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Histoire

Familistère de Guise, une utopie devenue réalité

Jean-Baptiste André Godin, célèbre pour son invention des poêles qui portent son nom est également l’instigateur et le promoteur d’une communauté sociale utopique qui a perduré pendant plus de cent ans. 

Quand on prononce le mot « utopie », les images qui nous viennent à l’esprit sont celles d’un rêve impossible, d’une illusion de candeur, d’un idéal inaccessible. Selon le dictionnaire, l’utopie est un « idéal, vue politique ou sociale qui ne tient pas compte de la réalité ». Ses synonymes sont « chimère, illusion ».
Et pourtant ! Nous avons un exemple, en France, d’une réalisation sociale extraordinaire à plus d’un titre, directement inspirée d’une utopie, et qui a perduré pendant plus de 100 ans. Elle fut mise en œuvre par un homme courageux, déterminé, opiniâtre, et d’une impressionnante générosité, inspiré non seulement par les utopistes du XIXe siècle, mais aussi et surtout, excusez du peu, par les lois de la nature.
Cet homme, humaniste, philosophe, bienfaiteur, d’une intelligence et d’une inventivité hors du commun, c’est Jean-Baptiste André Godin (le chef d’entreprise créateur des poêles du même nom). Sa réalisation d’inspiration utopiste : le familistère ou Palais social, à Guise dans la région des Hauts de France (dans l’Aisne).

Un peu d’histoire

Jean-Baptiste André Godin (1817-1888) naît dans une famille ouvrière, donc pauvre selon les conditions de vie de l’époque. Son besoin d’apprendre, sa curiosité ne pourront donc pas trouver leur épanouissement dans la fréquentation d’école supérieure (il sera scolarisé pendant 7 ans seulement). Très jeune (à 11 ans) il sera placé comme apprenti dans le travail des métaux, et, par son travail sérieux et sa grande intelligence (il lit beaucoup pendant qu’il aide ses parents en gardant les vaches…), il parviendra à devenir un brillant chef d’entreprise, dont le nom est encore associé aux poêles ayant apporté le confort – allié à l’esthétique et au raffinement – dans tous les foyers français, dès le XIXe siècle et encore à ce jour.
C’est dans l’expérience de la vie ouvrière qu’il forgera sa volonté de rendre aux ouvriers, qu’il reconnaît comme les créateurs de la richesse, des conditions d’existence dignes de leur investissement laborieux. Dignes d’une vie humaine tout simplement.
Grâce à son mariage, porteur de dot, et à un travail acharné, il obtiendra les moyens de créer sa première entreprise de fabrication de poêles en fonte. Son talent d’ingénieur, doublé d’un talent artistique (notamment en sculpture et en dessin), s’épanouissait essentiellement dans le design des articles du quotidien ainsi que dans la création ou l’amélioration de nouveaux objets du quotidien (machines à laver, chauffe-eau, berceaux d’enfants).

L’inspiration utopiste de Charles Fourier

Au cours de ses voyages et de ses lectures, il découvre l’idéologie de Charles Fourier (1), proche de ses propres préoccupations sociales, qui prône une révolution sociale pacifique, des principes de gestion de la société de manière démocratique. Il promeut également une forme de coexistence démocratique selon un modèle particulier : le phalanstère (2). D’ailleurs Godin, avant de construire son propre familistère, investira une bonne partie de sa fortune pour aider Fourier à la création de son phalanstère aux États-Unis. Mais cette expérience se soldera par un échec, ce qui ne découragea en rien Godin. L’histoire lui aura donné raison.

Répondre à tous les besoins des êtres humains, du spirituel et moral au physique en utilisant les canaux de l’intelligence et de l’expression artistique, est sa préoccupation majeure. L’ouvrier doit pouvoir utiliser son temps libre… de manière libre, justement ! Pour cela, il doit pouvoir avoir à disposition diverses possibilités d’expériences extraprofessionnelles que sont la culture (l’étude), la musique, le sport, le jardinage, la détente, etc.

Le travail est générateur de richesse, certes, et cette richesse ne doit pas profiter seulement à une seule classe bourgeoise, mais également aux producteurs-mêmes de cette richesse : les ouvriers.
Ces besoins d’épanouissement de chacun ne pourront être satisfaits de manière équilibrée et pérenne que si leur mise en place s’inspire des lois de la nature. Principalement selon les particularités des quatre éléments fondamentaux de cette nature : la terre, l’eau, l’air et le feu.
« Par le travail, l’Homme est institué collaborateur de la Nature, il féconde partout les effets de la Vie par la transformation de la matière » (3)

