Écologie-Nature

Créer un système d’abondance : La syntropie, la culture qui améliore la terre… et l’homme

Lorsque j’ai découvert l’agriculture syntropique, après en avoir compris les bases à travers les interviews d’Anaëlle Théry et de son livre (1), je l’ai vue comme un procédé analogue aux pratiques de la philosophie naturelle, appliqué au règne végétal.

Qu’est-ce que l’agriculture syntropique ?
C’est une méthode d’accélération évolutive qui permet de créer rapidement une abondance, une autonomie et une résilience des environnements agricoles.
Ce mode d’agriculture a été créé par le biologiste Ernst Götsch en milieu tropical : sur un domaine de cinq cents hectares, il a développé, en seulement quarante ans, une forêt qui possède une biodiversité de quatre cents ans, source d’abondance et de produits de grande qualité (2). Cette méthode est maintenant appliquée en zone tempérée depuis six ans par Anaëlle Théry.

La syntropie suit la logique du vivant qui tend à aller du simple
vers le complexe

La syntropie : une agriculture qui enrichit

Le principe de la syntropie suit la logique du vivant qui tend à aller du simple vers le complexe. En dynamisant ce processus, elle va produire rapidement une très forte valeur ajoutée, c’est-à-dire que l’environnement s’enrichit au fur et à mesure qu’on le cultive, et ce, dans un temps très court. Cette démarche est l’inverse de celle de l’agriculture conventionnelle qui, au contraire, va du complexe au simple avec des produits clonés demandant tous la même chose au même moment. Cette dernière est donc entropique, c’est-à-dire soumise à un système d’usure, et exige de plus en plus d’apports pour se maintenir.

Agriculture syntropique et philosophie

Que pouvons-nous apprendre de l’agriculture syntropique pour son application à l’humain ?

1 – Le développement dépend de la perturbation

L’agriculture syntropique a recours aux perturbations pour dynamiser l’évolution : il s’agit d’induire une perturbation cyclique pour tendre de façon accélérée vers un écosystème plus résilient et productif.  Pour l’être humain, la « perturbation » consiste à nous sortir du « train-train » quotidien, de nos habitudes, de nos préjugés, des multiples « programmations ». Elles sont tellement fortes que, selon les spécialistes des neurosciences, nous devenons, à partir de l’âge de 35 ans conditionnés à 95%, et que sur les 60 à 70 000 pensées quotidiennes que nous avons, 90% sont exactement les mêmes que celles de la veille. Face à une nouvelle situation (perturbation), nous avons deux réactions possibles. La première est la résistance, et on le voit pour les plantes, cette attitude ne permet pas le développement. L’autre est de garder notre calme, réfléchir, et rechercher de nouvelles façons d’aborder le problème puisque notre façon habituelle ne fonctionne pas. Là, commence l’évolution, l’apprentissage. Quand nous y parvenons, nous avons ajouté une expérience, un savoir-être et un savoir-faire à nos capacités. Ce nouveau comportement sera alors à l’origine de multiples réussites et enrichissement.

2 – la diversité fait la force

L’agriculture syntropique permet de transformer une monoculture en zone de culture diversifiée. Les protocoles d’agriculture syntropique sont fondés sur la gestion de l’espace et du temps et son application aux espèces plantées.
Chaque plante va évoluer dans un certain rythme (rapide, lent), et avec une certaine amplitude (plante couvre-sol horizontale, légume, petit arbuste, arbre intermédiaire, ou grand arbre). Chacun va donc occuper l’espace d’une certaine façon en fonction du temps qui passe. Chacun a également sa propre durée de vie (annuelle, vivace, arbres intermédiaires, arbres de canopée…). En fonction des phases, chacun va apporter aux autres des bienfaits (ombre, eau, nutriments, etc.). Ainsi, de la diversité naît une grande résilience collective. Dans le monde humain, les mêmes phénomènes apparaissent.
Les générations passent, et dans un ordre normal des choses, enfants, jeunes adultes et anciens ne sont pas en compétition, mais chacun apporte aux autres ce qui est propre à son âge. Le jeune, son insouciance et son esprit d’aventure, le jeune adulte, son allant, allié au sens de la responsabilité, et l’ancien, sa sagesse. Ce type de société, qui existait naguère, était plus résiliente, car plus solidaire. C’est d’ailleurs le cas de tous les groupes d’êtres vivants dans la nature, incluant les plantes et les animaux, comme cela a été prouvé depuis deux décennies.

