Société

Pour quelles valeurs sommes-nous prêts à mourir ?

L’actualité nous montre que les hommes sont prêts à mourir pour des idéologies. Pour quelles valeurs sont-ils prêts à mourir ? Faut-il mourir pour les défendre à tout prix ?

Les civilisations meurent de la perte de leurs valeurs.
Les civilisations meurent de la perte de leurs valeurs.

Le spectacle odieux des attentats commis au nom de l’idéologie de Daesh nous indigne profondément et nous terrifie en même temps. Mais cette réaction émotionnelle, si justifiée soit-elle puisqu’elle exprime notre humanité, ne doit pas nous faire passer à côté d’un constat essentiel : ces terroristes, le plus souvent kamikazes, sacrifient leur vie à leur idéologie. Sans ce sacrifice, ces carnages ne seraient pas possibles. Autrement dit, ils sont prêts à payer le prix de leur vie pour instaurer la barbarie.

Cela nous interroge donc sur les valeurs pour lesquelles nous sommes prêts à mourir.
Mais faudrait-il mourir pour des valeurs ? Notre civilisation n’est-elle pas justement celle qui fait droit à la vie ? Ne devrait-on pas plutôt choisir, comme dit le poète, « mourir pour des idées, mais de mort lente » ?

L’histoire nous donne un enseignement universel sur la chute des civilisations. Elles ne meurent pas sous les coups des envahisseurs, qui ne font que porter le coup fatal à un système affaibli. Les civilisations meurent de la perte de leurs valeurs.  C’est ainsi, par exemple, que l’empire romain n’est pas tombé sous le coup des invasions barbares, mais parce que plus aucun Romain ne voulait être soldat pour défendre Rome, c’est-à-dire ne voulait mourir pour ses valeurs. Alors l’armée engagea des mercenaires, dont des Goths, et ce fut la fin programmée de l’empire.

Sommes-nous prêts à mourir pour des valeurs ?

Mourir pour des valeurs serait donc indispensable pour les défendre ? C’est bien la leçon de toute l’histoire, y compris celle la plus récente, que nous appelons « Résistance » dans notre roman historique national.

Mourir pour des valeurs est le fait des héros, ces figures glorieuses qui ont traversé les siècles et ont fait vibrer le cœur des hommes à toutes les époques.

À bien y réfléchir, cette question « pour quelles valeurs sommes-nous prêts à mourir » en comporte deux : « quelles sont nos valeurs ? » et « sommes-nous prêts à mourir ? »

Le fracassement des idéologies, la perte de confiance dans la classe dirigeante (politique et économique) et le matérialisme triomphant ont eu raison des valeurs d’autrefois : la patrie, l’héroïsme, l’engagement, le sacrifice, la défense du bien commun, etc. sont aujourd’hui rangés au placard des ringardises. Ils sont remplacés par la recherche du confort, de l’immédiat, du bien-être dans le cadre d’un individualisme érigé comme norme de vie et d’une logique marchande où tout s’achète et se vend. L’homo œconomicus (1) est un anti-héros.

La vision prométhéenne de l’homme moderne, maître et possesseur de la nature, l’a installé durablement au sommet de la pyramide existentielle, comme sur un piédestal de vanité et de suffisance. Plus rien au-dessus de lui. On ne sert plus, on se sert. Sa vie est devenue sa propre finalité en elle-même, dissociée de la collectivité humaine et de la nature.

Alors, on ne cherche plus qu’à se prolonger à n’importe quel prix, comme en témoignent l’exacerbation des attentes sécuritaires (principe de précaution, risque zéro) et le culte de la longévité à tout prix (acharnement thérapeutique, mais aussi utopies d’immortalité transhumanistes). La vie pour la vie, en quelque sorte, mais pour quelle finalité, quel but ?

Nous ne savons plus vivre et encore moins mourir.

Apprendre à mourir

Ce qui est bon pour la ruche est bon pour l'abeille.
Ce qui est bon pour la ruche est bon pour l’abeille.

C’est à la philosophie qu’il revient de nous l’apprendre. Car comme le disait Socrate, il convient non pas de vivre longtemps, mais de vivre bien, c’est-à-dire de préférer la qualité de la vie à sa durée. Il fut un exemple de sa philosophie, lui qui accepta de mourir pour rester fidèle à ses valeurs, condamné à boire la cigüe.

Comme le disaient les philosophes et ainsi que l’a magistralement rappelé Arne Naess, le philosophe fondateur de l’écologie profonde (2), l’homme se réalise par l’identification à un tout plus grand que lui. La capacité de vivre la transcendance, le Tout Autre comme l’appelait Mircea Eliade, dans une collectivité, permet de percevoir l’interdépendance du vivant et crée des liens profonds entre les êtres humains, au-delà des intérêts particuliers. Elle invite à partager l’idée d’un bien commun qui n’est pas seulement la somme des biens particuliers mais, par-dessus tout, un bien immatériel, porteur de valeurs partagées et d’un destin commun. L’amour de la collectivité et la conviction du bien-fondé des principes sur lesquels elle se fonde permettent aux individus de dépasser leurs égoïsmes et leurs intérêts particuliers pour se mettre au service de tous. Ils peuvent vivre un sacrifice librement consenti, persuadés, comme le dit Marc-Aurèle, que ce qui est bon pour la ruche est bon pour l’abeille. C’est ainsi qu’ils deviennent des héros altruistes, c’est-à-dire capables d’agir pour autrui sans attendre de bénéfices personnels en retour. Servir la Vie, c’est ce que pourquoi les héros sont prêts à mourir.

