Le monde de demain : Le confinement, et après ?
La pandemie provoquée par le coronavirus (Covid 19) a montré, qu’en l’espace de quelques semaines, l’activité de la planète entière s’est arrêtée. Un moment crucial de l’histoire où le destin de chacun est lié à celui de l’humanité toute entière. Comment sera le monde d’après ?
Dans les années 60, le fondateur de Nouvelle Acropole, Jorge Livraga, comparait notre monde à un train fantôme roulant à pleine vitesse, sans direction ni conducteur bien établis.
Ce train, qui ne sait plus où il va, a fini par confondre les moyens avec les fins : la consommation, la croissance, l’économie sont devenues nos nouvelles finalités. Mais pour quoi faire ? Comment arrêter sa course folle ?
La pandémie dont souffre actuellement la planète sera-t-elle le frein qui stoppera sa course ? Elle nous offre, il est vrai, un arrêt sur image, inattendu et inespéré ; et l’occasion improbable de prendre conscience d’une autre réalité, d’observer la face cachée des choses, celles qu’on occultait mais aussi celles qu’on ne prenait plus (ou pas) le temps de voir.
Et, qui sait ? Cette crise pourrait être l’opportunité de réfléchir sur ce qu’elle révèle de notre monde et des fragilités de nos sociétés, de questionner leurs priorités et de nous réorienter.
Les leçons de la crise
Un colosse aux pieds d’argile
En quelques semaines, le monde s’est arrêté ! Cette expérience grandeur nature montre à quel point notre vaste monde techno-industriel est vulnérable : un colosse aux pieds d’argile.
On a vu les États riches manquer de l’essentiel ; les gouvernements être dans l’impréparation, l’improvisation, ou même le désarroi ; sans parler de la puissance de dévastation démographique, politique, économique et sociale qu’a provoqué la pandémie.
« Nos sociétés très mondialisées ne sont pas préparées à ce genre d’événements, ne sont pas très résiliente – ce que nous sommes nombreux à dire depuis longtemps. Ce virus suffit à faire plonger la bourse et nos économies, à désorganiser toute notre vie… » commente Cyril Dion (1).
Oui, nous ne sommes ni résilients, ni super-puissants devant la vie, contrairement à ce que le mythe moderne d’une science prométhéenne nous laissait croire, à savoir que nous pouvions dominer et maîtriser le vivant. Car aujourd’hui, « nous réalisons que le plus petit être vivant est capable de paralyser la civilisation humaine la mieux équipée d’un point de vue technique. Ce pouvoir transformateur d’un être invisible produit, je crois, une remise en cause du narcissisme de nos sociétés. » observe Emanuele Coccia (2).
Les héros de l’ombre
La pression extraordinaire que provoque la situation sanitaire nous a fait découvrir des héros du quotidien que sont les soignants, les caissières ou les employés qui assurent les services courants et nécessaires à notre vie, ainsi que tant d’autres personnes dévouées.
« C’est mon métier », disent certains, « c’est ma conscience » déclarent d’autres, « c’est ma part d’humanité » ajoutent d’autres encore.
L’héroïsme n’a pas changé de définition. Il fait référence au dépassement, au courage devant le danger et à l’abnégation. Nous admirons combien le sacrifice des uns contribue à sauver les autres. Comme le dit Sylvain Tesson (3), la nation se rend compte qu’elle dispose de ces corps qui acceptent de « sauver ou périr ». Et elle constate que le salut n’est pas dans les machines, mais dans les hommes qui les actionnent.
Nous applaudissons ces héros modestes à tous les balcons du monde confiné, pas seulement pour leurs actions et gestes méritants, mais, plus profondément, parce qu’ils expriment le meilleur de nous-mêmes, cette part d’humanité trop souvent ensevelie sous l’individualisme et l’utilitarisme de notre quotidien fonctionnel.
Nous les remercions d’être des exemples de courage dénués de tout calcul – dans un monde dominé par la marchandisation – des révélateurs du fait que nous valons plus qu’un homme économique, « ce robot unidimensionnel qui vise à maximiser son profit » selon l’expression de Bernanos.
