Léonard de Vinci, la quête d’unité
500 ans après la mort de Léonard de Vinci, le monde entier célèbre son génie, comme l’atteste l’hebdomadaire Courrier international qui, au mois de février dernier, a dédié un numéro spécial aux articles publiés sur l’artiste dans le monde cette année. Mais pourquoi cet engouement ? Qu’est-ce qui fait de Léonard de Vinci un Homme universel ? Peut-être justement le fait que sa plus grande quête fut celle de l’unité.
Léonard se considère comme un « disciple de l’expérience ». Il s’oppose à « ceux qui ne font que citer », préférant interroger la nature « maîtresse des maîtres ». « Dimmi », « dis-moi » écrit-il dans ses carnets en s’adressant à la nature, attendant une réponse, convaincu que « toute notre connaissance découle de notre sensibilité ».
Interroger la Nature pour comprendre les Lois de l’univers
À ses yeux, seule l’expérience permet une compréhension intime et profonde de l’homme et de l’univers. Il expérimente ainsi tous les domaines de connaissance, de la peinture à l’ingénierie, en passant par l’architecture, les mathématiques ou encore la philosophie.
Si l’on admire l’étendue de ses recherches, on s’étonne aussi du nombre d’œuvres inachevées et du caractère très désordonné de ses petits carnets… C’est simplement que, pour Léonard, « toute chose doit être réexaminée, ré-explorée, explicitée et ouvre une multitude d’autres voies à explorer. »L’exploration n’est donc jamais terminée et la vérité se dévoile petit à petit, à la lumière d’autres éléments mis à jour. Il travaille ainsi par analogie, intégrant chaque élément dans un grand tout et la peinture lui permet d’en faire la synthèse.
Ce qui est en haut est comme ce qui est en bas
Cette méthode à la fois empirique et analogique lui permet de comprendre les lois de l’univers qui sont « unes » et s’expriment de la même manière dans l’infiniment grand et dans l’infiniment petit. Il écrit dans ses travaux sur l’anatomie que « l’homme et le monde offrent une grande analogie »,et compare le système vasculaire aux réseaux de cours d’eau qu’il a longuement observés dans son enfance passée à la campagne. Il cite même cette célèbre citation attribuée àHermès Trismégiste : « Ce qui est en haut est comme ce qui est en bas »,et lui donne forme dans son tableau Bacchus ou saint-Jean-Baptiste (1), dans lequel le sujet montre de l’index droit le Ciel tandis qu’il pointe la Terre de la main gauche. On retrouve cette image dans l’Ecole d’Athènes, où Raphaël représente au centre Platon, sous les traits de Léonard de Vinci, qui montre le Ciel de son index, tandis qu’Aristote à côté de lui désigne la Terre.
L’Homme, tiraillé entre ses aspirations profondes et ses pulsions
Si les lois de l’univers sont « unes », les choses qui nous apparaissent opposées ne sont que des formes d’expression différentes d’une même Loi. Et pourtant, même en le sachant, nous sommes bel et bien tourmentés… Léonard, dans ses dessins Allégorie du désir et de la peine et La vertu et l’envie ,nous rappelle que l’Homme est tiraillé entre ses aspirations profondes et ses pulsions. Il vit à la fois dans la crainte et le désir, « crainte de la sombre caverne menaçante et désir de voir si elle recèle quelques merveilles. » La tension que cela suscite en lui explique en partie la peinture du saint Jérôme qui, assaillit de doutes, se flagelle devant l’entrée de la caverne. Mais n’est-ce pas aussi cette tension face au mystère qui pousse Léonard à toujours rester en mouvement, ce « principe de toute vie » ? Pour avancer dans la sombre caverne, Léonard propose que « la lumière primitive éclaire le corps ombreux ».
Faire l’unité en soi
La « lumière primitive » est associée à l’esprit, tandis que le « corps ombreux » représente la matière inanimée. Ainsi, Léonard nous propose de relier l’esprit et la matière, et c’est bien ce que symbolise l’Homme de Vitruve (2) qui est inscrit à la fois dans un cercle et dans un carré. Pour présenter la divine proportion de l’Homme, Léonard n’avait nul besoin de l’inscrire à la fois dans un cercle et dans un carré, d’autant que cela lui a imposé de mettre le nombril de l’Homme au centre, tandis que, à son époque, dans les représentations classiques de l’homme pentacle inscrit dans un cercle, c’était le pubis qui était au centre et pas le nombril. Léonard a souhaité représenter l’homme dans ses deux dimensions qui sont la perfection du cercle, symbole de l’esprit et de l’unité, et la structure du carré, symbole de l’incarnation dans la matière. Il nous rappelle ainsi la double nature de l’Homme, divine et matérielle, et la nécessité de les relier pour faire l’unité.
Mourir et renaître : le déluge
Mais comment assumer cette contradiction et rétablir le lien avec notre nature divine ? Dans une série de dessins réalisés à Rome en 1510, Léonard explore l’idée du déluge comme moyen d’anéantir nos certitudes et la vanité de nos constructions mentales. Il nous invite à « considérer l’espoir et le désir qu’éprouve l’homme de se rapatrier et de retourner au chaos primordial », chaos, qui est rien et tout à la fois, qui donne l’opportunité de tout devenir. Ainsi, c’est l’eau qui permettrait le retour au chaos, « l’eau qui ronge les montages et comble les vallées et qui, si elle le pouvait, réduirait le monde à une sphère parfaite ». Le déluge n’est donc pas considéré comme un événement négatif, mais comme un moyen de transformation, un processus d’anéantissement pour retrouver la perfection du cercle. Il s’agit de mourir et de renaître pour rétablir le lien avec notre divine nature.
