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Sciences humaines

Entretien avec Antoine Faivre

L’ésotérisme hier et aujourd’hui
Science et ésotérisme

Dans le cadre du 50e anniversaire de notre revue, nous vous proposons de redécouvrir des entretiens des personnalités du domaine de la spiritualité et de l’ésotérisme. Nous republions en plusieurs articles un long entretien de Fernand Schwarz avec un grand spécialiste de l’ésotérisme, Antoine Faivre. 

Antoine Faivre (1934-2021), historien et écrivain français fut attaché de recherches au C.N.R.S. professeur d’Université en France et à l’université de Berkeley aux États-Unis. À l’École Pratique des Hautes Études, il a dirigé l’Histoire des courants ésotériques et mystiques dans l’Europe moderne et contemporaine. Il a fondé la revue semestrielle A.R.I.E.S. (1), les « Cahiers de l’Hermétisme » et la « Bibliothèque de l’Hermétisme » (2). 

Fernand Schwarz, philosophe et auteurs de nombreux ouvrages a interrogé Antoine Faivre sur l’ésotérisme. Cet article fait suite aux l’article publiés les deux derniers mois 2023 (3) et définit le rapport entre la science et l’ésotérisme.

Science et ésotérisme

Revue Acropolis : Puisque la pensée scientifique devient aujourd’hui beaucoup plus ouverte et se décloisonne, la tentation existe de vouloir « expliquer » l’ésotérisme par la science ou du moins d’en chercher la valorisation grâce à la science. Ceci n’est-il pas dangereux puisque vous avez dit que ce sont deux ordres de réalité différents ?

Antoine Faivre : C’est tout simplement une aberration méthodologique, car une forme de pensée n’explique pas une autre forme de pensée. La forme de pensée scientifique, de type cartésien ou néo-cartésien, a sa valeur dans son ordre, mais ses éléments constitutifs ne sont pas les mêmes que ceux de la forme de pensée ésotérique. Par contre, certains éléments constitutifs de la forme de pensée théologique se retrouvent dans la forme de pensée ésotérique, par exemple, la notion de transformation (ou de nouvelle naissance). La science cherche à expliquer le réel par le réel. Il s’agit de décrire les choses pour voir comment elles fonctionnent. Ici le mot « explication » signifie généralement « réduction ». En anglais, on dit to explain away, ce qui veut dire qu’une fois l’explication trouvée, on s’est débarrassé du problème. La science appelle « explication » ce qui donne la cause d’un phénomène, mais la cause n’est pas l’origine.

A. Quelle différence faites-vous entre cause et origine ?

A. F. : La métaphysique, la pensée ésotérique, la théologie, s’intéressent surtout aux origines. Prenons l’exemple du Big-Bang, dont on parle beaucoup actuellement. Je peux tenir sur le Big-Bang un discours scientifique, c’est-à-dire me demander quelle en est la cause. Ce type de réflexion me renverra toujours à une autre cause (un autre Big-Bang, par exemple), alors que la notion d’origine est liée au mythe (pensez au début de la Genèse, récit « fondateur », mythe des origines). Le mythe ainsi compris est un élément constitutif commun à la théologie et à l’ésotérisme, mais pas à la science.
À partir du moment où l’on admet que l’origine n’est pas la cause, il peut y avoir place pour un mythe fondateur. Ce n’est pas croyance contre croyance, ce sont deux notions appartenant chacune à un ordre différent. Mais si vous êtes un savant, rompu aux méthodes de travail en laboratoire, ce n’est pas pour autant que vous êtes nécessairement incapable de comprendre ce que veut dire le croyant, ni d’être vous-même croyant. Gardons-nous de vouloir, au nom d’une forme d’imaginaire (par exemple, de la science), « réfuter » une autre forme d’imaginaire. Et remarquons au passage que cette volonté de réfutation ressortit elle-même à une forme bien intéressante d’imaginaire !

A. : La difficulté, en général, est justement d’accepter l’imaginaire de l’autre

A. F. : Si l’on n’accepte pas l’imaginaire de l’autre, on est intolérant. Et ne rien faire pour tenter de le comprendre de l’intérieur est une forme – peut-être la plus répandue – de bêtise. Il s’agit de reconnaître que l’autre a un imaginaire différent du mien, et aussi que je puis moi-même être habité par plusieurs. Un savant (microphysicien, astrophysicien ou biologiste) peut dire : « Quand je suis dans mon laboratoire, je travaille en scientifique. Mais quand j’ai quitté mon laboratoire, je suis philosophe, théologien ou théosophe… et les questions que je me pose alors sont en rapport avec les expériences que je fais, étant entendu que les deux domaines restent séparés ». Les deux domaines ne communiquent pas organiquement, puisqu’ils participent à des ordres de réalité différents (nous avons vu par exemple la différence entre la notion de cause et d’origine et ressortissent à des formes de pensée différentes. Mais on peut avoir la forme de pensée du scientifique quand on travaille dans un laboratoire, et avoir celle de l’ésotériste, du philosophe, du métaphysicien, du théologien, quand on en est sorti, c’est-à-dire utiliser le matériau observé en faisant cette fois fonctionner son imagination créatrice, en faisant jouer les théories : des correspondances, voire en s’interrogeant sur l’intérêt que peuvent présenter pour un esprit ouvert et créateur : les textes des alchimistes. C’est ce que font encore – ou de nouveau – un certain nombre de savants aujourd’hui.

L’être humain étant pluriel, il est sans doute fait pour vivre sur plusieurs registres – au moins deux, logos et mythos – , l’un n’empêchant pas nécessairement le bon fonctionnement de l’autre, au contraire. Ceux qui se sentent déchirés entre les deux régimes vivent une sorte de schizophrénie propre à notre époque. Parce qu’ils vivent les deux imaginaires non pas dans un sens négativement « contradictionnel » mais positivement « contradictoriel » (pour reprendre l’expression de ce philosophe de la Nature qu’était Lupasco).

(1) Revue d’information de l’Association pour la Recherche et l’Information sur l’ésotérisme 
(2) Parue chez Albin Michel. Outre de nombreux articles, Antoine Faivre est l’auteur de neuf ouvrages dont les trois derniers sont : Accès à l’ésotérisme occidental, Éditions Gallimard, 1986 ; Toison d’or et alchimie, Éditions Arché, Milan/Paris, 1990 ; L’ésotérisme, Éditions PUF, collection Que sais-je ?,1992
(3) Parus dans les revues Acropolis N° 350 (04/2023) et N°351 (05/2023)
https://www.revue-acropolis.fr/entretien-avec-antoine-faivre-lesoterisme-hier-et-aujourdhui/
https://www.revue-acropolis.fr/entretien-avec-antoine-faivre-lesoterisme-hier-et-aujourdhui-2/
Article paru dans la revue 143 (mai-aout 1995)
Dossier La spiritualité aujourd’hui, enjeux et défis
Édition augmentée du dossier paru dans la revue n° 125 (mai 1992)
Propos recueillis par Fernand SCHWARZ
Fondateur de Nouvelle Acropole en France
© Nouvelle Acropole
La revue Acropolis est le journal d’information de Nouvelle Acropole

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