Jannah Theme License is not validated, Go to the theme options page to validate the license, You need a single license for each domain name.
Arts

Entretien avec Philippe Giraud Notre-Dame, chantier de pierre ou chantier d’hommes ?  

Philippe Giraud, compagnon tailleur de pierre et restaurateur de monuments historiques, dans le Perche et auteur d’un livre sur Notre-Dame Le chant de la Reine

Le XXIe siècle saura-t-il relever le défi de la faire renaître de ses cendres en retrouvant les connaissances techniques du Moyen-Âge et l’esprit des bâtisseurs de l’époque ? Nous publions successivement l’entretien réalisé en 2023 à l’occasion de la fête des Métiers d’art et des extraits de celui de 2022 à l’occasion de la parution de son ouvrage Le chant de la Reine.

Revue Acropolis : Vous participez actuellement au chantier de reconstruction de Notre-Dame. Quelles sont vos réflexions sur le sujet ?

Philippe Giraud : J’ai écrit un livre sur Notre-Dame de Paris qui s’intitule le chant de la Reine (1), juste après l’incendie. Ce livre évoque la dimension immatérielle d’un chantier qui existe en parallèle de la dimension matérielle et technique. C’est un imaginaire du chantier qui aurait pu être envisagé pour Notre-Dame en s’affranchissant d’un délai court. C’est l’idée d’un chantier où l’on travaille davantage à la main et en même temps on associe la technologie. Tout le travail de recherche, d’archéologie, de scans, de modélisation 3D sont des outils extraordinaires. Mais si ces outils extraordinaires prennent trop de place pour finir par supplanter cet autre outil extraordinaire qu’est la main de l’homme, on perd quelque chose. Au lieu de créer une synergie entre modernité et tradition, l’un peut étouffer l’autre.
Le livre a eu un bel écho auprès de certaines personnes qui sont assez sensibles à la dimension immatérielle du travail et d’un monument. À Nara au Japon il y a eu un congrès qui insistait justement sur le fait qu’il faut chercher pour un monument une authenticité de forme et pas seulement une authenticité de la matière.
Dès que l’on cherche à reproduire une forme sans chercher à garder le caillou ou le bout de bois ancien – de toute façon pour Notre-Dame on ne peut pas les récupérer – on commence à faire un bout de chemin sur une dimension qui n’est pas que la matière.

Revue A : Le chantier de reconstruction est déjà bien avancé. Quel lien voyez-vous entre ce chantier et vos projets ?

P.G : Actuellement le chantier est avant tout axé sur une dimension de compétences et de techniques, qui est faite par ailleurs de manière excellente. Simplement on est loin de l’époque du chantier du Moyen-Âge où se croisaient les valeurs humaines, le spirituel et le savoir-faire. Peut-être cela existait-il encore un peu à l’époque de Viollet-le-Duc quand furent réalisés les travaux du néo-gothique, mais déjà au XIXe on avait beaucoup perdu sur la philosophie dans le travail et l’art de se construire en construisant.

Dès que l’on cherche à reproduire une forme sans chercher à garder le caillou ou le bout de bois ancien, on commence à avancer vers une dimension qui n’est pas que la matière.

