Philosophie

Blaise Pascal, l’esprit de finesse

Nous célébrons cette année le 400anniversaire de la naissance du philosophe Blaise Pascal. Mathématicien et physicien de génie, à la suite d’une expérience mystique décisive en 1654, à l’âge de 31 ans, il consacra le reste de sa vie au renforcement et à la divulgation de la foi chrétienne.

Pascal est un philosophe à redécouvrir. Selon le poète et philosophe français Paul Valéry, on a tant imaginé et si passionnément considéré Pascal qu’on en a fait un personnage de tragédie, austère, une sorte de héros de la dépréciation amère. Fort heureusement, les travaux des historiens modernes permettent de corriger cette légende, née des polémiques religieuses des XVIIIe et XIXe siècles. Certes, il a côtoyé les austères jansénistes et a tenté de les aider à un certain moment, mais il s’en est séparé, en désaccord avec leurs méthodes, et a développé une pensée lumineuse tout à fait indépendante.apologie de la région chrétienne, Pensées,philosophe moraliste, esprit français,pascaline,
Lorsque Blaise Pascal meurt en 1662, il laisse un grand nombre de textes manuscrits, allant de la simple note à des pages complètement rédigées, destinés pour la plupart à une Apologie de la religion chrétienne. Ils ont été publiés sous le titre de Pensées. Il y a eu plusieurs éditions de ces textes avec plusieurs essais de reconstitution d’un plan des Pensées, mais il a fallu attendre nos jours pour reconstituer un plan cohérent, à partir des indications partielles données par Pascal lui-même.

Un triple visage

Pascal est un génie de la science mathématique et physique, un philosophe moraliste qui se risque sur le terrain de la théologie, enfin, un génie littéraire. C’est une figure essentielle de l’esprit français.
Blaise Pascal naît en juin 1623 ; à l’âge de 8 ans, il vient à Paris. Ayant perdu sa mère à l’âge de trois ans, c’est son père Étienne Pascal qui s’occupe seul de son éducation, suivant des principes inspirés par l’humanisme : voyant ses prédispositions exceptionnelles pour les mathématiques et les sciences en général, il le forme aux lettres, aux langues anciennes, au grec et au latin. Il lui apprend les lois universelles de la grammaire pour montrer ensuite comment elles se diversifient dans les langues particulières. Sa formation comporte aussi un aspect philosophique et religieux.
Il réside à Rouen de 1640 à 1647. Il y poursuit une intense activité scientifique : recherches sur le vide (dans la lignée de Torricelli), sur les coniques ; il invente la machine arithmétique ou machine à calculer appelée la Pascaline, capable de faire un ensemble complet de calculs mathématiques, calcul abstrait, calcul financier. Il l’invente pour aider son père dans son travail. Il étudie la divisibilité des nombres, les nombres infinis, la mécanique des fluides etc. Il se passionne pour les jeux de hasard, ce qui le conduit à inventer, avec Fermat, le calcul des probabilités. Il avait une grande aptitude à saisir les problèmes dans leur aspect concret. Ce qui fait de lui un précurseur de l’esprit expérimental moderne.

Vers la fin de sa vie, il crée une entreprise des carrosses à cinq sols, première forme des transports collectifs urbains, ancêtres de l’omnibus, qui comporte un réseau de lignes à travers Paris, avec stations et changements. Il n’en tirera aucun bénéfice. Pascal est un esprit pragmatique et généreux.
En l’honneur de ses contributions scientifiques, le nom de pascal fut donné à l’unité de pression du système international, à un langage de programmation informatique, à la loi de Pascal (un principe important d’hydrostatique) et au triangle de Pascal.

Ses amis de Port-Royal

C’est en 1646, à Rouen, que Pascal rencontre la doctrine de Saint Augustin, sur la grâce, le libre arbitre et la prédestination. Il y affirme que depuis le péché originel, la volonté de l’homme sans le secours divin n’est capable que du mal. Seule la grâce efficace peut lui faire préférer les volontés divines plutôt que les satisfactions humaines.
À l’époque de Pascal, les jansénistes s’opposent aux jésuites qui ont une vision moins pessimiste de l’homme et lui attribuent davantage de libre arbitre. Les contacts de Pascal avec l’abbaye janséniste de Port-Royal deviennent fréquents mais c’est seulement dans la nuit du 23 novembre 1654, suite à un accident de carrosse, qu’il connaît une forte expérience mystique, de « Dieu sensible au cœur », dont il garde le souvenir dans le Mémorial cousu dans la doublure de son vêtement.
Pascal va alors prendre parti dans la querelle opposant Jésuites et Jansénistes, sans être pour autant janséniste lui-même. C’est alors qu’il rédige, sous le pseudonyme de Louis de Montalte, le brûlot satirique Les Provinciales, dans les années 1656 et 1657. Ce livre inspire Molière, Montesquieu et Voltaire qui dira que « c’est le meilleur livre qui ait jamais paru en France ». Un compliment venant de Voltaire, ce n’est pas rien !
Pascal se livre à une attaque en règle des Jésuites. Il critique leurs règles morales laxistes, la casuistique, bien commode, puisqu’elle « dédouane n’importe quel pécheur. »
Il se retire ensuite de cette polémique, constatant son désaccord sur la tactique employée par ses amis de Port-Royal. Il se consacre alors jusqu’à sa mort à son projet d’ouvrage : Apologie de la religion chrétienne ; ce sont les fameuses Pensées ; il meurt à 39 ans, probablement d’une maladie nerveuse qui l’a accompagnée tout au long de sa vie.


