Éloge de la sobriété #1 Les conseils d’Épicure
La nécessité ou l’envie de revenir à un mode de vie simple et sobre, moins consommateur d’énergie et de superflu, est de plus en plus visible chez nos contemporains, et pas seulement chez les militants écologistes. Ce que l’on sait moins, c’est que cette vision de la vie sobre a toujours eu d’illustres représentants depuis l’Antiquité jusqu’à nos jours.
Dérèglement climatique, sixième extinction des espèces, appauvrissement de la biodiversité, retour des pandémies, incendies ou inondations de plus en plus meurtrières, crises financières et sociales… un avenir perçu comme plus incertain. Nous assistons à une sorte de convergence de questionnements sur notre monde et l’avenir de notre planète. Le confinement pendant la pandémie de COVID-19 a développé un attrait pour la vie à la campagne ou dans des villes moyennes, un autre mode de vie où il ne s’agit pas forcément de vivre de peu, mais de se recentrer sur l’essentiel.
Dans un monde aussi sophistiqué que le nôtre, vouloir vivre simplement peut se révéler ambitieux et pas aussi facile qu’il y paraît, si l’on ne veut pas tomber dans des postures extrêmes, par exemple de survie face à un effondrement possible.
Ce désir de vie simple ne date pourtant pas d’hier, mais s’ancre dans une réflexion philosophique, dès l’Antiquité. Dans ce premier article, je vais évoquer le philosophe grec Épicure, et d’autres articles suivront sur cette même thématique, illustrés par des philosophes modernes ou contemporains. L’intérêt de ce voyage à travers le temps permet de comprendre la diversité des motivations pour ce changement de mode de vie au fil des siècles.
Si dans l’Antiquité, la motivation d’un mode de vie sobre est surtout liée à l’éthique personnelle et au désir de perfectionnement moral, lors des XVIIIe et XIXe siècles, la motivation se construit en réaction aux inégalités sociales et aux conséquences néfastes de la révolution industrielle. Et à notre époque, il s’agit de penser un futur plus humain, un avenir possible face à des limites qui ont été allègrement transgressées sur notre planète durant les siècles passés.
Épicure et les plaisirs stables
Épicure (341-270 av. J.-C.), philosophe grec, fondateur d’une école de philosophie parmi les plus célèbres, le Jardin, assigne à la philosophie un objectif essentiel, celui d’assurer le bonheur de l’homme. C’est dans cette perspective qu’il propose un nouveau genre de vie, une manière différente de concevoir l’univers et l’homme.
Pour Épicure, la méthode pour atteindre ce plaisir stable consiste dans une ascèse des désirs. Notons que le mot en grec est askesis, qui signifie précisément « exercice ». Le mot « ascèse » évoque pour nous aujourd’hui quelque chose de difficile, de douloureux, synonyme de privation, alors que le mot grec renvoie davantage au fait de s’exercer à, de pratiquer une discipline, de s’entraîner.
Les trois types de désirs
Si les hommes sont malheureux, c’est qu’ils sont torturés par des désirs « immenses et creux », la richesse, la luxure, la domination. L’ascèse épicurienne des désirs se fonde alors sur la distinction entre trois types de désirs :
. Les désirs vides, qui ne sont ni naturels ni nécessaires, les désirs sans limites de la richesse, de la gloire ou de l’immortalité ; ils apportent plus de douleurs que de plaisirs.
. Les désirs naturels sans être nécessaires comme le désir de nourritures sophistiquées, ou encore le désir sexuel.
. Les désirs naturels et nécessaires, comme manger à sa faim, boire à sa soif, se protéger des intempéries, aspirer au bonheur par la philosophie et l’amitié.
Épicure propose dans un premier temps de discerner la puissance de ces différents désirs dans nos vies de tous les jours, pour ensuite consacrer le maximum de son énergie à la satisfaction des désirs naturels et nécessaires. C’est un mode de vie qui assure les besoins matériels vitaux, pour se consacrer le plus possible à la philosophie et aux relations humaines fondées sur l’amitié. Les autres désirs insatiables, parce que quantitatifs seulement, doivent être observés et diminués progressivement jusqu’à ne plus exister. La liberté intérieure et un début de sagesse sont à ce prix-là.
Quelques citations d’Épicure sur la vie sobre pour notre méditation
« La sobriété, qui enseigne à jouir du peu, est un bien inestimable. » Fragments
« Lorsqu’on dit que les plaisirs des riches sont les plus grands, on ne parle pas des plaisirs naturels, mais des plaisirs vains et superflus. » Fragments
« Il ne faut pas vouloir assembler toutes les richesses, tous les honneurs et toutes les dignités pour être heureux, mais se contenter de peu, et ne pas être esclave de ses désirs. » Lettre à Ménécée
« La richesse naturelle est bornée et est facile à se procurer ; mais la richesse des vains désirs s’étend à l’infini. » Maxime 15
« Ne pas se contenter de ce que l’on a, c’est courir après ce qui est inutile et ne jamais jouir du présent. » Maxime 69
Nous recentrer sur l’essentiel
Épicure n’est pas le seul à défendre une vie sobre et simple. Les philosophes antiques, qu’ils soient platoniciens, aristotéliciens, stoïciens ou cyniques, ont tous recommandé un mode de vie simple et sobre. Non pas dans un contexte de mortification, mais dans une recherche de l’excellence humaine en accord avec la nature, et dans une perspective d’évolution vers plus de liberté, de responsabilité, de prudence et de sagesse.
De nos jours, la vie simple et sobre est souvent associée à des mots et expressions qui reflètent l’attention portée aux valeurs essentielles. Que ce soit la consommation responsable, le développement durable, l’économie circulaire et solidaire, la simplicité volontaire, la sobriété heureuse, l’éco-conception, toutes ces notions et bien d’autres reflètent une prise de conscience croissante de l’importance de repenser nos modes de vie pour préserver notre planète et notre bien-être. Mais comme le disait Épicure, sont-elles à même de nous recentrer sur l’essentiel, le désir de philosophie et d’amitié ? Ses conseils restent d’actualité.
À lire
Épicure, l’art de l’amitié
Brigitte BOUDON
Éditions Maison de la Philosophie
Collection Petites conférences philosophiques, 2016, 64 pages, 8 €
Dans ce livre, il est question de l’amitié qu’Épicure, fondateur de l’école philosophique le Jardin (vers 306 av. J.-C.), pratiquait avec ses disciples avec tous les conseils qu’il nous a légués pour vivre plus libre et serein.
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