L’idée serait d’ouvrir un deuxième chantier de Notre-Dame, en lien avec l’esprit de Notre-Dame gothique. On pourrait resculpter les rois de France à partir des originaux qui ont été retrouvés et que Viollet-le-Duc n’avait pas, refaire des travaux de polychromie sur les statues, parce qu’une statue a vraiment son rayonnement et sa vie avec sa polychromie. Quand on voit une statue polychrome à l’intérieur d’une église du XVe siècle et qu’ensuite on l’imagine toute blanche, on ressent bien que l’on perd quelque chose. Évidemment il ne s’agit pas de faire du flashy de mauvais goût. Et également sur les vitraux, on pourrait imaginer des ateliers qui remplaceraient les vitraux du XXe siècle en faisant des créations dans un esprit médiéval.
C’est dans cette idée que l’on pourrait prolonger le chantier de Notre-Dame, avec une dimension plus humaine et plus traditionnelle avec beaucoup plus de place pour le travail manuel. Tout cela sans s’affranchir de l’aide que peut nous apporter la technologie, les ordinateurs mais qui de mon point de vue, ne doivent concerner que la phase en amont du travail de la matière, c’est-à-dire la phase étude. Parce que l’ordinateur pourrait sculpter un volume à l’aide d’une machine avec une fraise, que l’on appelle une machine cinq axes, sans que l’homme n’intervienne nullement, ou uniquement pour effacer les marques laissées par la machine. Si on se donne le droit de travailler à la main, il faut être efficace. Il ne faut pas le faire dans un esprit atelier loisir pour se faire plaisir, sans se préoccuper du temps. Il y a nécessité, par exemple dans les métiers du bâtiment, d’être puissant et en même temps de faire le grand écart avec l’adresse et la précision. L’idée n’est pas d’être passéiste. C’est plutôt l’idée d’une ouverture vers le futur en prenant le meilleur du passé.
Ci-dessous un extrait de l’interview réalisé auprès de Philippe Giraud en 2022 (2).

Revue A. : En 2020 vous avez publié « Le chant de la Reine ». Pourquoi ce livre et
pourquoi ce titre ?

P.G. : Lors de l’incendie de Notre-Dame de Paris, je me suis dit que toute situation dramatique pouvait offrir des opportunités. C’est un peu comme si Notre-Dame suggérait qu’il était possible de renouer avec l’esprit des bâtisseurs, de revivre la magie du temps des cathédrales. C’est déjà ce qui est en train de se faire à travers son chantier passionnant de restauration pour les charpentiers, les tailleurs de pierres et une fois passée la phase fastidieuse de reconsolidation, d’extraction du plomb, de nouvelles perspectives peuvent apparaître.

Le chant de la Reine est une appellation qui m’est venue assez rapidement. Dans une ruche, la reine des abeilles lance un message quand elle naît pour regrouper autour d’elle des abeilles, et constituer une colonie qui va redynamiser une nouvelle ruche. Notre-Dame de Paris, souvent appelée « la reine des cathédrales », nous présente aujourd’hui, l’opportunité de regrouper des êtres humains qui sont sur une même longueur d’onde en quelque sorte, pour faire revivre le temps des cathédrales, non seulement d’un point de vue technique et matériel mais peut être aussi d’un point de vue philosophique et humain. Quand on étudie l’histoire, qu’on lit par exemple Georges Duby (3), on s’aperçoit à quel point le chantier d’une cathédrale était une aventure, un chantier hautement culturel à tous niveaux, technique évidement mais aussi au niveau de la pensée philosophique avec l’Abbé Suger qui a revisité la manière de voir la religion chrétienne : une véritable ruche de chercheurs, de philosophes d’un niveau culturel que l’on a un peu perdu ; des rencontres également de techniciens, d’artistes qui convergeaient sur un même projet. Cet évènement pourrait – ce n’est pas encore réussi –, lancer un grand chantier-école comme à Guedelon (4), château médiéval de Bourgogne. Dans le cas de Notre-Dame, pourrait s’adjoindre un chantier pour construire « l’humain » autour de philosophes, de penseurs, de chercheurs, de chrétiens qui puissent faire revivre ensemble l’esprit de ce magnifique édifice.

Revue A. : Pouvez-vous- expliquer aux lecteurs comment s’est faite la construction de Notre-Dame de Paris au cours des siècles ?

