Le « noopouvoir » ou la manipulation des esprits
Face au danger de la manipulation de masse par les nouvelles technologies, comment la philosophie peut-elle nous aider à renforcer nos esprits ?
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Avez-vous vu l’excellente série britannique Le siècle du moi (1) ? On y décrit comment, au XXe siècle, à partir des découvertes de la psychanalyse, les industriels et les politiques ont mis en place de véritables stratégies pour orienter les désirs et les impulsions de l’individu. Ce phénomène avait déjà été dénoncé par Bernard Stiegler comme un « psychopouvoir » « devenu le cœur même du capitalisme de consommation » (2).
Orienter les esprits
Aujourd’hui nous assistons à un phénomène inquiétant qui va un cran plus loin, puisqu’il s’agit non plus de capter les désirs mais les esprits. On désigne ce phénomène par « noopouvoir » ou pouvoir sur les esprits. Pour les philosophes, l’esprit, du grec noüs, est le siège de nos idées, de nos pensées, de nos convictions et de nos valeurs. Ce sont elles qui façonnent notre vision du monde, des autres et de nous-même et qui président à nos choix et nos décisions.
Le danger du « noopouvoir » est dénoncée dans un livre récent (3). On y souligne que les méthodes actuelles de communication, à travers les interfaces numériques, permettent de remodeler les esprits. Le but est que la pensée, les désirs, et les comportements aillent dans le même sens. Autrement dit de conditionner nos choix et nos actions.
Le piège des préjugés
L’exemple le plus évident, est celui de la boucle de renforcement sur les réseaux sociaux. Aujourd’hui, par des algorithmes de plus en plus performants, on voit s’afficher sur nos écrans des « informations » toujours plus conformes à nos préjugés et nos opinions établies. Il s’agit d’une véritable manipulation de notre mental. En effet, en dehors de tout élément divergent, l’esprit a tendance à se replier sur lui-même et à se cristalliser sur ses propres positions. La part de l’autre, l’intégration de la contradiction, l’esprit critique sont annihilés par ces mécanismes.
Pourquoi ceci est-il possible ?
La vraie cause de cette situation c’est notre culture matérialiste et hédoniste. Pourquoi ? Parce qu’en érigeant le bien-être et le confort comme valeur ultime et absolue, elle a fragilisé l’individu. Le critère du plaisir, conduit à « consommer » ce qui plaît et à rechercher la facilité, tant au niveau de la nourriture physique, que psychique et mentale.
Dans ce paradigme, ce qui dérange notre sphère personnelle est considéré comme un inconfort. On préfèrera toujours ce qui ira dans notre sens, sans comprendre que ceci rétrécit notre champ mental et affaiblit notre pensée. Comme le dit Bernard Stiegler, notre société a produit une « monoculture des cerveaux neurologiquement modifiables par le biais de psychotechnologies neuronales ». Elle a rendu l’individu perméable à ces stratégies manipulatoires.
La culture de l’esprit
Pour en sortir il conviendrait de favoriser dans l’éducation deux principes essentiels. Le premier est celui de l’éclectisme. De la même manière que notre corps ne saurait se satisfaire d’un seul aliment, notre esprit devrait être cultivé à la manière d’un jardin, comme le disait le Candide de Voltaire, avec l’objectif d’élargir ses horizons et de le familiariser avec la différence et la contradiction.
Le deuxième facteur est de développer la pratique de la philosophie comme aptitude à penser par soi-même. Cet exercice d’une pensée indépendante des modes, des désirs ou de l’opinion générale, nécessite un véritable travail intérieur, une hygiène de soi que les plus grands philosophes ont préconisé à l’être humain en quête de liberté. Il s’agit de renforcer son esprit.
La pratique de la philosophie nous propose de retrouver le pouvoir sur nous-même afin de cesser d’être ballotté par notre environnement et d’être conduit à des choix et des actions, le plus souvent par des processus inconscients, qui échappent à notre libre arbitre. Car la liberté première de l’homme est celle de sa conscience.
