Écologie-Nature

Faire autrement ou faire autre chose ?

Le climat et la chute de la biodiversité sont dans toutes les bouches et dans toutes les rédactions. Mais, qu’en est-il sur le plan des décisions, des changements de mode de vie, et plus globalement, de la prise de conscience de la situation ?

Il n’est pas un journal ou une publicité qui ne site les « vertus » de tel nouveau produit plus écologique ou de telle nouvelle façon plus durable de procéder, si bien « verdis » qu’ils apparaissent comme une solution au problème alors qu’ils ne changent que très marginalement celui-ci.

Tant que les gouvernants et les décideurs n’auront pas « fait leur chemin de Damas », rien ne changera vraiment. 

Polluant, mais vert !

Les propos que l’on entend dans leurs bouches sur la crise écologique et climatique restent tous dans le même paradigme : poursuivre notre mode de vie, mais en faisant le moins de dégâts additionnels, en tentant de ne pas franchir la ligne rouge des 2 degrés d’augmentation de température à la fin du siècle par rapport à l’ère préindustrielle. Et ce alors que nous sommes déjà à 1,4 degré et dans une accélération constante de consommation d’énergies fossiles et de production de gaz à effet de serre.
Le logiciel des politiques, comme celui de notre civilisation, a été conçu autour d’un cœur central qui est la croissance, mesurée en termes économiques et matériels. Ainsi, quels que soient les nouvelles et les faits avérés expliqués par les scientifiques (le GIEC entre autres), ces données ne sont pas intégrées, car le logiciel ne sait pas les traiter.

Les solutions proposées sont alors uniquement de « faire autrement » ce que l’on fait depuis un siècle : consommer un maximum (mais « vert » !), produire un maximum (mais « vert » !), développer ses loisirs (mais « vert » !). L’exemple typique (mais loin d’être le seul) est le rêve (et les publicités) d’une voiture qui ne pollue pas (mais pour la produire, ça pollue, pour la faire rouler, on déboise et utilise les champs pour produire du biocarburant plutôt que pour nourrir les humains, et de toute façon, si on veut par ailleurs abandonner les énergies fossiles, on n’aura plus les moyens de la réparer, la remplacer, comme on ne pourra pas remplacer / réparer les parcs monstrueux d’éoliennes ou de panneaux solaires qui seraient nécessaires. Cet exemple pourrait être appliqué à de nombreux autres objets « verts ».

Gagner quelques années ?

Personne n’ose dire publiquement que ce comportement « vert » est aussi vert que l’agriculture bio industrielle qui détruit autant les sols par une ultra mécanisation que l’agriculture conventionnelle. C’est-à-dire un habillage superficiel de procédés qui ne sont ni durables ni réellement écologiques, et ne résolvent en rien le problème mais ne font que gagner (peut-être) quelques années avant l’effondrement du système. Peu de gens parmi les politiques osent envisager que ce sont les bases mêmes du mode de développement actuel qui sont funestes à court terme. Parler d’énergies propres, d’habitat passif, de voitures à l’hydrogène, d’avions propres, d’énergies renouvelables n’a de sens que si on sort d’une civilisation dont le but unique est la consommation, le loisir. Un monde « verdi » qui poursuivrait les mêmes finalités ne résout rien. 

Le dérèglement climatique impossible à arrêter

Une fois enclenchés, les dérèglements des systèmes naturels mis à mal par notre civilisation industrielle et artificielle, sont très difficiles à arrêter. Souvent, un simple ralentissement dans la progression de nos nuisances n’évite pas des accélérations exponentielles des phénomènes produits. Ainsi, il n’y a plus de retour en arrière possible. Il faut créer le nouvel environnement dans lequel l’humanité pourra vivre durablement, ce qui signifie de changer totalement nos critères, notre positionnement, notre vision du monde.
On sait déjà, comme Jean-Marc Jancovici l’explique régulièrement, qu’il n’y a plus de « normale », et que nous devons nous habituer à vivre ce qu’on continue à nommer par habitude des « circonstances exceptionnelles » qui sont, hélas, condamnées à devenir habituelles avant d’être remplacées par de nouvelles, sans doute plus difficiles.

Il faut créer le nouvel environnement dans lequel l’humanité pourra vivre durablement, ce qui signifie de changer totalement nos critères

On sait déjà qu’on ne peut revenir en arrière sur le front climatique et de la biodiversité avant des millénaires. Donc, le problème n’est pas de « ralentir » la progression de nos nuisances, mais de les réduire, de repousser vers la fin de l’année le « jour du dépassement », qui mesure notre propension à « consommer plus de Terre » que ce que la Terre elle-même parvient à générer. Ce jour a basculé sur le premier semestre alors qu’il était au 31 décembre il y a quelques décennies. Or, sauf pour quelques illuminés, il n’y a pas de planète de rechange pour l’humanité.

