Société

Expériences du Sud, le pouvoir des rencontres

En Argentine, il existe des espaces dédiés aux activités sociales, animés par des volontaires. El Merendero est l’un de ceux-là, notamment pour les enfants. Un lieu en constante évolution dont les actions nourrissent et unissent à la fois les enfants mais également les animateurs.

El Merendero Los Pibes del Ombú est situé en Argentine, dans la province et banlieue de Buenos Aires. Il existe de nombreux espaces tels que celui-ci autour de la capitale. Ils ont surgi au moment de la crise et au fil du temps et des changements des politiques de tous niveaux (locaux comme régionaux ou nationaux), ils se sont institutionnalisés ou ont disparu, et ceux qui sont restés, maintiennent des contacts plus ou moins forts avec d’autres organismes ou avec l’État. El Merendero fait partie de cette macro-histoire (1) et, comme tous les espaces (qui sont toujours le résultat des personnes qui les ont formés et de leurs pratiques), il renferme l’histoire de tous ceux font partie de ce type de lieux. Nous pouvons ainsi parler des familles et de leurs parcours ; des militants qui, pour différents motifs, arrivent à ce site et à ce projet ; nous pouvons parler de ceux qui n’y sont plus ; nous pouvons parler des changements dans les relations avec d’autres acteurs qui n’appartiennent pas au Merendero. Tous ces parcours, finalement, sont très différents, mais ils ont quelque chose en commun : d’une certaine façon, ils mènent tous au Merendero. C’est de cette rencontre que nous nous proposons de parler : une expérience collective au sud du Sud.

Des activités créatives pour les enfants

En 2001, el Merendero a été créé par des voisins mais nous les militants, venant d’autres espaces et d’autres lieux, nous sommes arrivés en 2008. Tous les samedis, nous y travaillons avec des enfants, avec lesquels nous réalisons des expériences récréatives, incluses dans un projet pédagogique que nous avons monté nous-mêmes, en partant des connaissances et des contacts pris avec d’autres mouvements engagés dans le même type de projet. Quarante à cinquante jeunes agés de 2 à 17 ans participent aux ateliers que nous avons préparés ce jour-là. Par exemple, nous pouvons faire de la peinture sur des feuilles de carton, en prenant comme modèles des artistes tels que Pablo Picasso, Antonio Berni (2) ou Edward Munch (3) ; nous pouvons aussi fabriquer nos instruments et créer un ensemble de maracas, de tambours et de tam-tams faits avec des pots de peinture et décorés avec des papiers de couleurs ; nous pouvons aussi organiser une «Journée de la Science» et effectuer des expériences comme des scientifiques tels que Heisenberg (4) ou Marie Curie (5).

Un lieu d’éducation et de transformation…

Tout au long de ces années, les activités ont évolué, bien qu’elles soient toujours restées inspirées par un objectif commun : créer des liens qui nous permettraient de nous repenser comme personnes, amis, militants et jeunes. Au fond, nous sommes en train d’aborder un phénomène qui passe inaperçu mais qui nous concerne tous : qu’est-ce que l’enfance ? quels sont les droits d’un enfant ? quelle éducation méritons-nous ? Quelle éducation se construit dans un espace qui est en dehors de l’École normale ? C’est ainsi que nos outils, parfois les mêmes que ceux employés par les institutions officielles, parfois différents, misent sur un projet ouvert, inclusif et transformateur. Comme l’a signalé une de nos compagnes dans une entrevue réalisée il y a quelques années : «Toutes les personnes avec lesquelles nous rentrons en relation, à l’occasion d’une activité ou lors d’un échange, provoquent également un changement en nous-mêmes. C’est également valable pour moi. Autant je peux avoir envie de provoquer un changement chez les enfants et chez les adultes, autant la relation que j’ai avec eux et également toutes les activités que nous réalisons, provoquent un changement qui m’est profitable. Pour moi, c’est tout aussi important parce que je crois que cela fait partie d’une évolution mutuelle, chez l’un comme chez l’autre.»

