
Le musée Jacquemart André nous invite jusqu’au 26 janvier à une extraordinaire exposition du peintre lorrain Georges de la Tour.
De Georges de la Tour André Malraux disait « Ce n’est pas l’obscurité que peint Latour : c’est la nuit. La nuit étendue sur la terre, la forme séculaire du mystère pacifié. Ses personnages n’en sont pas séparés, ils en sont l’émanation. Elle prend forme en une petite fille qu’il appelle un ange, en des apparitions de femmes, en cette flamme droite de torche ou de veilleuse, qui ne la troublent pas. Le monde devient semblable à la vaste nuit sur les armées endormies de jadis où, sous la lanterne des rondes, surgissaient, pas après pas, des formes immobiles. Dans cette obscurité peuplée, lentement une veilleuse s’allume […] . Aucun peintre, pas même Rembrandt, ne suggère ce vaste et mystérieux silence : Latour est le seul interprète de la part sereine des ténèbres. Dans ses plus belles œuvres il invente les formes humaines qui s’accordent à cette nuit. » (1)
Louis XIII, ébloui par un saint Jérôme qui le décida à ôter tous les tableaux de sa chambre pour n’avoir que celui-ci à contempler, le nomme « peintre ordinaire du Roi » en 1639.
Un maître de la lumière
Georges de la Tour a en effet donné une forme plastique à la mystique du silence, nous rappelle Nicolas Milovanovic. Il est un maître de la lumière qu’il fait jaillir de l’obscurité, comme une vie qui prend forme. Les chairs deviennent translucides lorsqu’elles sont éclairées par une simple bougie.
À la différence de Caravage qui influença la peinture européenne du clair-obscur, sa peinture n’est pas dramatique mais sobre et naturelle. Il représente les personnages sans fard et sans ajouts.
Ils sont en réalité transfigurés par la lumière qui se dégage d’eux, comme c’est le cas dans le tableau du Nouveau-Né. De l’obscurité surgit une madone éclairée par le jaillissement lumineux d’un bébé emmailloté. Pas d’auréole particulière, mais on ne peut que reconnaitre la Vierge Marie et son enfant.
Pour le peintre, la lumière est Dieu. La Tour est un passeur de la vie intérieure devenue expression mystique et mystérieuse. « Chez lui, les saints absorbés dans la prière ou la lecture ne se prêtent à aucun mouvement dramatique : le corps reste immobile, les gestes réduits à l’essentiel […]. Le seul véritable drame est intérieur, celui de la souffrance spirituelle et de la pénitence » nous précise avec justesse l’un des panneaux de l’exposition. Ils témoignent d’une science de la symbolique lumineuse au service de la spiritualité.
La dignité des personnages
Les personnages qui sont peints sont d’origine pauvre, qu’ils soient des saints, des musiciens ou de simples travailleurs. Tous ont une dignité sans pathos.
À cette époque où la Réforme et la Contre-Réforme provoquent de larges tensions en Europe, Georges de la Tour s’inscrit dans une tradition iconographique plutôt catholique, inspirée du gothique où la Vierge Marie est considérée médiatrice entre l’humanité et son Fils. Pour la théologie gothique, Marie est la nouvelle Ève qui a rédimé le péché originel.
Sophie Doudet reconnaît que l’univers du peintre est « féminin ». De nombreuses femmes sont représentées comme personnage principal dans ses œuvres, tantôt comme sœurs, mères ou filles. Ces femmes sont de vrais sujets, elles agissent en soignant, en berçant, en trompant, en lisant les lignes de la main, elles volent, elles prient. Elles expriment tous les sentiments mais ne sont pas des objets de séduction. La Tour ne peint jamais de femmes nues, sauf La servante à la puce, qui est loin d’être une reproduction érotique ou sensuelle mais dégage une expression contemplative et profonde.
Ainsi, à travers ces visages de femmes, La Tour nous fait découvrir le mystère de la création, par l’intimité de son univers nocturne.
(1) André MALRAUX, Les Voix du Silence, Éditions Gallimard, 1951




