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Femmes de Rome, séductrices, maternelles, excessives

Attirantes ou terrifiantes, les femmes ne laissent jamais indifférents. La très belle exposition de La Obra social La Caixa à Madrid en collaboration avec le Musée du Louvre, qui prêta 178 œuvres, met en valeur les différents visages de la féminité dans l’art de l’Empire Romain.

272. dames romainesSelon les lois romaines, la femme avait une condition sociale inférieure à celle de l’homme dont elle dépendait juridiquement : dans un premier temps, de l’autorité de son père et si elle se mariait, de celle de son époux. Une loi de l’époque d’Auguste, la jus trium liberorum, lui donnait l’autonomie lorsqu’elle avait trois enfants. Mais cela n’a pas empêché à la femme romaine de jouer un rôle de premier ordre dans la vie de la cité, devenant dans certains cas puissante femme d’influence ou capable de gérer ses domaines et son patrimoine avec totale autonomie ou de rassembler des philosophes ou de artistes dans des cénacles culturels.

Il suffit de voir la richesse et la diversité des représentations du féminin dans l’espace public et privé pour comprendre que la femme romaine jouait un rôle essentiel, parfois transposé sous des figures mythologiques enracinées également dans la tradition grecque et hellénistique.

La vis materna de l’épouse, mère de famille et matrone

La femme romaine doit être avant tout épouse, mère de famille, matrone et ses qualités constituent sa vis materna (force maternelle) qui est l’équivalent féminin de la virtus.

Les femmes, en particulier les épousées, sont sous la protection de la déesse Junon, épouse de Jupiter. Chaque femme possède, depuis sa naissance sa Junon, équivalent du genius masculin qui veille sur elle. Sous l’aspect de Lucina, Junon préside à la naissance des enfants. Une bonne épouse doit être mère de famille, maternelle et protectrice, incarnant la fertilitas.

Elle exprime tout au long de sa vie une qualité de bienveillance, comme celle des déesses protectrice des héros.

272-dames romaines-Messaline et BritannicusLa femme romaine, une place importante dans la spiritualité romaine

Bien que jouant un rôle secondaire (ou indirect) dans les affaires de la cité, la femme romaine occupe une place importante dans le domaine religieux. La spiritualité romaine avait plusieurs cultes nationaux, comme le culte impérial ou domestique, comme le culte des lares et pénates qui assurent la prospérité de la maison, mais chaque femme pouvait également avoir une divinité inspiratrice particulière puisée dans le large panthéon romain et même étranger. Pour tous les statuts sociaux, les cultes des divinités orientales étaient très répandus, notamment celui d’Isis ou de Cybèle.

Les scènes dionysiaques, y compris celles des mystères (1) évoquent des initiations féminines qui dans certains cas peuvent se référer à des noces mais aussi à l’union de l’âme (Ariane) avec l’esprit (Dionysos). Sous la forme de bacchantes, dans leurs danses extatiques, elles perdent toute mesure et tout contrôle se reliant avec les forces nocturnes de la mort et  régénération de la vie.

D’autres danses et processions harmonieuses et mesurées tournent autour de la figure d’Apollon. Et les Muses sont également des figures féminines inspiratrices des poètes et des artistes. Représentées dans la maison, dans le cubiculum, lieu de réception, elles invoquent les richesses intellectuelles et souhaitent à l’hôte illumination et enthousiasme. Elles invitent à la réflexion mais aussi à l’émotion et à l’élévation.

272. dames romaines.3 Graces 2La beauté du corps et les Grâces

La beauté du corps n’est pas négligée, et sera souvent sous l’égide de Venus. En effet, les premières représentations de nus féminins sont ceux de la déesse ou des créatures semi divines (2). Venus, déesse de la beauté et de l’amour est très vénérée à Rome et sera la plus représentée dans les foyers romains. Lorsque l’on figure le Jugement de Paris, où celui-ci lui octroie la pomme en échange de la main d’Hélène, elle devient Venus Victrix, la victorieuse (3). Dans son rôle d’honnête épouse, la femme romaine pouvait s’inspirer de Pudicita (la Pudeur) ou de Venus Verticordia (l’amour du cœur vertueux). Dans les foyers romains, la beauté des corps parfaits harmonieux et graciles sera représentée aussi par les trois Grâces, sous forme de trois jeunes femmes qui se tiennent par les épaules et permettent de représenter le corps et visage féminin sous tous ses angles.

