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Rencontre avec Madani BENTOUNES Être soufi au quotidien, vivre en quête d’unité

« On ne devient pas soufi en sortant de l’université et ne devient pas soufi qui veut, il doit être initié ». Madani Bentounes en sait quelque chose. Il a rencontré le soufisme à l’âge de 19 ans. Un long chemin de pratique qu’il raconte.

« Hier, j’étais intelligent et je voulais changer le monde. Aujourd’hui, je suis sage et je me change moi-même. »Cette maxime attribuée au poète mystique persan Djalâl ad-Dîn Rûmî, je l’ai adoptée comme style de vie. La lecture de ce fascinant sage oriental du XIIIe siècle m’oriente forcément vers le soufisme, cette voie ésotérique de l’Islam qu’il a inspiré et dans laquelle je retrouve de nombreux concepts philosophiques que je connais : une maîtrise de soi stoïcienne, une purification du cœur bouddhiste, un désir d’union avec l’absolu platonicien. 

Mais qu’est-ce que le soufisme et à quoi ressemble sa pratique quotidienne aujourd’hui ? C’est pour répondre à ces questions que j’ai choisi de partir à la rencontre de Madani BENTOUNES, un Bordelais de 67 ans, soufi pratiquant. Autour d’un café, nous allons refaire le monde… son monde. 

« Si nous nous rencontrons aujourd’hui, ce n’est pas un hasard. »
Cheveux blancs et barbe grisonnante, Madani a troqué sa djellaba contre une veste de costume. « Il faut savoir vivre avec son temps », sourit-il. Sa poignée de main franche tranche avec la douceur de son regard, d’un vert profond, presque transparent. Cet homme grand, assurément charismatique, en impose instantanément. Il parle peu, mais jamais pour ne rien dire : « Notre rencontre est tout sauf un hasard »,commence-t-il. Aucun doute, cet homme possède le mystère et la profondeur de ceux qui suivent un chemin intérieur.

Le soufisme, voir la source

Madani, 67 ans, se définit comme un cheminant dans la voie soufie. Il est en France, à Bordeaux, depuis octobre 1989, arrivé pour ses études de biologie médicale.  Aujourd’hui à la retraite, il a fait toute sa carrière dans un hôpital public en tant que médecin biologiste. Né en Algérie dans une famille musulman, il a été initié au soufisme à l’âge de 19 ans. Son grand-père est le disciple du maître contemporain algérien Cheikh Al-’Alawi. Depuis l’enfance, il entend donc parler de cette voie. 

À 19 ans, il commence une éducation soufie. « Mon maître parlait très peu, il m’a d’abord appris à écouter », se souvient Madani, alors il me dit : « Écouter est le premier pas dans la recherche de Dieu, cela purifie le cœur et pacifie l’ego. »
Pendant ses études de biologie, sa pratique se confirme. Voir et étudier la réalité incroyable du corps et de son fonctionnement lui fait éclore cette vérité dans le cœur : « il n’y a pas de place pour le hasard » Cette petite phrase pas si anodine résonne avec les premiers mots de notre rencontre, ce cheminant à emprunter la voie par cette porte.

« On ne devient pas soufi en sortant d’une université ! »
Madani commence par me donner un exemple pour définir le soufisme : « Quand on va au cinéma, les hommes regardent le film qui se déroule sur l’écran, le soufi, lui, se retourne et cherche celui qui projette le film. » Et ajoute : « Le commun des mortels regardent la création alors que le soufi regarde le Créateur. » 
Le soufi est donc celui qui est capable de voir la source, Dieu derrière chaque chose manifestée. Madani précise que le soufisme c’est la recherche du divin, c’est une quête d’union. Pour parvenir à voir l’unité derrière la multiplicité, Dieu en chaque chose, il faut pacifier l’égo, car l’égo par définition nie la divinité. Il faut donc l’éduquer ! 

Pacifier l’ego

Madani me partage les trois étapes pour pacifier l’égo : la prise de conscience puis être vigilant, pour arriver à la contemplation. Madani tout au long de notre rendez-vous me récite des phrases de maîtres et sourates du Coran, là il illustre son propos avec Ibn-’Arabi : « Nous avons dépassé la pensée discursive, nous voyons actuellement avec l’œil intérieur. » Cet enseignement me rappelle quelque chose. Je vois une similitude avec l’allégorie de la caverne de Platon, le prisonnier ne regarde que des ombres projetées sur un mur, jusqu’au moment où il se retourne et se libère. Il commence alors, tout un chemin intérieur afin de pouvoir parvenir à la lumière de la vérité, le Souverain Bien, hors de la caverne, pour voir la réalité telle qu’elle est.

Le soufisme, une voie d’initiation

Le soufisme est une voie initiatique qui se transmet par une chaîne de maître à disciple, on ne devient pas soufi en sortant d’une université et ne devient pas maître qui veut, il doit être initié. 