P.G. : Notre-Dame de Paris est l’une des rares cathédrales, qui, bien que très remaniée au XIXe siècle, présente une grande unité architecturale. Il n’y a pas de crypte romane, d’adjonctions gothique flamboyant, renaissance ou baroque. Le style est très équilibré, avec une symétrie à la fois dynamique et harmonieuse. Il n’y a pas de mélanges d’architecture comme dans la plupart de nos cathédrales. Notre-Dame de Paris est un peu le cœur sacré de la France.
Comme toutes les cathédrales, Notre-Dame de Paris s’est construite sur des bases plus anciennes qui remontent à l’époque gallo-romaine, dont il reste des vestiges exposés au musée de Cluny. C’est un lieu géographique très particulier, au cœur de Paris, construit au début du gothique rayonnant. À l’époque, il y a eu un formidable élan humain de dons et de soutiens, suite à l’impulsion de l’Abbé Suger de Saint-Denis (5) qui a motivé la reconstruction de la cathédrale romane dans un nouveau style, appelé à l’époque « Art français », le terme gothique étant apparu bien plus tard. 
Pour Notre-Dame, il y a deux époques : la cathédrale gothique (reconstruite sur les vestiges d’une église romane) avec de très petites interventions au fil des siècles. En effet, le portail central fut remanié par Soufflot au XVIIIsiècle, puis restitué dans son aspect gothique par l’architecte Eugène Viollet-le-Duc (6) et les vitraux de la nef furent restaurés dans un style du XVIIIe siècle avant d’être retransformés à l’époque moderne. Ensuite, il y a eu une période d’abandon. C’est au XIXe siècle que se développe, dans une mouvance un peu romantique, une restauration des monuments anciens dans leur état d’origine : il y a eu d’énormes chantiers néogothiques dirigés par Viollet-le-Duc, dont la cathédrale. Un même élan s’est développé en Angleterre avec l’architecte Augustus Pugin (7).

Revue A. : Quel message les bâtisseurs voulaient-ils faire passer dans la construction de cathédrales ?

P.G. : À l’origine, pour financer la cathédrale, il y avait des liens forts entre le pouvoir temporel (le roi) et le pouvoir spirituel (l’évêque). C’était un défi collectif énorme pour toute la population eu-égard à la mobilisation financière et humaine, à une époque où les moyens matériels étaient bien plus limités que ceux d’aujourd’hui. 
Au Moyen-Âge, il y avait une recherche d’unité malgré la diversité entre les différentes facettes de la culture : les chanoines, les bâtisseurs, les musiciens, les artistes œuvraient sans cloisonnement. Il existait même de forts échanges culturels avec les bâtisseurs de l’Islam, ce qui s’est ensuite perdu au temps des croisades. Les bâtisseurs de l’époque gothique étaient liés par la pensée chrétienne. Notre-Dame, comme la majorité des cathédrales de l’époque est dédiée à la Vierge Marie, expression de cet élan dévotionnel très fort au cœur du Moyen-Âge. 
Cette dimension spirituelle s’estompe aujourd’hui au profit du défi technique de la reconstruction. Évidemment, les prêtres, et les chanoines autour de Notre-Dame suivent avec grande attention la renaissance de la cathédrale mais sans réellement parvenir à créer de lien et d’échanges avec la dynamique du compagnonnage à l’œuvre.

Revue A. : Quel est le message que vous voulez transmettre dans votre livre ?

P.G. : Ce livre est un message pour rappeler ce que pouvait être le chantier de la cathédrale à son origine. Au-delà de la simple évocation nostalgique, nous pourrions imaginer faire revivre une convergence des artisans, des artistes, mais aussi des archéologues, des historiens, des penseurs, des philosophes, des hommes de religion, avec une ouverture culturelle au grand public. Le Chant de la Reine propose une perspective plus globale, au-delà de la stricte restauration matérielle.
J’ai également cherché à exprimer une dimension poétique dans le livre pour toucher le cœur plus que l’intellect, par des poèmes accompagnés d’aquarelles que ma fille Raphaëlle a réalisées. Inviter ainsi au partage d’un rêve à travers les mots et les images…