… en constante évolution

Aujourd’hui, el Merendero (6) ne fournit pas seulement le verre de lait, c’est-à-dire le goûter : une tasse de maté, du chocolat au lait ou du riz au lait et un peu de nourriture. Les activités se sont élargies et le groupe qui a démarré en 2008 a également beaucoup changé. Ceux qui restent ont grandi avec le quartier et les nouveaux arrivent d’un autre contexte : des jeunes de 23-24 ans, avec leur travail et leurs études, leurs familles et leur propre parcours. Parcours est peut-être le mot-clé : el Merendero et tous ceux qui le rendent possible, sont tous en mouvement constant. Nous créons de nouveaux parcours. Pas seulement par notre histoire, mais par les activités mêmes : nous évoluons avec les paroles des contes et des livres qui parlent de personnages d’autres pays et d’autres époques ; nous sommes en mouvement lorsque nous voyageons à Tecnópolis (7), à l’autre bout de la ville, pour effectuer des expériences avec les nanotechnologies ou pour être le temps d’une journée, des paléontologues ; nous sommes en mouvement lorsque nous nous déplaçons pour suivre un cours qui nous apprendra à peindre une fresque à l’Université de Lanús ou lorsque nous nous réunissons chez l’un ou l’autre (nous habitons tous à des endroits différents de la capitale) pour discuter des activités à organiser le samedi. Nous bougeons parce que ce qui ne bouge pas n’évolue pas, comme le chante le groupe portoricain Calle 13. Nous évoluons dans la rencontre que permet El Merendero depuis des années.
Par conséquent, les Jeunes d’el Ombú construisent avec une organisation, des idées, des débats ou de la communication. Mais ils construisent également avec et en partant de la joie qui ne pourra jamais disparaître si l’on cherche à faire quelque chose de grand. Nous cherchons à faire valoir une parole juste, comme le disait le poète argentin Francisco «Paco» Urondo, qui sache dire mais qui sache écouter ; qui naisse fondamentalement de la rencontre, qui nous nourrit grâce aux expériences et aux idées d’un grand nombre de personnes qui, bien qu’elles viennent de lieux tous différents, se réunissent dans cette petite maison faite de bois, de briques et de tôle, mais qui possède maintenant sa propre bibliothèque et un jardin ; cette maison ne cesse jamais d’évoluer, en un travail qui unit toutes les mains : les nôtres, celles des voisins et celles des enfants.

Nous vous invitons à venir et à faire connaissance de notre espace, pour que vous voyiez la couleur de notre identité, qui est à la fois très particulière et très générale. Pour que vous voyiez également nos couleurs, car elles sont nombreuses et elles se construisent collectivement depuis plusieurs années, à pas lents mais sûrs.

Par les animateurs de El Merendero
Traduit de l’éspagnol par Michel GRANDGUILLOT

Blog : http://merenderoelombu.blogspot.com
Courriel : glewcenba@googlegroups.com
Facebook : Los Pibes del Ombú


(1) On désigne du nom de macro-histoire, les travaux qui intègrent à l’analyse des événements historiques l’environnement géographique, les données économiques, les idéologies et les pratiques culturelles, dans une saisie dialectique des rapports de l’espace et du temps
(2) Peintre argentin (1905-1981). Il incarna une vision moderniste de la peinture, excerçant un regard critique face aux tensions sociales et politiques du XXe siècle. Il rencontra à Paris des peintres argentins et Louis Aragon, un des leaders du mouvement dadaïste et surréaliste, André Breton et Max Jacob auprès de qui il apprit la technique la gravure. De retour en Argentine, il créa le premier atelier de peinture murale. Il développa des gravures, des xylo-collages-reliefs assemblés avec des matériaux et déchets
(3) Peintre expressionniste norvégien (1863-1944)
(4) Werner Karl Heisenberg (1901-1976), physicien allemand, l’un des fondateurs de la mécanique quantique et auteur du principe d’incertitude selon lequel, pour une particule massive donnée, on ne peut pas connaître simultanément sa position et sa vitesse.
(5) Chimiste polonaise naturalisée française qui a découvert le radium avec son mari Pierre Curie. Voir article sur Marie Curie dans revue 251 (avril 214)
(6) Merendero (de : merienda) : goûter – par extension : celui qui donne le goûter
(7) Une des cités de la science les plus importantes d’Amérique latine

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