Madani est le disciple du maître Cheikh Khaled BENTOUNES, maître spirituel de la confrérie soufie Alawiyya. Il me rappelle cette parabole de Rûmî du papillon qui trop amoureux de la lumière se jette sur elle et se brûle, signifiant que pour s’approcher de la lumière de la vérité, il y a besoin d’un maître, car la voie est pleine de dangers. 
Madani me résume alors sa pensée : « Le cœur n’a qu’une seule direction : la vie matérielle ou le divin. Dieu ne regarde pas un cœur distrait. » 

Si on reprend l’exemple du cinéma, je comprends qu’on ne peut pas regarder le film et la source du film en même temps. Si je regarde l’un, je tourne le dos à l’autre. Être soufi, ou emprunter une voie spirituelle est faire un grand choix, c’est une conversion, pour se tourner vers la source et ne plus être dupe du monde illusoire de la manifestation ! Terminer les supers blockbusters (1) au grand écran !

Pratiquer, c’est vivre comme un oignon qu’on épluche

Vivre en soufi c’est pratiquer les cinq piliers de l’islam : l’attestation de foi en l’existence et l’unicité de Dieu, et en la prophétie de Mahomet, les cinq prières quotidiennes, l’aumône, le jeûne du mois de ramadan et le pèlerinage à La Mecque. À cela s’ajoutent les invocations de Dieu, des poésies des maîtres soufis chantées à l’aide d’un chapelet avant le lever et le coucher du soleil. Ces pratiques soufies se nomment « ouird » qui signifie « aller à la source. ». S’ajoute également quatre fois par an, à chaque saison, une retraite spirituelle de trois jours qui mêle jeûnes, prières, chants et invocations de Dieu. Madani me confie qu’il est un peu flemmard et qu’il n’en fait qu’une par an. 

Maîtriser son ego est la partie la plus difficile pour Madani dans sa pratique du soufisme. Cet objectif d’extinction du moi, nécessitant une humilité totale et quotidienne est un chemin semé d’embûches ! Il me confie : « l’égo l’emporte toujours ! Il a mille et une facettes, mille et une ruse ! » 
Alors Madani sait qu’il faut veiller à ses caprices et à ses passions. Il me dit : « Nous sommes comme des oignons, nous devons patiemment enlever une peau après l’autre. » Et il ajoute : « Dire “je suis soufi” c’est déjà faire exister l’égo ! » 

Je comprends alors que se dire cheminant est un trait de l’humilité. Madani me cite alors : « Oh mon Dieu, habite mon cœur et si tu trouves quelques habitants, Ferme l’œil s’il te plait ». C’est une phrase qu’il se répète, car il sait que son ego n’est pas encore pacifié et que quand Dieu visite son cœur, quelques locataires comme les caprices et les passions sont encore là, alors il lui demande de fermer les yeux.

L’état de transe 

Il est temps maintenant de parler du plus beau moment vécu grâce à cette voie pour Madani. C’était lors des chants religieux qui sont un de ses moments préférés. Madani n’est pas dans la voie des derviches tourneurs (il y a plusieurs voies soufies) mais il danse aussi pendant ses chants, en sautant sur place et en disant « Allah » (Dieu en arabe). Progressivement les chants et les danses s’accélèrent. Cela lui est arrivé deux ou trois fois : grâce aux chants et aux danses transcendantes Madani est entré en transe. « C’est un peu inexplicable comme il me dit, c’est un sentiment de béatitude, je me sentais dans un autre monde ».

Entre un maître et un disciple, les mots vont du cœur au cœur

À la fin de notre échange, je comprends qu’être soufi est une pratique du quotidien, une voie d’amour pour s’unir à la source malgré tout ce qui nous en empêche. 
« Votre tâche n’est pas de chercher l’amour, mais simplement de chercher et trouver tous les obstacles que vous avez construits contre lui. » a dit Rûmî. 

Rien ne s’apprend dans les livres, Madani me dit : « Dans une conférence, on parle de bouche à oreille mais entre un maître et un disciple, les mots vont du cœur au cœur. » Il me raconte alors une anecdote d’un théologien rencontrant le cheikh El Alaoui. Celui-ci comprend que le savoir intellectuel peut être un voile à la réalisation divine. Il devient alors disciple du cheikh et compose une célèbre poésie suivant l’ordre alphabétique pour montrer sa méconnaissance de la voie initiatique et la nécessité de tout réapprendre.

Le soufisme est une pratique du quotidien, individuelle mais cette voie promeut également le vivre ensemble en paix. 
Madani me parle du Cheikh Khaled Bentounes comme l’initiateur de la Journée Internationale du Vivre Ensemble en Paix, adoptée le 8 décembre 2017 par l’Assemblée générale de l’ONU, à l’unanimité des 193 pays. Le soufisme prône une seule humanité, et par conséquent promeut la paix.

Ce que je retiens de cette rencontre c’est que le soufisme est une voie pour faire naître l’amour en soi, diminuer l’égoïsme, se consacrer aux choses essentielles et l’être humain qui vit cet état de conscience ne peut qu’œuvrer pour la paix et le vivre ensemble.
Je reviens sur son regard que j’ai trouvé si profond dès le premier instant et il me dira plus tard au cours de notre échange que le soufi ne se revendique pas mais sa pratique intérieure doit se voir à l’extérieur. C’est peut-être cela que j’ai vu dans ses yeux, un cœur qui travaille à s’élever vers le plus haut de lui-même. Merci Madani !  

(1) Film, pièce de théâtre, jeu vidéo qui bénéficie d’un succès très important
Sarah LUNE
Nouvelle Acropole Bordeaux
© Nouvelle Acropole
La revue Acropolis est la revue de l’école de philosophie Nouvelle Acropole France

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