres nous parle d’un vision d’un monde en permanente vibration.
Ses œuvres sont très nombreuses et variées, depuis des paysages des champs et de la ville avec ses maisons traditionnelles en chaume qui jouxtent d’autres plus modernes et bourgeoises. Le jardin du peintre Daubigny avec ses points, bâtonnets détachés ou serrés, alignés ou tournoyants, aux contours appuyés rappelle la vision de l’art japonais. Il réalisera aussi des bouquets audacieux rapidement élaborés, simples et dégageant une vie au-delà de la dégradation des couleurs.
Il est passionné par le « portrait moderne » et bien qu’il n’en réalise que très peu dans la période, son ambition est d’atteindre chez ses modèles « cet éternel indéfinissable, dont le nimbe était le symbole et que nous essayons d’atteindre par l’éclat lui-même, par la vibration de nos couleurs ». Exalter leur caractère par la couleur, donner à ses toiles l’expressivité des passions qui les habitent, voilà ce qui constitue « le portrait moderne ».

Des œuvres majeures de la fin de sa vie

L’église du village, qu’il peint le 4 juin et dont il parle à Théo dans une lettre du 5, est remarquable pour le jeu des couleurs, le ciel d’un bleu profond cobalt qui dialogue avec les fenêtres et les vitraux de bleu outremer, avec une part orangée du toit qui lui donne toute sa vitalité. Il en est très fier de cette œuvre qu’il trouve expressive et somptueuse.

Le tableau des champs de blés dorés, qui rappellent les couleurs d’Arles, mais sous un ciel de plomb rendu plus menaçant par les oiseaux noirs qui semblent fondre sur le spectateur a été peint le 8 juillet 1890. Le format renforce l’impression d’immensité. Situé à la croisée de trois chemins, le paysage vide de toute présence humaine, imprime un intense sentiment de solitude. Ce fut un appel au secours au moment où Vincent se sentit abandonné par son frère Théo qui lui faisait part de ses difficultés matérielles.
Le dernier tableau qu’il réalisa le 27 juillet, racines d’arbres, présente un entrelacs de racines dénudées, cadré très près comme un gros plan de photographe, présente une composition presque abstraite. Ce sujet, peint le jour même du suicide, porte de toute évidence une charge symbolique : « ma vie à moi aussi est attaquée à la racine même », écrivait-il le 10 juillet.

La rapide reconnaissance post mortem

À la nouvelle de la mort de Van Gogh, le 29 juillet 1890, les lettres de condoléances des peintres amis des deux frères affluent vers Theo. Loin du mythe de l’artiste maudit, elles montrent que Vincent est un peintre reconnu de ses pairs, célébré par quelques critiques, fort de plusieurs expositions et qui a vendu en février une première toile.

Théo monte aussitôt une première exposition dans son appartement, Gachet projette une monographie illustrée et Emile Bernard, son ami le plus proche, publie les lettres qu’il lui avait adressées. À la mort de Théo, six mois après la mort de son frère, en février 1891, sa veuve Johanna (1862-1925) s’emploie à faire publier et connaître les tableaux et les lettres de son beau-frère, dont elle a hérité. Son fils Vincent (1890-1978) fondera le musée Van Gogh d’Amsterdam en 1973, mais il est certain qu’au moment de la Première Guerre mondiale, Van Gogh est déjà clairement reconnu comme un protagoniste de l’art moderne. « Dans l’abondance ébouriffante de ses tableaux multipliés, les bourrasques et les ciels convulsifs, le spectacle des tourments de la nature dans lesquels il voyait l’expression de son propre mal-être, il avait tenté de lancer, jusque dans la plus aiguës des souffrances, un ultime chant de louange aux splendeurs de la Création, en même temps que d’exprimer le malheur d’avoir eu tant d’amour à donner sans avoir jamais pu trouver quelqu’un pour l’accepter. » (2)

(1) Exposition Van Gogh à Auvers-sur-Oise, les derniers mois, jusqu’au 4 février 2024 au Musée d’Orsay (Esplanade Valéry Giscard d’Estaing – 75007 Paris)
(2) Van Gogh, La symphonie de l’adieu, Éditorial, Michel de Jaeghere, Le Figaro, Hors-Série, 2023

Les photos ont été fournies gracieusement par le Service de presse du Musée d’Orsay. Photographe Patrice Schmidt
Photo n°1 : Autoportrait de Vincent Van Gogh
Photo N°2 : Jardin de Daubigny à Auvers-sur-Oise
Photo N°3 : Église de Auvers-sur-Oise
Laura WINCKLER
Cofondatrice de Nouvelle Acropole en France
© Nouvelle Acropole
La revue Acropolis est la revue d’information de Nouvelle Acropole

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