Spiritualité

La magie du cœur en Égypte : Interview de Fernand Schwarz

Dans son dernier livre, Fernand Schwarz aborde la notion de magie en Égypte. Dans l’Égypte antique, la magie était utilisée pour préserver l’ordre du monde et apporter harmonie et vitalité à l’homme comme à la société.

Revue Acropolis : Pourquoi écrire un livre sur la magie en Égypte ?

Fernand Schwarz : Nous vivons un monde désenchanté. Aujourd’hui les êtres humains ont besoin de se réenchanter, de découvrir de nouvelles perspectives et des options selon lesquelles, il est possible, malgré notre environnement et les circonstances, de vivre autrement et de retrouver d’autres dimensions de l’existence, de la réalité. L’idée centrale que porte la magie qui naît du cœur, explique la manière dont les Égyptiens ont trouvé la forme de réenchanter le monde à leur époque.
Depuis une quarantaine d’années, j’emmène des groupes de personnes visiter l’Égypte et tous changent de visage devant les ruines de temples ou de pyramides. Quand elles descendent dans les tombes et découvrent les dessins, il se produit chez elles un enchantement, même si elles ne comprennent pas grand-chose parfois. Je me suis donc dit que l’Égypte est une bonne potion magique pour tous les gens qui vivent à notre époque. Fort de cette constatation, j’ai eu envie d’expliquer en profondeur cette civilisation, ses fondements et d’expliquer comment l’être humain et une société peuvent se réenchanter.
Quand je parle de réenchantement, il ne s’agit pas de fuite, de s’échapper de notre mental, de nos préoccupations, en allant en Égypte ou en lisant un livre avec de belles photos qui nous inspirent. Il s’agit de se retrouver, en ouvrant son cœur, pour comprendre la vie autrement. Les Égyptiens ont su nous apprendre à le faire, et les méthodes qu’ils ont utilisées sont très contemporaines.

Revue Acropolis : Pouvez-vous expliquer en quoi leurs méthodes peuvent nous être utiles aujourd’hui ?

F.S. : Au niveau anthropologique, des sciences de l’imagination et de la psychologie profonde, on comprend aujourd’hui que les Égyptiens étaient en avance. Quand ils traitaient un malade, ils ne disaient pas : « vous êtes malade », ils disaient : « il vous est arrivé la même chose qu’à tel dieu, », « vous êtes un peu dans la même situation que le dieu Horus quand il a été mordu par un serpent ». Alors le malade se sentait contemporain du dieu, se sentait traité comme un être particulier et reconnu dans sa difficulté. Il comprenait que d’autres avant lui avaient vécu cela et qu’il y avait des solutions. Le traitement psychologique de l’être humain par les Égyptiens était extraordinaire parce qu’ils reconnaissaient l’individualité de chacun. Ils mettaient celui-ci dans un contexte qui lui faisait sortir de sa propre difficulté, et cela c’est extraordinaire !

Donc, aujourd’hui, la psychologie moderne accepte tout cela. « Faire comme si », pour arriver à ce que ce soit vrai, est quelque chose que nous savons aujourd’hui, que nous utilisons parfois quand nous sommes obligés de « faire comme si » et, à la fin, cela finit par arriver. Voilà donc pourquoi je pense que les Égyptiens ont un message à nous donner aujourd’hui.
Depuis l’époque de la Bible, des Grecs et des Romains, tout le monde considérait les Égyptiens comme des magiciens. À l’époque, la magie n’était pas très bien vue, tout comme aujourd’hui, parce qu’évidemment on pensait que la magie c’était posséder quelqu’un, faire de la sorcellerie, amener les gens vers le côté obscur de la nature humaine. Pour les Égyptiens la magie n’est pas ce que je viens de vous décrire.

Revue A. : Quel est le rapport entre la religion et la magie pour les Égyptiens ?

F.S. : Les Égyptiens n’ont pas de mot pour décrire la religion. Pour eux, la religion est l’union avec les forces de la nature et ses lois, les connexions entre tout ce qui existe, visible et invisible, et comment les connexions permettent à l’être humain et à une société de vivre en harmonie. Tout ceci est la magie égyptienne. La magie égyptienne permet de réorganiser les choses qui sont en désordre, pour que l’harmonie, l’ordre et l’intelligence puissent émerger chez l’individu comme dans la société. Elle est très puissante dans le sens où elle évoque ce qui est juste, ce qui est beau, ce qui est bon, et non la pratique de la sorcellerie étrange.