Un lieu de vie qui répond à tous les besoins

Tout à côté de l’usine de production, Godin fait construire et aménager un ensemble de bâtiments, un lieu de vie dans lequel ses ouvriers, seulement s’ils le souhaitent, pour un loyer très modique par rapport à leur salaire (moins de 10%), pourront bénéficier de tout le confort moderne, à cette époque, réservé à l’élite. Ce confort concernera non seulement les appartements privés, mais aussi les installations annexes de services destinés à améliorer le quotidien.
Il adopte lui-même les conditions de vie de ses propres employés, ce qui va provoquer des dissensions familiales.
L’élément terre s’exprimera au travers de la construction de bâtiments ad hoc, tout à la fois sains, esthétiques et fonctionnels, intégrant les dernières nouveautés techniques, un accès libre à des lopins de terre pour cultiver ses propres légumes… ou fleurs…
Pour l’eau, le souci sera :
non seulement l’hygiène : les sanitaires et l’eau chaude à tous les étages des immeubles d’habitation (4 niveaux au maximum), la buanderie collective, mais aussi la détente et le sport grâce à une piscine chauffée, couverte et à fond réglable pour que chacun puisse en profiter en toute sécurité selon son niveau d’aptitude.
L’air, par la création de couloirs d’aération des bâtiments de travail et des lieux de vie privée et collective :
sur le plan privé, la composition familiale prime (une chambre pour deux personnes, plus une pièce de vie commune et un espace cuisine-garde-manger), pour la vie collective, un vaste patio couvert avec des verrières (élément feu également) pour les fêtes, les représentations diverses ;
chaque lieu de vie ou d’activité étant séparé l’un de l’autre pour ne pas occasionner de gêne et ne pas interférer avec la tranquillité des espaces privés essentiellement conçus pour le repos.
Le feu occupera les axes du chauffage, de la lumière (des fenêtres pour tous les logements de manière équitable) et la culture dans le temps libre.

Ce dernier point est particulièrement révolutionnaire car Godin a créé au sein de son familistère une école, non seulement obligatoire jusqu’à 14 ans, mais également mixte. 
Il a mis en fonction un conservatoire de musique, accessible à tous, bien sûr ;
– une garderie à quelques mètres du bâtiment d’habitation, pour que les bébés et tout-petits soient confiés à des professionnels en toute sécurité ; 
– des salaires suffisants pour que les mères de famille ne soient pas contraintes de travailler si elles ne le souhaitaient pas ; 
– une buanderie collective, un magasin d’articles courants.

La possibilité d’épanouissement en dehors des heures de travail s’exprimait ici par un grand choix d’activités au sein de la mini-cité : conservatoire de musique, école de théâtre, spectacles, jardinage, piscine. Tous ces éléments évolueront au fil du temps et du développement de la richesse générée par l’entreprise, tant qu’elle sera gérée par Godin lui-même, dans un souci de redistribution des bénéfices pour tous.

S’il est croyant lui-même, Godin montre une conception de Dieu et des concepts de Bien et de Mal plus philosophique que religieuse. De ce fait, aucun lieu de culte ne sera présent dans le cadre de ses établissements, laissant à chacun la décision de ses pratiques religieuses de manière privée, et à l’extérieur du familistère.

Et après…

Ce modèle d’organisation que Godin a voulu associatif perdurera et bénéficiera jusqu’à quelque trois mille personnes à son apogée à la fin du XIXe siècle.
Mais, malgré la création s’une association pour gérer le familistère, après le décès de Godin, au fil des changements de la gestion de l’entreprise, les successeurs n’ayant pas le talent inventif et aventurier de Godin, les gestionnaires vont se tirailler. L’âme inspiratrice de Godin n’est plus, l’usine sera vendue et revendue. (Elle est actuellement la propriété d’un grand groupe industriel.)
La plupart des bâtiments, soit une partie des habitations (seuls quelques appartements qui ont dû être remis aux normes), l’école primaire et le théâtre (il reste le seul théâtre dans la ville moderne de Guise) sont encore en fonction. L’essentiel est exploité actuellement comme musée. Le seul musée de France à être habité. 
Si l’esprit de Godin semble avoir quitté peu à peu les lieux au début du XXe siècle, il semble renaître, à présent, en partie grâce à l’exploitation touristique. 
« … le Bien, c’est tout ce qui concourt à l’essor des lois primordiales de la Vie, et le Mal, c’est tout ce qui y fait obstacle. » (4)
De nouveaux projets de réhabilitation, des habitations notamment, sont en cours. Le musée quant à lui accueille chaque année des milliers de visiteurs étrangers.

Cet exemple d’une utopie réalisée prouve que, grâce à une volonté inébranlable campée dans un sentiment de justice puisé au cœur de la morale, animée par l’amour des autres, mise en place avec une créativité en stricte observation et respect des lois de la Nature, une utopie, un rêve, un idéal peut devenir une réalité concrète et pérenne. Comme le disait si bien Monsieur Godin : «  l’Esprit dirige, la Vie agit, la Substance obéit » (5).

(1) Philosophe français (1772- 1832), fondateur de l’École sociétaire (communauté utopique)
(2) Communauté, association de travailleurs
(3) Solutions sociales, Éditions du familistère, 1871, 620 pages, page 211
(4) Ibidem, page 262
(5) Ibidem, page 210
par Annie ALPINO
psychopédagogue, formatrice, chargée de cours à Nouvelle Acropole Suisse

Quelques citations de Godin

Ces citations parlent d’elles-mêmes de la philosophie et de l’engagement social de ce personnage hors normes.
« La liberté conquiert le monde par l’élévation des intelligences et par le travail. Et tant que la liberté n’aura pas vaincu le despotisme, la guerre anéantira les bienfaits du travail, et sera la ruine et le malheur des peuples » (3) 
« Par le travail, l’Homme est institué collaborateur de la Nature, il féconde partout les effets de la Vie par la transformation de la matière » (4)

(3) Solutions sociales, Éditions du familistère, 1871, 620 pages, page 196
(4) Ibidem, page 211
Familistère de Guise
Place du Familistère
02120 Guise
Tel : 03 23 61 35 36
www.familistere.com
© Nouvelle Acropole
La revue Acropolis est le journal d’information de Nouvelle Acropole

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