Devenir des héros du quotidien

Devenir des héros du quotidien, est le programme de la philosophie pratique enseignée par Nouvelle Acropole (3) dans la lignée des philosophies et spiritualités traditionnelles. La philosophie pratique nous conduit à nous libérer de notre ego, afin d’exprimer notre dimension universelle et nous relier aux autres et à la Nature ; elle nous permet d’épanouir une vie intérieure, de vivre la solidarité humaine et de nous reconnaître dans l’univers.

À travers l’apprentissage initiatique des petites morts et renaissances au long de la vie, la vie philosophique nous aide à dégager l’essentiel et nous détacher de l’accessoire pour vivre les nécessaires transformations de l’existence. « Apprends à mourir et tu apprendras à vivre, car celui qui n’a pas appris à mourir ne sera pas capable d’apprendre à vivre » dit un enseignement lamaïque (4).

Aujourd’hui, nous avons besoin de héros qui sachent vivre et mourir. Non pas pour sauver le système moderne matérialiste qui nous a conduit dans le mur, mais pour contribuer à une métamorphose profonde qui permettra de faire rejaillir les ferments d’une nouvelle civilisation humaniste. Car les défis devant nous sont nombreux. Et nombreux les héros prêts à les relever.

(1) Homme économique en latin, représentation théorique du comportement de l’être humain, base du modèle néo-classique en économie. Il est rationnel (cherche à atteindre des objectifs de la meilleure façon possible en fonction des contraintes qu’il a).
(2) La réalisation de soi, Spinoza, le bouddhisme et l’écologie profonde, Arne Naess, Éditions Wild project, 2017. Lire l’éditorial de Fernand Schwarz Comment vous sentzs-vous et comment sentez-vous le monde ? dans la revue Acropolis n°289 (octobre 2017) page 1
(3) Le héros du quotidien (El héro cotidiano), Délia Steinberg Guzman, Editions Nueva Acropolis, Espagne (non traduit en français).
(4) Lire l’article Le Bardo Thödol, livre des morts tibétain » Préparation à la traversée des états intermédiaires (les Bardo), la science du bien mourir de Laura WINCKLER paru dans le Hors-série n°7 Mourir et après ?, paru en aout 2017
Par Isabelle OHMANN
 À lire
Petit manuel des valeurs et repères de la France
par Dimitri CASALI et Jean-François CHEMAIN
Éditions du Rocher, 2017, 152 pages, 18,90 €
Au lendemain des attentats de 2015, cet ouvrage propose de retrouver vingt valeurs et repères qui ont construit la France depuis 2000 ans dans une double vision chrétienne et monarchique d’une part, républicaine et laïque d’autre part. Sont abordés la langue française, le drapeau tricolore, la Marseillaise, la monarchie, les racines chrétiennes, la République, l’héritage greco-romain, la laïcité, l’humanisme, liberté/égalité/fraternité, Les Lumières, l’Universalisme, le patriotisme, la démocratie… pour retrouver nos racines et notre fierté d’être Français.
Les âmes errantes
par Tobie NATHAN
Éditions L’Iconoclaste, 2017, 247 pages, 19 €
Pendant trois ans, l’auteur, écrivain et ethnopsychiatre a fait un travail clinique avec une soixantaine de jeunes « radicalisés » de leur famille. Il les a reçu et écouté. Au regard de sa propre histoire, l’auteur explique comment des jeunes se laissent séduire par un islam radical. Il les approche « en frère », lui qui a vécu également une migration. Il leur propose un « éventuel chemin de retour ».
La chute de l’empire romain
Une histoire sans fin
par Bertrand LANÇON
Préface de Giustao TRAINA
Éditions Perrin, 2017, 25 pages, 22 €
Bien que de nombreux historiens se soient penchés sur la chute de l’Empire romain, celle-ci reste toujours une énigme et les théories affluent. La plus courante est août 476, date de déposition du dernier empereur romain d’Occident, Romulus Augustule. L’historien Bertrand Lançon avance une hypothèse : Et si la chute de l’Empire romain n’avait pas eu lieu ? Si les explications causales reflétaient davantage les préoccupations actuelles (emprise du religieux, problème migratoire, crise économique, affaiblissement démographique) que celles du passé ? La chute de Rome ne serait-elle pas un miroir à notre propre peur de la décadence que nous vivons aujourd’hui et ne justifierait-elle pas une attitude pessimiste ?
Rome et les Barbares
Histoire nouvelle de la chute de l’Empire
Par Peter HEATHER
Traduit de l’américain par Jacques DALARUN
Éditions Alma, 2017, 631 pages, 28 €
Un point de vue nouveau a été émis par un professeur d’histoire médiévale au King’s College de Londres, concernant la chute de l’Empire romain. L’empire tardif n’était pas si déliquescent au IVe siècle. L’empereur se trouvait au cœur d’un État qui rappelle les régimes totalitaires, persuadé d’incarner le meilleur des mondes possibles. La cause du déséquilibre fatal viendrait de la montée en puissance des Huns, culminant avec l’arrivée à leur tête de l’ambitieux et retors Attila (395-453). La pression de ce peuple aurait incité les habitant goths limitrophes de l’Empire d’Occident à demander asile à Rome sur un mode pacifique puis guerrier.

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