Nous les remercions d’être des modèles inspirateurs qui nous aident à surmonter nos problèmes individuels en les relativisant.
Nous découvrons que nous avons besoin de héros qui nous grandissent.
Citoyens du monde
La réalité pandémique nous oblige à considérer le monde dans sa globalité. Il ne s’agit plus d’un drame qui ne concernerait que nous, mais d’une épreuve qui nous rend indissociable du reste du monde. Car nous ne vivons pas seulement un événement individuel, ou propre à un pays. Nous partageons une situation qui touche la planète entière. Plus de la moitié de l’humanité est confinée chez elle, soit près de 4 milliards d’êtres humains. Le plus grand événement planétaire de l’histoire ?
Et la pandémie nous rappelle également crûment que nous autres humains sommes tous égaux devant la maladie et la mort, riches ou pauvres, puissants ou fragiles.
Et même si, par ailleurs, nous vivons la séparation de nos proches, par le confinement ou par la distanciation sociale, nous reprenons conscience de notre communauté humaine, de la solidarité naturelle de notre destinée dans notre maison commune, la Terre, où nulle frontière artificielle ne peut empêcher la propagation de la vie ou de la maladie.
Cette nouvelle conscience collective nous met face à notre responsabilité individuelle pour assurer le salut commun, comprenant que nos destins sont liés.
Oui nous faisons monde, oui nous sommes confinés mais solidaires, car nous sommes citoyens du monde, c’est-à-dire humains, tout simplement.
Le monde d’après ?
Cette crise peut-elle faire naître un monde nouveau, qui nous libère de « ce système insensé qui détruit tout le vivant, nature et société, qui asservit nos existences et étouffe nos âmes… » ?, comme l’écrit Abdennour Bidar (4). La vague de cette pandémie peut-elle produire dans notre humanité souffrante et égarée un choc de conscience ?
Beaucoup le souhaitent et nous en faisons partie.
Cependant, peut-on attendre, comme certains, que « des paroles puissantes nous exhortent à tout faire pour que l’ampleur et la dureté de l’adversité solidarisent notre humanité entière dans la décision de changer de paradigme. » Qui prononcera ces mots ? Ceux qui portent le système actuel ? Ou d’autres voix, mais inaudibles ?
Doit-on promouvoir, comme le souhaitent d’autres, un « nouveau logiciel politique et économique » ? Mais ne s’agirait-il pas de continuer purement et simplement dans la même direction, ou absence de direction ?
Faut-il croire que « dès la fin de la pandémie va venir le temps d’une communauté humaine tout entière réveillée et ressoudée par l’épreuve, et qui, littéralement transfigurée, ne vivra plus dès lors que d’écologie, d’entraide et de paix. » Ne serait-ce pas céder à la naïveté de croire à des lendemains qui chantent ?
Que pouvons-nous espérer ?
Notre train va-t-il repartir ? Sans aucun doute, car le COVID-19 ne signe pas la fin de notre civilisation. Mais il signale peut-être la fin d’un cycle.
Pour autant le retour à la normale ne sera-t-il pas tout simplement le retour à l’anormal, si nous ne parvenons pas à aiguiller notre train sur de nouveaux rails afin qu’il prenne une autre voie ? Car cette crise n’en masque-t-elle pas une autre ? Le petit coronavirus ne cache-t-il pas la grande maladie qui touche la planète et le vivant ? La maladie de la cupidité, de l’avidité, de l’arrogance, de l’égoïsme ? Déjà Hannah Arendt avait posé, en son temps, un diagnostic sans appel : c’est l’ensemble de notre monde moderne qui est en crise, au sens où les hommes qui le composent ne savent plus où se situer dans l’Histoire et échouent à construire un monde commun.
« Comment changer de voie ? » s’interroge Edgar Morin (5) car « s’il semble possible d’en corriger certains maux, il est impossible de même freiner le déferlement techno-scientifico-économico-civilisationnel qui conduit la planète aux désastres. Aujourd’hui, tout est à repenser. Tout est à recommencer » conclut-il.
