Les trous blancs : voir l’univers autrement ?
« C’est notre capacité à réorganiser notre mode de pensée qui nous permet
Carlo Rovelli
de faire des bonds en avant. »
Carlo Rovelli, physicien, théoricien et philosophe des sciences italien, propose dans son dernier livre, Trous blancs, une hypothèse nouvelle qui pourrait remettre en cause la vision de la naissance de l’univers.
Carlo Rovelli part d’une question : « Les trous noirs sont des objets si denses qu’ils absorbent tout ce qui s’en approche de trop près, même la lumière. Mais que devient ce qui tombe dedans ? » (1). À cela, il constate que la théorie d’Einstein sur la relativité générale n’apporte pas de réponse.
Qu’est-ce qu’un trou noir et un trou blanc ?
Un trou noir (2) est un astre, un objet céleste, résultant, pour la plupart, de l’explosion finale (supernova) d’une étoile très massive, dont aucun rayonnement ne peut s’échapper tant son champ de gravitation est intense, à l’exception de la radiation de Hawking (infime rayonnement de corps noir émanant à la surface).
Quelle que soit l’origine du trou noir, la matière tombe et rejoint vite le centre. Là, la structure quantique de l’espace et du temps empêche l’effondrement de se poursuivre.
Carlo Rovelli explique alors sa démarche : « Ce que nous avons fait, c’est imaginer ce qui se passait quand nous arrivions à l’échelle la plus petite envisageable dans notre théorie de gravité quantique à boucles. Et nous voyons alors que le phénomène peut se renverser. Comme si le trou noir rebondissait. Tout ce qui est entré dedans va alors ressortir. C’est pour cela qu’on parle de manière imagée de trous blancs. Mais il n’en sort en réalité aucune lumière. » (3)
Dans le trou blanc, tout ce qui tombait vole maintenant vers le haut. A la fin, tout ce qui était entré ressort de l’horizon blanc et retourne voir le Soleil et les autres étoiles.
Une nouvelle naissance de l’univers ?
Ce processus de renversement est de même nature que celui qui a donné naissance au Big Bang, peut être suite à l’effondrement d’un autre univers : l’espace et le temps se dissolvent, puis se reforment. C’est un processus hors de l’espace et du temps et pourtant décrit par les équations de la gravité quantique.
Comme le dit Rovelli, peut être que « le Big Bang a été un grand rebond cosmique (Big Bounce) dans lequel un univers en compression aurait atteint la densité maximale autorisée par les quanta, puis aurait rebondi et commencé à s’étendre. » (4)
Quand science et tradition se rejoignent
D’autres astrophysiciens considèrent cette hypothèse plausible, même si pour le moment, elle n’est pas entièrement prouvée.
Si on venait à confirmer sa validité, cela nous amènerait aussi à considérer d’un autre regard certaines visions cosmogoniques des Anciens. Par exemple en Orient certaines traditions donnaient à l’univers une durée de vie immense et envisageaient déjà cette matière noire dans laquelle s’absorbaient les astres morts. Et elles concevaient également la mort et renaissance de l’univers dans de très longues périodes de temps.
Développer l’analogie pour une nouvelle pensée scientifique
La science est souvent enseignée comme une sorte de vérité révélée, mais Carlo Rovelli confirme que l’histoire des sciences est, en fait, une succession ininterrompue d’essais et d’erreurs. Depuis l’Antiquité, on progresse en se dépouillant régulièrement d’une part du connu et en faisant un saut vers l’inconnu, travaillant par analogie et développant le regard de l’imagination qui permet d’aller plus loin. Dans son livre, il souligne l’importance de l’analogie, qui « consiste à prendre un aspect d’un concept, à le réutiliser dans un autre contexte en préservant en partie son sens, si bien que la nouvelle combinaison produit un sens nouveau et efficace. » (5) « L’Occident a su mettre à profit la créativité de la pensée analogique pour construire des concepts nouveaux à chaque nouvelle génération et, finalement, laisser en héritage à toute l’humanité cette merveille qu’est la pensée scientifique. Mais c’est l’Orient qui a reconnu le premier, et avec le plus de clarté, que la pensée croît par analogie, (comme en Inde et en Chine). La pensée scientifique fait bon usage de la rigidité logique et mathématique, mais cette rigidité n’est que l’une des deux jambes qui l’ont conduite au succès : l’autre c’est la créativité libérée du fardeau des habitudes, et celle-là se nourrit d’analogie et de combinaisons. » (6)
« La science et l’art ont tous deux à voir avec la réorganisation permanente de notre espace conceptuel, ce que nous appelons le sens. »
La culture humaniste permet de développer une vision globale, une ouverture d’esprit à l’imaginaire, à la capacité de se représenter ce que l’on ne voit pas encore.
« L’ouverture culturelle est un trait commun de tous les grands scientifiques que ce soit Darwin, Newton, Poincaré ou Einstein… Cela peut être la musique, la politique, la philosophie, le dessin, la peinture et parfois tout cela. » (7) « La science et l’art ont tous deux à voir avec la réorganisation permanente de notre espace conceptuel, ce que nous appelons le sens. » (8) Ce qui pousse l’artiste à poursuivre son œuvre créatrice même dans les conditions pénibles de sa vie est qu’il tâche de créer toujours du nouveau et d’embellir le monde. Nous avons tous un domaine d’influence et tout au long de notre existence, nos actes peuvent avoir des conséquences positives ou négatives, mais donner du sens à notre passage dans l’univers consiste à œuvrer pour embellir le monde.
Les recherches de Rovelli sur les trous blancs sont sa manière d’embellir le monde.