Revue A. : Comment les Égyptiens définissaient-ils la magie ?

F.S. : En Égypte, un mot définit ce qu’est la magie : HEKA. Celui-ci est constitué de deux hiéroglyphes : HÉ : nœud, corde nouée
KA : la force procréatrice, la puissance magnétique qui anime tout corps et le protège.

 est le nœud qui permet de relier et d’attacher, de protéger, de conserver. À une certaine époque, quand il n’y avait pas les smartphones pour nous réveiller ou nous rappeler de quelque chose, nous nous disions « je fais un nœud à mon mouchoir » pour nous rappeler ce dont nous devions nous souvenir. Le nœud relie, croise les dimensions et produit donc des liens.
KA est un aspect qui compose l’être humain mais également les dieux. Il est la capacité d’engendrement, capacité active de protection, ce qu’on a traduit par le double ou l’aura, la matrice énergétique du corps humain. C’est une énergie protectrice très psychique mais en même temps très vitale. Le KA de l’être humain et des dieux permet donc de protéger et de donner la vitalité aux choses. Le KA relie chaque être à la force universelle. Il active le potentiel vital d’une chose, créée par la parole, l’image ou l’écriture. HÉKA implique donc le concept de nouer, relier, associé à une puissance vitale générative, il représente le pouvoir créateur et le moyen par lequel les divers niveaux spirituels et matériels s’interconnectent et peuvent s’interpénétrer.

Revue A. : À quoi sert la magie concrètement ?

F.S : La magie relie les différents aspects visibles et invisibles de la nature et du cosmos et, en même temps, peut projeter une puissance vitale constructive et protectrice. S’il n’y a pas de KA, il ne se passe rien dirait un Égyptien parce que la vitalité, le psychisme qui donnent la force ne sont pas là. C’est pour cette raison que, dans les tombes par exemple, on trouvait des statues du KA du mort, à travers lesquelles, les vivants communiquaient avec l’au-delà. Les vivants amenaient des petits pains, des rafraichissements pour le KA en lui demandant d’en extraire l’énergie pour avoir plus de puissance et protéger le mort dans l’au-delà…

Revue A. : Comment capter cette énergie et devenir un magicien ?

F.S. : Pour être clair, le KA est une sorte de fluide qui traverse tout ce qui existe dans l’univers et la nature. Si on prend contact avec ce fluide, comme un fil d’un collier de perles, on peut relier les choses entre elles. Pour que ce fluide soit transmissible ou qu’on puisse opérer avec, il faut d’abord le canaliser dans le cœur, lieu de grande force de projection pour les Égyptiens. Le cœur est le siège de la conscience. Tout part du cœur et tout y revient. La sagesse égyptienne disait : « celui qui a veillé à son cœur pourra formuler des souhaits réalisables. » Le sage Ptahhotep, qui a vécu au temps des pyramides enseignait : « suis ton cœur, ta conscience et ton Ka, ta puissance créatrice, le temps de ton existence, sans commettre d’excès par rapport à ce qui est prescrit pour garder l’harmonie et l’équilibre… Quels que soient les évènements, suit ton cœur et la conscience car les évènements ne seront pas favorables au paresseux négligeant. » Il y a des textes qui parlent du magnétisme des mains, de la capacité des mains non seulement de masser mais de transmettre ce fluide. En Égypte, être un vrai magicien impliquait de répondre moralement de ses actes.

La formation d’un magicien en Égypte était très difficile. La magie égyptienne n’est pas que la réalisation de grigris ni que des mots que l’on prononce. La magie c’est d’abord de se connaître soi-même et de se maîtriser pour apporter aux autres ce dont ils ont besoin. Le futur magicien qui, en fait était un prêtre, un sage, devait donc suivre tout un itinéraire pour se former lui-même avant d’apprendre à entrer en contact avec les énergies subtiles et moins subtiles de la Nature.

Revue A. : Existe-t-il aussi des objets magiques ?

F.S. : Les dieux ont plusieurs KA. Ils ont une capacité de répandre ces fluides, beaucoup plus que les humains. Si on veut fixer ce fluide, il faut adopter, comme pour tout type d’énergie, une forme adéquate qui peut intégrer cette énergie. C’est ainsi que vont naître les hiéroglyphes, les talismans, les différents symboles égyptiens, qui ne sont pas de la matière inerte mais de la matière vivante. Comme ils sont vivants, ils agissent en permanence.