Tout repenser ?
Sommes-nous capables de produire une pensée à la mesure de la nouveauté que la crise révèle ? Car il serait folie de vouloir résoudre le problème avec les paramètres qui l’ont engendré.
Ce dont nous avons besoin est d’une nouvelle vision. Une nouvelle vision de l’homme, de l’histoire, de la science, de la politique, de la spiritualité, de l’art. Un nouveau sens donné à nos vies, à nos collectivités, à nos relations avec la nature. Une vision dans laquelle les valeurs, l’humain, la spiritualité, la philosophie aient toute leur place. Dans laquelle l’expérience de l’humanité est le terreau fertile des semences du futur.
« Il nous faut nous dégager d’alternatives bornées, auxquelles nous contraint le monde de connaissance et de pensée hégémoniques. » insiste Edgar Morin.
C’est d’une métamorphose culturelle dont nous avons besoin, capable de modifier en profondeur le paradigme de nos sociétés modernes. Elle exige de nouveaux imaginaires, inspirateurs et réalistes, reposant sur une connaissance transversale de l’histoire, des hommes et de la nature.
Changer pour changer le monde
Notre civilisation des écrans a fabriqué des millions de spectateurs qui pensent pouvoir échapper à la responsabilité en restant confortablement assis sur leur canapé.
Ce monde est celui que nous avons configuré à notre manière. De même, le monde de demain est ce que nous en ferons. Oui, nous sommes acteurs de l’histoire car si nous pouvons défaire, nous pouvons également refaire.
Être acteur dans la crise comme dans l’histoire, appelle à l’engagement, au courage, à l’effort, au calme, à la résilience, à l’image de nos héros de l’ombre.
Changer le monde c’est donc d’abord changer soi-même. Mais cette nécessité de changement individuel doit être accompagnée. Car ce que nous observons de positif durant ce temps suspendu du confinement ne s’évanouira-t-il pas aussitôt que les « affaires » auront repris, que chacun sera à nouveau accaparé par sa vie d’avant ?
D’où l’importance d’une formation de soi, tant morale que philosophique ou psychologique, et d’une stimulation de groupe qui aide à tenir fermement le cap de la cohérence entre nos aspirations et nos actions.
Agir ensemble
L’expérience de cette crise nous rappelle qu’unis nous sommes plus forts et réveille les forces créatrices et constructrices.
« Tant qu’il ne s’agira que d’une juxtaposition d’agissements individuels, ça ne suffira pas à changer la donne. » souligne Arthur Keller (6). Il ajoute que cette co-construction de résilience collective implique un travail spécifique sur le vivre-ensemble.
D’où l’importance de groupes d’action, pour construire de nouvelles façons d’être qui soient à la fois sources de bien-être, de dignité et de résilience. Des groupes efficaces, autonomes, porteurs de projets signifiants. Qui montrent qu’il est possible de produire, consommer, travailler, se relier avec soi-même et la nature d’une manière respectueuse et ressourçante. Qui permettent l’émergence de jeunes pousses, inspiratrices du monde à venir.
Bifurquer
Tout l’enjeu de cette mutation, est qu’il ne s’agit pas de modifier le système existant mais de répondre à l’ambition de fonder quelque chose d’inédit.
Edgar Morin rappelait que « l’Histoire humaine a souvent changé de voie. Tout commence, toujours, par une innovation, un nouveau message déviant, marginal, modeste, souvent invisible aux contemporains. »
C’est pourquoi il faudra oser être différent, incompris, divergent. Comme le furent tant de pionniers qui firent tourner la roue de l’histoire.
Notre train cherche à bifurquer vers une autre destination. Rappelons-nous que pour changer de direction, il faut ralentir, parfois stopper quand le virage est trop serré. On ne peut pas braquer en pleine vitesse. Alors tirons profit de ce temps d’arrêt qui est favorable aux changements de cap. Et avançons vers l’avenir !