Ne pas chercher à faire autrement la même chose

Ainsi, le point bloquant pour réfléchir et trouver des alternatives, est la difficulté à penser qu’il ne faut pas chercher à faire la même chose autrement mais qu’il faut faire autre chose, changer totalement de cap.  Certes, les populismes, dans des visées électoralistes, ou par manque de discernement, ou les deux, vont crier haro sur cette vision, taxant ces idées de « déclinophiles ». Mais une décroissance matérielle n’est plus une option pour notre civilisation. Elle viendra, et la question, comme l’explique encore Jean-Marc Jancovici, est de savoir si elle sera acceptée et voulue ou bien subie. Si, ayant compris la situation, les gens l’acceptent et s’orientent volontairement vers un comportement réellement « durable », ils viendront à une sobriété acceptée ; si par manque d’explication ou par obnubilation, ils veulent « vivre comme avant » à n’importe quel prix, ils trouveront la pauvreté, voire la misère subie, ce qui produira inéluctablement des révoltes et un danger réel pour la démocratie.  

Que veut dire « faire autrement » ?

C’est une question difficile pour une civilisation qui a assimilé le progrès, le bonheur, l’épanouissement individuel et collectif à la consommation débridée, la quête de loisirs au-dessus de toute autre finalité, et la compétition comme mode de fonctionnement : compétition pour les parts de marché, pour l’argent, pour son train de vie, l’image superficielle qu’on donne, etc. car dans ce cadre plat et limité, il n’y a pas d’« autrement ». Faire autrement pour chercher à devenir le plus riche possible, le plus puissant, le plus beau, etc., n’est pas possible car notre modèle a certainement fait tout ce qui était le plus approprié pour y parvenir, même s’il laisse chaque jour de plus en plus de gens, désespérés sur le bord de ce chemin désolant.

Faire « autre chose »

C’est pourquoi la véritable question et solution est de chercher à « faire autre chose ». Ceci implique de trouver d’autres finalités, d’utiliser d’autres outils de mesure de la satisfaction, du bonheur, de l’épanouissement individuel et collectif. À voir le taux de dépressions,  burn outs  suicides, violences par désespoir ou mal-être intérieur, on pourrait penser que c’est facile de convaincre qu’il y a d’autres voies que celles du modèle actuel. Mais, comme dans la caverne de Platon, les prisonniers enchaînés aiment leurs chaînes, ils s’y sont attachés, et surtout, ils n’ont rien connu d’autre…
Cependant, avec la raréfaction des énergies fossiles, notre société est condamnée à évoluer. Nous avons aujourd’hui 85 % des gens qui travaillent dans un secteur tertiaire qui n’existait pas avant l’avènement du pétrole. Certaines professions seront toujours indispensables (enseignants, médecins, une certaine administration, etc.), mais beaucoup devront certainement se reconvertir. 
Inversement, la part de la population qui nourrissait les autres, qui était de 50 % et est aujourd’hui inférieure à 5% des actifs, devra croître de nouveau, surtout compte tenu des nouveaux modèles de culture, sur des parcelles plus réduites. L’agriculture chimique par des robots, si elle voit le jour, n’aura en effet qu’un temps.

Des initiatives inspiratrices

Au niveau local, on voit de multiples exemples de constructions humaines qui se développent avec succès sur des bases différentes, remplaçant les instruments actuels par l’entraide, la solidarité, l’échange, la participation. Leur point commun ? Ils ont abandonné la soumission aux puissances de l’« avoir » et des apparences pour mettre en avant des valeurs supérieures qui les unissent, et privilégier les valeurs de l’ « être » et du « savoir-être ». L’autre point commun : ce sont des solutions à taille humaine, où il n’y a plus d’anonymat mais au contraire une richesse relationnelle. Une taille limitée également pour les terres cultivées de façon intensive et qualitative, durable, et contrairement aux préjugés, sans trop d’efforts, avec des vies harmonieuses bien qu’intenses car ces modèles fonctionnent sur la base de la solidarité et complémentarité, et parviennent à un équilibre durable. Par exemple : 45 h de travail par semaine, mais pas de temps de déplacement qui pour un citadin peut atteindre 10 h par semaine, une saine fatigue (sans stress autre que le climat), un repos réel le soir, 3 WE par mois libres grâce à la solidarité, etc.  L’avenir est à construire, à condition de se libérer du carcan du cadre mental passé. Ce cadre nouveau ne peut se passer d’un enracinement de l’individu dans son intériorité et de réflexion, de solidarité et d’intégration des autres, de liens profonds avec la nature, et d’amour de la sagesse pour œuvrer avec davantage de valeurs morales et de discernement, en un mot de philosophie.

Jean-Pierre LUDWIG
Formateur en philosophie à Nouvelle Acropole
© Nouvelle Acropole
La revue Acropolis est le journal d’information de Nouvelle Acropole

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