Quand les gens visitent un temple égyptien, ils sont parfois émus, reçoivent un choc. C’est comme si les pierres reflétaient quelque chose et transmettaient quelque chose aux humains. C’est le même phénomène qui se passe dans les tombes. Ce n’est pas simplement esthétique. En soi cela est très profond. C’est une expérience à vivre. Je pense que c’est cela, la véritable magie égyptienne.

Revue A. : Que dirait un Égyptien de l’Antiquité, s’il arrivait en France en 2023 ?

F.S. : Il serait bien surpris car il ne comprendrait pas pourquoi les gens courent, pourquoi ils ne voient pas leurs voisins, pourquoi il y a une telle agitation. Il serait surpris du rythme que nous avons, qui est un rythme plutôt centrifuge, qui va vers la périphérie, un peu en désordre, comme si nous ne pouvions pas faire autrement.
Les Égyptiens étaient des gens beaucoup plus modérés qui cherchaient les connaissances, qui pensaient qu’il fallait réfléchir, connaître… et par là-même, avoir un certain rythme. Les Égyptiens adoptaient le rythme du fleuve et de la nature. Quand se produit la crue, on n’a pas le même rythme qu’au moment de semer ou de récolter. Par exemple, la crue rend impossible les travaux des champs. À ce moment-là, on construisait donc des temples, on utilisait le temps d’une autre manière, avec des alternances.
L’Egyptien qui reviendrait aujourd’hui ne comprendrait pas non plus les difficultés des gens à exprimer leurs sentiments ; il ne comprendrait pas non plus leur difficulté d’aller au-delà des apparences pour découvrir la vérité, qu’il y a des éléments invisibles aux yeux, comme dirait Le petit prince d’Antoine de Saint-Exupéry et qu’il faut les partager. Il faut entendre son cœur, dirait un Égyptien, il faut apprendre à penser avec son cœur, c’est-à-dire relier l’intelligence avec des sentiments d’ouverture positifs. Voilà comment penserait un Égyptien. Je crois qu’il serait un peu désorienté !

Revue A. : Pourquoi dit-on que les Égyptiens sont des maîtres de l’imagination ?

F.S. : Nous confondons souvent l’imagination avec la fantaisie. Nous fantasmons, nous délirons un peu. Mais ce n’est pas l’imagination.
L’imagination est notre capacité de nous représenter les choses et de pouvoir les décoder. C’est pour cette raison que le langage de l’imagination s’exprime par les symboles. S’il n’y a pas d’imagination, il n’y a pas de créativité ni de compréhension. Avec le génie des hiéroglyphes et l’art très particulier avec lequel ils les ont développés, les Égyptiens apportaient des images de compréhension. Cela fait partie de la magie. Quand un artiste réalise quelque chose il le fait par rapport à un canon, et ce canon égyptien est très particulier. Les Égyptiens savent parfaitement dessiner les choses de façon réaliste. Il y a beaucoup de différents essais de peintres et de dessinateurs sur des ostraca, éclats de pierres ou de poterie, sur lesquels ils dessinaient pour ne pas gâcher le papyrus. Ils se faisaient plaisir, ils dessinaient comme nous.

Mais quand ils réalisaient une œuvre d’art, quand ils œuvraient pour un temple ou une tombe, les Égyptiens utilisaient comme canon de représentation, la largeur. La largeur est l’horizon. Dans l’horizon, il y a ce seuil entre le visible et l’invisible. C’est pour cela qu’ils ont choisi ce système. Le soleil s’élève et se couche à l’horizon. L’horizon est une ligne imaginaire mais bien réelle puisqu’il nous fait naître ou cacher la lumière. À partir de cela, les Égyptiens choisissaient quelles étaient les parties les plus larges de nos corps et représentaient les gens en position de torsion. La largeur pouvait être de face, de dos, de côté. Ils ont transformé l’image de l’être humain en une sorte de spirale avec une terrible tension. Dans cette tension, que le public ne voit pas, on sent qu’il y a une énergie.
Les Égyptiens ont conçu un canon de représentation qui peut donner de l’énergie, de la vitalité à ce qu’on représente. Cela c’est encore magique !

À lire
Égypte, la magie du cœur
Fernand SCHWARZ
Éditions Acropolis, 2023, 160 pages, 15 €
Interview à écouter sur Youtube https://www.youtube.com/watch?v=iM2UXHdLQsc&t=904s
Fernand SCHWARZ
Fondateur de Nouvelle Acropole en France
© Nouvelle Acropole 
La revue Acropolis est le journal d’information de Nouvelle Acropole

Articles similaires

Bouton retour en haut de la page