Société

Essentiel, vous avez dit essentiel ?

« À force de sacrifier l’essentiel pour l’urgence, on finit par oublier l’urgence de l’essentiel. » Edgar Morin

La fermeture des commerces dits « non-essentiels » a suscité un débat sur ce qui est essentiel et ce qui ne l’est pas. La crise va-t-elle rebattre les cartes de notre hiérarchie de valeurs ? L’essentiel est-il vital ?

Déjà dans le premier confinement, l’essentiel pour notre vie quotidienne avait pris un visage insolite : les personnels médicaux, les caissières, ou les éboueurs étaient tout à coup apparus sur le devant de la scène comme des métiers vitaux. Ils étaient tout à coup devenus « essentiels » alors qu’ils ne le semblaient pas avant.

Qu’est-ce que l’essentiel ? On le définit comme ce qui est nécessaire à l’existence de quelque chose, ce dont on ne peut se passer. Quelqu’un dont on dit que ce qu’il fait n’est pas essentiel voit donc son activité basculer dans le superflu, voire l’inutilité.
Dans le plan matériel, est essentiel ce qui est utile, ce qui sert, et par conséquent sa qualité varie selon les circonstances. Mais existe-t-il des choses qui sont essentielles au-delà des circonstances ? Au-delà des valeurs utilitaires et matérielles ?
Le livre, sujet de tant de débats et mobilisation, symbole de la culture, en est-il l’exemple ?

Quels sont les critères de l’essentiel ?

Il est bon de se rappeler la pyramide des besoins établis par Abraham Maslow. En effet, le célèbre psychologue avait classé les besoins humains en cinq catégories organisées sous forme de pyramide, comme suit (du bas vers le haut) : les besoins physiologiques, les besoins de sécurité, les besoins d’appartenance et d’amour, les besoins d’estime et le besoin d’accomplissement de soi. En temps de crise il semble que les besoins se réduisent aux besoins vitaux physiologiques et de sécurité, comme le disait Maslow.
La distraction, l’amusement, le spectacle, le tourisme ne sont plus de mise. Et au final la culture.

Tout cela semble logique sauf que…

« Il y a une différence entre l’art de vivre comme un être humain et celle de survivre biologiquement » soulignait Edgar Morin.
Survivre biologiquement nous ramène à la condition animale. C’est la culture qui nous conduit vers l’humanité. Nous n’aurions jamais eu les pyramides, la philosophie ou les opéras de Mozart si cela avait dû seulement être « utile ».

…en temps de crise, ce qui est vital, n’est-ce pas la force morale de résilience et de stabilité ?
Dans ce cas, l’acquisition de biens intérieurs n’est-elle pas supérieure à celle de biens matériels ?
En développant notre potentiel intérieur non seulement nous dépendons moins de l’extérieur, mais nous développons une force morale qui nous permet de mieux réagir et résister aux difficultés. Notre degré de satisfaction personnelle peut être plus élevé qu’en comblant des besoins matériels.

Dans la pandémie, un livre serait donc aussi important qu’un paquet de farine ? À condition que la culture soit accompagnée d’une solide formation morale.
Nourrir son âme, persévérer dans une discipline quotidienne est tout aussi important que laver et nourrir son corps (ce que parfois on ne fait pas quand on est confiné et que personne ne nous voit).

La formation intérieure peut nous aider à réduire nos besoins matériels, pour nous aider non seulement à vivre le confinement mais, bien au-delà, à ouvrir l’ère de sobriété que beaucoup appellent de leurs vœux. Car sinon, comment trouver la force de renoncer à une part de confort, érigé en bien suprême par la modernité ? Ou comment éviter le piège d’une réduction de notre style de vie contrainte et forcée, donc subie et mal vécue.

Un retour à l’essentiel ?

On aura ainsi beaucoup entendu parler d’un « retour à l’essentiel », une sorte d’épure de l’existence reconduisant chacun à ce qui compte vraiment. L’essentiel apparaît dans le dépouillement tout comme l’arbre qui perd ses feuilles en automne laisse apparaître l’essentiel : ses branches.
Face à la pression des crises, l’être humain a l’opportunité de chercher et trouver le sens de la vie au-delà de la réalité matérielle, donnant lieu au vécu d’idéaux ou d’expériences spirituelles. Grâce à cela, il peut se situer plus aisément dans une réalité difficile et incertaine.

Souhaitons que cette crise nous amène à remplacer la quête matérielle du bonheur et de nos moyens de vie par celle de nous-mêmes et de nos raisons de vivre.

par Isabelle OHMANN

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