Les Grâces (les Charites des Grecs) personnifient la vie dans toute sa plénitude. Euphrosyne est l’allégresse, la joie de vivre ; Thalie, l’abondance, le trop plein qui se prodigue comme un don et Aglaé est la splendeur, l’éblouissante beauté. Elles incarnent la vie elle-même qui ne peut s’épanouir que dans un monde ordonné. Leur danse est rythmée par Apollon, le roi de l’harmonie cosmique.

272-dames romaines-MelpomeneLe respect des déesses vierges et la crainte des  figures de l’excès et de la démesure

Des déesses vierges expriment la quête d’indépendance féminine. Minerve, déesse guerrière, protectrice de la cité et des arts et de l’artisanat, évoque le combat féminin pour la paix et la civilisation avec les armes de la ruse (Métis, l’intelligence rusée était sa mère) au lieu de la force ou la colère. Diane, sœur d’Apollon est une déesse chasseresse, protectrice des forêts, solitaire et inspiratrice des mystères lunaires de la nuit. Les Amazones lui rendaient culte en affirmant une féminité excessivement guerrière et farouchement opposée au monde des hommes. Les combats contre les Amazones symbolisaient dans le monde antique celui entre la civilisation et la barbarie. De grands héros comme Héraclès, Thésée et Achille se sont battus contre elles et en même temps, en sont tombés amoureux confirmant la tension vitale entre l’amour et la guerre.

Sous cet aspect chaste, les femmes romaines pouvaient être prêtresses, comme les Vestales, gardiennes du feu sacré de l’État, très respectées et avec un haut degré d’autonomie. Parmi les figures craintes de la féminité, il y a des femmes tragiques qui tombent dans les excès comme Médée, qui par jalousie tue ses enfants et les fait manger par leur père. Et aussi la figure de Méduse, une Gorgone qui est terrifiée lors d’un viol et devient à son tour celle  au regard perçant qui pétrifie tous ceux qui la regardent, semant la terreur à son passage.

272-dames romaines-Thalie.pgQue ce soit comme matrone imposante et respectée, génératrice des Romains ; prêtresse de la mesure ou de la démesure ; dame inspiratrice de sagesse et de savoir ou dangereuse expression de la passion déchaînée, tous ces visages du féminin sont fascinants et curieusement, d’une grande actualité qui nous touche profondément car ils montrent des archétypes atemporels de la nature humaine sous sa polarité féminine, avec profondeur et beauté.

 

Laura WINCKLER

 

Mujeres de Roma, Exposition à la Caixa Forum Madrid,  du 4/11/2015 au 14/02/2016 Lien : http://obrasocial.lacaixa.es/nuestroscentros/caixaforummadrid/mujeresderoma_es.html

 

(1) Comme le montrent la présence dans les cistes, les corbeilles sacrées, des fruits de Déméter et du phallus dionysiaque, les forces féminines et masculines qui assurent la rénovation perpétuelle de la nature
(2) Pour les femmes réelles, la nudité est signe de soumission et faiblesse, seules les esclaves et les prostituées sont représentées ainsi
(3) Elle devient la déesse tutélaire des chefs militaires et politiques du Ier siècle. Ce sera Venus Felix, la Favorable invoquée par Sila, Venus Victrix, par Pompée et Venus Genitrix par Jules César qui lui érige un temple, pour exalter les origines troyennes de Rome, car Venus est la mère d’Enée, le prince troyen refugié dans le Latium, et qui est l’ancêtre de Rome et de la famille de César

 

Les photos sont extraites du catalogue Mujeres de Roma, seductoras, maternales, excesivas. Obra Social « La Caixa », Colecciones del Museo del Louvre, Ed Tenov, 2015

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