3 – La densité élimine les intrus

Laisser de l’espace entre les plantations va amener des adventices (« mauvaises herbes »), comme l’oisiveté chez l’individu amène un besoin de combler le vide par les vices, la distraction, afin de combler l’ennui. Au contraire, la plantation dense fait qu’il n’y a pas de place pour les plantes non sollicitées.
Du point de vue individuel, une personne concentrée sur ses finalités, ses objectifs et sur les choses essentielles qui donnent sens à sa vie, n’a pas l’esprit qui vagabonde sans contrôle, et ne cherche pas à « s’occuper » dans des activités dispersantes. Être toujours occupé, sans stress mais avec concentration, est l’équivalent humain qui amène à une harmonie et stabilité intérieure.

4 – Le mystère de la Vie

Comme on s’y attendait, la perturbation amenée par l’homme (qui se substitue aux animaux sauvages d’antan) accélère la pousse des plantes « perturbées ». On connait l’effet d’une taille, mais, surprise, on constate une accélération des autres plantes non taillées, en même temps. Ainsi, il y aurait un phénomène de « solidarité » ou d’entrainement… Toute analogie avec les mécanismes de la société humaine ne serait-elle que coïncidence ?

En synthèse, les caractéristiques communes aux deux approches sont les suivantes :

  • Elles respectent une direction évolutive naturelle du sujet.
  • Elles font émerger un potentiel latent qui se serait exprimé de toute façon dans un calendrier plus long et sans doute à travers plus de péripéties.
  • Elles sont fondées sur le fait que la difficulté, la « perturbation » dans les habitudes et les schémas existants, font émerger de nouvelles possibilités adaptatives.
  • La conséquence qui en découle est l’abondance (plénitude et rayonnement chez l’humain), la prodigalité (générosité chez l’humain), la richesse (intérieure dans le cas de l’humain).

Les écoles de philosophie avaient pour effet d’accélérer le processus évolutif naturel de l’individu

La philosophie naturelle

Pendant des millénaires, l’être humain a su, et a transmis à travers les Ecoles de philosophie ou les traditions de sagesse, que l’être humain n’est pas accompli, donc pas parfait, mais au contraire, que nous nous trouvons dans une dynamique d’évolution consciente pour devenir individuellement et collectivement meilleurs. L’enseignement de ces Écoles était qualifié de « philosophie naturelle » car inspiré de la sagesse de la nature, et avait pour but d’aider l’homme à accélérer cette dynamique de perfectionnement.
Et depuis des millénaires, il était apparu que seules les difficultés, les épreuves, peuvent nous faire évoluer, nous forçant à sortir de nos habitudes, de notre confort, qu’il soit matériel, affectif ou mental, à condition d’en comprendre le sens et de les dépasser.
Ainsi, la pédagogie de ces Écoles et les voies d’apprentissage qu’elles proposaient, passaient par des exercices et des « épreuves » destinées à accélérer cette évolution.
Ainsi, la pédagogie de ces Écoles de philosophie, dont se réclame également Nouvelle Acropole, avait-elle pour effet d’accélérer le processus évolutif naturel de l’individu, en fonction de ses possibilités, et de l’amener à une plus grande stabilité intérieure, un épanouissement heureux dont il pouvait ensuite faire profiter les autres par sa sagesse, son enthousiasme, son rayonnement.
C’est pourquoi, comme le disait le Candide de Voltaire, « il nous faut cultiver notre jardin » !

(1) Annaèle Théry, Bienvenue en Syntropie, Editions Joala Syntropie, 2023, 160 pages, 23 €
Voir aussi : https://www.youtube.com/watch?v=Cmn6ZQgQou0
(2) Voir par exemple : https://photo.geo.fr/bresil-ernst-gotsch-ce-fermier-suisse-qui-reinvente-la-foret-42146#des-sols-rehabilites-25ds5
Jean-Pierre LUDWIG
Formateur en philosophie pratique et chercheur en permaculture
© Nouvelle Acropole
La revue Acropolis est le journal d’information de Nouvelle Acropole

À lire

Manifeste paradisiaque
Jardinage, permaculture et spiritualité

Laurent HUGUELIT
Éditions Mama, 2022, 304 pages, 24 €

« Le jardin c’est le futur ! », annonce l’auteur, passionné de jardinage bio, de permaculture et de spiritualité. À travers 36 propositions divisées en quatre saisons, Laurent Huguelit nous invite à pratiquer la permaculture spirituelle, les mains dans la terre, la tête dans les étoiles. L’intégrité, le respect et l’écoute sont cultivés au même titre que les bons légumes, les fruits juteux et un univers de biodiversité. Il aborde tous les concepts de la permaculture : la conception (design), la connaissance du sol, les gestes culturaux, la résilience… et le plaisir de vivre au paradis, sur la planète Terre. Pour plus d’information sur l’auteur, voir sur Youtube :
https://www.youtube.com/c/permaculturellementvotre
et www.outremonde.org

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