Le parcours initiatique
C’est un réel parcours initiatique que propose Léonard de Vinci et qu’il dessine dans L’allégorie du loup et de l’aigle (3), réalisé trois ans avant sa mort en France. Le dessin représente un loup, sur une barque, tenant de la main gauche un gouvernail et de la droite une boussole depuis laquelle part un rayon lumineux qui se dirige vers un aigle solaire aux ailes déployées. Pour affronter les tourbillons du fleuve, le vent de l’esprit souffle sur la voile, tandis que le mât est représenté par l’arbre de la Connaissance. La traversée du fleuve représente le voyage qu’entreprend celui qui souhaite rétablir la connexion avec sa nature spirituelle, symbolisée par l’aigle solaire. Sous le dessin, Léonard écrit que « Celui-là ne peut pas errer, qui est conduit par une étoile. »
Leonard de Vinci nous rappelle que notre plus grande quête est de faire l’unité, c’est à dire de rétablir les liens entre nos deux natures, matérielle et spirituelle. Si aujourd’hui nous vivons dans un monde en crise, c’est parce que ces liens ont été rompus. Attendrons-nous le déluge pour les rétablir ? Ce qui est certain, c’est qu’on ne peut rétablir le lien social sans rétablir le lien à soi car, comme cela était écrit dans la cours de la Villa Médicis, « les villes s’élèvent, pas leur vertu ». Léonard de Vinci nous propose de renaître en hommes vertueux, et c’est par la peinture qu’il nous y invite, comme il l’écrit à l’arrière du portrait de Ginevra de Benci : « la forme est l’ornement de la vertu ».
N.D.L.R. : Les citations de Léonard de Vinci sont issues des 7000 feuillets connus à ce jour et se retrouvent dans les ouvrages suivants :
– Léonard de Vinci, biographie, Charles Nicholl, Éditions Actes Sud 2006, 701 pages
– L’ésotérisme de Léonard de Vinci, Michael Rapp, Éditions Bussiere, 2017 ; 128 pages
À lire dans Courrier International
https://www.courrierinternational.com/article/anniversaire-1519-2019-leonard-de-vinci-superstar
Biographie de Léonard De Vinci
Léonard de Vinci naît le 15 avril 1452 à Vinci, à une journée à cheval de Florence. Fils bâtard du notaire Ser Piero de Vinci, il reçoit une éducation simple à la campagne et n’apprend pas les lettres classiques. Gaucher et autodidacte, c’est avec une écriture inversée en miroir qu’il remplit les 13 000 feuillets de ses carnets dont 7000 nous sont parvenus aujourd’hui. Après 10 années d’apprentissage dans l’atelier de Verrocchio, il fonde son premier atelier à Florence en 1477. Il le quitte 5 ans plus tard afin de se rendre à Milan au service des Sforzas pour qui il entreprend le fameux Cheval de bronze de 75 tonnes, qui restera finalement en l’état de Cheval d’argile… C’est à cette époque qu’il peint La Cène, La Vierge aux rochers et qu’il écrit ses premiers carnets dans lesquelles figurent, en désordre, des machines volantes, des travaux d’architecture, mais aussi des réflexions philosophiques et, en plein milieu, ses listes de courses ! Il quitte Milan lors de l’arrivée de Louis XII en 1499, et passe deux années au service de Caesar Borgia pour qui il établit des cartes de l’Italie et met au point des tactiques militaires. Après quelques années passées à Florence où lui sont commandées La Joconde et La Vierge, l’Enfant Jésus et sainte Anne, il retourne à Milan sous la protection de Louis XII et reprend avec ardeur ses travaux d’anatomie. C’est à Rome, travaillant dans son laboratoire d’alchimie, qu’il fait la connaissance de François Ier. Il s’installe au Clos Lucé dans la vallée de la Loire en 1516, portant avec lui La Joconde, Saint Jean-Baptiste et La Vierge, l’Enfant Jésus et sainte Anne aujourd’hui au Louvre. Il quitte ce monde le 2 mai 1519, il y a exactement 500 ans, et si, contrairement à ce que dit la légende, il ne meurt pas dans les bras de François Ier, il est vrai qu’il passa plusieurs heures par jour à s’entretenir avec lui au cours des trois dernières années de sa vie… Mais que se sont-ils dit ? – Cela reste un mystère.
Par Florie AMOUROUX
À voir :
Du 2 mai au 2 septembre 2019
Exposition La mort de Léonard de Vinci : la construction d’un mythe
Château d’Amboise en partenariat avec la Bibliothèque nationale de France
https://www.vivadavinci2019.fr
Du 24 octobre 2019 au 24 février 2020
Léonard de Vinci
Exposition rétrospective exceptionnelle
Musée du Louvre, Rue de Rivoli, 75001 Paris
https://www.louvre.fr/leonard-de-vinci-1