(1) Ouvrage publié aux Éditions ADLP, 2020, 226 pages, 14 €. Illustrations de Raphaëlle Giraud 
(2) Lire l’article complet paru dans la revue Acropolis N°339 (04/2022) et sur internet
https://revue-acropolis.com/rencontre-avec-philippe-giraud-le-chant-de-la-reine/
(3) Universitaire et historien français (1919-1966), spécialiste du Moyen-Âge, membre de l’Académie française et professeur au Collège de France
(4)  www.guedelon.fr 
(5) Abbé (1080/1081-1151), ministre des rois Louis VI le Gros et Louis VII, nommé Abbé de Saint-Denis en 1122. Lire dans la revue l’article de Marie-Agnes Lambert, Il y a 900ans, Suger était nommé abbé de Saint-Denis, page 10 et l’article de Fernand Schwarz, Suger et l’Abbaye de Saint-Denis, la théologie de la lumière dans l’art gothique, page 13
https://revue-acropolis.com/il-y-a-900-ans-suger-etait-nomme-abbe-de-saint-denis/
https://revue-acropolis.com/suger-et-labbaye-de-saint-denis-la-theologie-de-la-lumiere-dans-lart-gothique/
(6) Architecte français (1814-1879), historien, théoricien, pédagogue, dessinateur, professeur, écrivain, décorateur, archéologue. Il a restauré de nombreux édifices médiévaux, écrit des ouvrages sur l’art du XIe au XVIe siècle avec de nombreux dessins, qui constituent une grande base de données existante sur le Moyen-Âge. Il a posé les bases de l’architecture moderne et de l’art Nouveau
(7) Architecte britannique (1812-1852) célèbre pour avoir réalisé le Palais de Westminster et spécialisé dans l’architecture gothique et la décoration
Site de Philippe Giraud : http://atelierdelapierre.info
Propos recueillis par Isabelle OHMANN et Dominique DUQUET
© Nouvelle Acropole
La revue Acropolis est le journal d’information de Nouvelle Acropole

Les nouveaux mystères de Chartres
Christophe FERRÉ
Éditions Salvator, 2023, 194 pages, 18 €

« Il n’y a plus de cathédrale après Chartres ! Là, j’ai vraiment senti ce que c’est que l’architecture ; il m’a semblé que tous mes rêves d’enfance se réalisaient. » a écrit Eugene Viollet-le-Duc. L’auteur éprouve une même passion pour cette cathédrale qu’il veut faire partager avec les lecteurs. Quelle science devait être celle de ces hommes, concepteurs, constructeurs, sculpteurs, maîtres verriers, pour parvenir à réaliser, à cette échelle, de tels instruments symboles d’action de grâce ? Mystère de la vie terrestre associé au mystère de la vie céleste.

Le trésor de Notre-Dame de Paris, des origines à Viollet-Le-Duc
Jusqu’au 29 janvier 2024

En 2024, s’achèveront les travaux de restauration de la cathédrale Notre-Dame de Paris et le trésor va réintégrer le bâtiment néogothique construit pour l’abriter par Jean-Baptiste Lassus et Eugène Viollet-le-Duc de 1845 à 1850.
Le musée du Louvre présente une exposition consacrée au trésor de Notre-Dame depuis ses origines jusqu’à son renouveau et son épanouissement avec Viollet-le-Duc sous le Second Empire. Il est constitué des reliques insignes comme celles de la Couronne d’épines et du Bois de la Croix qui proviennent de l’ancien trésor de la Sainte-Chapelle et qui ont été déplacées à Notre-Dame sous le règne de Napoléon 1er. Sont exposés également des chefs-d’œuvre de l’orfèvrerie française rassemblés au XIXe siècle. Plus de 120 œuvres remontent le temps de l’histoire du trésor de la cathédrale de Paris avec des inventaires, récits historiques, peintures, manuscrits enluminés, gravures et autres documents figurés… depuis les temps mérovingiens jusqu’au XIXe siècle.



Musée du Louvre
Aile Richelieu
Entrée Pyramide du Louvre
Rue de Rivoli – 75001 Paris
Tel : 01 40 20 53 17 et 01 40 20 50 50

www.louvre.fr

Articles similaires

Voir Aussi
Fermer
Bouton retour en haut de la page