Mort de Marcel Conche La pensée antique revisitée
Spécialiste de la philosophie antique et de métaphysique, le philosophe Marcel Conche (1922-2022) est décédé le 27 février 2022. Le 27 mars, il aurait eu 100 ans.
Originaire de Corrèze, fils de paysan, Marcel Conche s’intéresse dès son plus jeune âge à la philosophie. Il s’interroge sur le sens du monde, le pourquoi de l’existence, le sens de Dieu.
Ses études l’amènent à devenir agrégé de philosophie et de lettres – Il a eu comme professeur Gaston Bachelard, dont il admire la poésie de la nature –. Il a longuement enseigné dans des lycées. À l’université de Lille, il est devenu l’assistant d’Éric Weil (1904-1977), philosophe français d’origine allemande, spécialiste de la Renaissance et qui a contribué à renouveler la lecture d’Hegel en France, et à la Sorbonne il a enseigné au côté du philosophe français Vladimir Jankelevitch (1903-1985).
Il a reçu plusieurs prix : Médaille d’honneur de la Sorbonne en 1980, Prix Langlois (Prix de l’Académie française) pour son étude sur Héraclite en 1987, Prix Motron pour l’ensemble de son œuvre en 1996.
« L’infini de la nature »
Il s’intéresse à la nature comme absolu, matrice de tout ce que nous pouvons concevoir et fondement de la morale. L’homme est une production de la nature et la nature se dépasse elle-même dans l’homme
Il soutient la phusis grecque à travers les présocratiques dont Lucrèce, Héraclite, Parménide, Anaximandre et ensuite Épicure, qu’il retraduit et commente. Parménide nous révèle l’être éternel, Héraclite, le devenir éternel, Empédocle, les cycles éternels. Il y a une complémentarité entre eux, à la différence des philosophes modernes dont les systèmes s’annulent.
Un nihiliste moderne
L’expérience de sa philosophie par sur une notion douloureuse : la prise de conscience de la souffrance : « L’expérience initiale à partir de laquelle s’est formée ma philosophie fut liée à la prise de conscience de la souffrance de l’enfant d’Auschwitz ou à Hiroshima comme mal absolu, c’est-à-dire ne pouvant être justifié en aucun point de vue ».
Bien qu’il ait été élevé dans le christianisme, Marcel Conche ne conçoit pas l’existence de Dieu « la philosophie c’est l’œuvre de la raison humaine et elle ne peut pas rencontrer Dieu » En athée, il redéfinit la métaphysique : « Les philosophes de l’époque moderne – Descartes, Kant, Hegel – sont des chrétiens qui utilisent la raison pour retrouver une foi prédonnée. […] Ils n’ont pas compris ce qu’est la philosophie comme métaphysique. Pour eux, elle doit prendre la forme de la science. C’est une erreur fondamentale car la philosophie comme métaphysique, c’est-à-dire comme tentative de trouver la vérité au sujet du tout de la réalité, ne peut pas être de la même nature qu’une science. […] Elle est de la nature d’un essai, non d’une possession. […] La métaphysique n’est donc pas affaire de démonstration, mais de méditation. […] Nos affirmations métaphysiques expriment non des opinions, mais des convictions vécues. »
Entre morale et éthique…
Marcel Conche fait la distinction entre la morale et l’éthique.
Il y a une éthique du pouvoir, du bonheur, du plaisir. On choisit d’organiser sa vie en fonction de ce qui nous intéresse. Mais nous n’avons pas le droit de l’organiser d’une manière qui impliquerait le non-respect de la personne des autres. La morale limite donc le domaine dans lequel on va développer son éthique.
… et pensée et action
Marcel Conche distingue l’action et l’activité. Le philosophe n’a pas à être un homme d’action. Il n’a pas à agir, il a à penser. On ne peut faire les deux choses à la fois : aller à Boulogne-Billancourt comme Sartre et formuler la vérité la plus juste. Dans le Tao Te king, cette différence est fondamentale, car si le philosophe ne s’engage pas dans l’action, cela n’empêche pas qu’il soit actif. Cette activité consiste en une spontanéité créatrice, en l’imprévu et en l’improvisation.
Marcel Conche est pacifiste et partisan de la décroissance.
Marcel Conche a produit une œuvre colossale et variée qui traite de nombreuses questions de la métaphysique. Dans ses premiers ouvrages, il a développé une métaphysique générale et vaste, avec des études sur la mort (La mort et la pensée), le temps et le destin (Temps et destin), Dieu, la religion (Nietzsche et le bouddhisme) et les croyances, la nature (Présence de la Nature, Lucrèce et l’expérience), le hasard (L’aléatoire), la liberté, la morale (Fondement de la morale), Montaigne (Montaigne ou la conscience heureuse, Montaigne et la philosophie), Homère (Essais sur Homère), la philosophie (Quelle philosophie pour demain, Philosopher à l’infini), Pyrrhon (Pyrrhon ou l’apparence), Épicure, travaux sur les présocratiques (Lucrèce, Anaximandre, Parménide), études critiques sur Hegel et Bergson, études sur Heidegger, étude sur Lao Tseu…
Les citations sont extraites de son entretien fait avec Philosophie magazine en octobre 2006