Le célèbre argument du pari

Dans son projet, Pascal ne prétend pas communiquer à son lecteur une foi qui ne peut être donnée que par Dieu ; il croit aussi inutile de prouver l’existence de Dieu par les sciences ou les arguments métaphysiques. Son principal objectif est de vaincre l’indifférence des incroyants qui ont perdu le souci de leur propre destin.
« Il y a pareille chance que Dieu existe et qu’il n’existe pas. Mais même s’il n’était pas ainsi, même s’il n’y avait qu’une chance que Dieu existe et une infinité de chances qu’il n’existe pas, … vous auriez encore raison de gager, s’il y avait une infinité de vie infiniment heureuse à gagner. En effet, on a intérêt à jouer lorsque l’espérance mathématique, c’est-à-dire le gain multiplié par la probabilité de gagner, est supérieur à la mise. » Pensées, 115/233/418.
« Vous avez deux choses à perdre : le vrai et le bien, et deux choses à engager : votre raison et votre volonté, votre connaissance et votre béatitude ; et votre nature a deux choses à fuir : l’erreur et la misère… il faut nécessairement choisir… Pesons le gain et la perte, en prenant le parti de croire que Dieu est… : si vous gagnez, vous gagnez tout ; si vous perdez, vous ne perdez rien. Gagez donc qu’il est, sans hésiter. »
Pascal conclut qu’il « y a loin de la connaissance de Dieu à l’aimer », c’est-à-dire à la conversion. Un engagement personnel est indispensable pour trouver le « Dieu sensible au cœur. »

Le rôle du divertissement

L’être humain est paradoxal, il contient misère et grandeur. La misère humaine consiste d’abord à être dans l’ignorance. L’argumentation de Pascal est ici proche de celle de Montaigne. Il montre que les philosophes n’ont jamais pu arriver à des connaissances certaines, comme le prouve la multiplicité des thèses contradictoires qu’ils ont soutenues. Mais la vision de Pascal va plus loin : l’homme est un milieu entre deux infinis : l’infiniment grand et l’infiniment petit ; il ne peut comprendre ni l’un ni l’autre.
L’ignorance constitue un des aspects de la misère de l’homme, un des aspects de son malheur. Pascal l’étudie à partir de ce qu’il appelle le divertissement.
« Divertissement. J’ai dit souvent que tout le malheur des hommes vient d’une seule chose, qui est de ne savoir pas demeurer en repos, dans une chambre. Un homme qui a assez de bien pour vivre, s’il savait demeurer chez soi avec plaisir, n’en sortirait pas sur la mer ou au siège d’une place… Mais quand j’ai pensé de plus près, et qu’après avoir trouvé la cause de tous nos malheurs, j’ai voulu en découvrir la raison, j’ai trouvé qu’il y en a une bien effective, qui consiste dans le malheur naturel de notre condition faible et mortelle, et si misérable que rien ne peut nous consoler, lorsque nous y pensons de près. […] De là vient que le jeu et la conversation des femmes, la guerre, les grands emplois sont si recherchés. Ce n’est pas qu’il y ait en effet du bonheur, ni qu’on s’imagine que la vraie béatitude soit d’avoir l’argent qu’on peut gagner au jeu, ou dans le lièvre qu’on court : on n’en voudrait pas, s’il était offert. Ce n’est pas cet usage mol et paisible, et qui nous laisse penser à notre malheureuse condition, qu’on recherche, ni les dangers de la guerre, ni la peine des emplois, mais c’est le tracas qui nous détourne d’y penser et nous divertit. » Pensées 232/139/136.
Le divertissement vient de l’insatisfaction de l’homme qui est incapable de faire ce qu’il faut pour y remédier. Il se prend au piège du jeu, mais aussi du gain. S’étourdir pour ne pas penser.

Pourtant, la grandeur humaine est indéniable, constituée notamment par la pensée.
« Pensée fait la grandeur de l’homme. » (294/346/759). En effet, « l’homme n’est qu’un roseau, le plus faible de la nature, mais c’est un roseau pensant. Il ne faut pas que l’univers entier s’arme pour l’écraser ; une vapeur, une goutte d’eau, suffit pour le tuer. Mais, quand l’univers l’écraserait, l’homme serait encore plus noble que ce qui le tue, parce qu’il sait qu’il meurt et l’avantage que l’univers a sur lui ; l’univers n’en sait rien. Toute notre dignité consiste en la pensée. »
Dialectique originale où ce qui fait la misère humaine fait aussi sa grandeur.

Dans tous les domaines qu’il a abordés, Pascal a su inventer et créer. Son œuvre est l’une des plus puissantes expressions de la philosophie moderne.

Brigitte BOUDON
Formatrice en philosophie à Nouvelle Acropole
© Nouvelle Acropole
La revue est le journal d’information de Nouvelle Acropole

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