
Aujourd’hui, les jeunes sont confrontés à une guerre idéologique sans précédent. Ils sont bombardés en permanence de messages polarisants et sont soumis à une hyperstimulation des sens à travers les réseaux sociaux et les médias. Ces derniers cherchent à façonner leur façon de penser et à les entraîner dans des batailles stériles en fonction des intérêts du moment.
Dans ce contexte, le bouddhisme, à travers ses enseignements tels que le Noble Octuple Sentier, offre des outils philosophiques pour s’extraire de la manipulation dont la pensée fait l’objet. L’approche suivante s’inspire d’une conférence sur l’Évangile du Bouddha donné par Jorge Angel Livraga, le fondateur international de Nouvelle Acropole.
Le Noble Octuple Sentier
Jorge Livraga nous raconte, dans la parabole de l’aveugle de naissance, qu’un aveugle ne croyait pas au monde de la lumière, il disait qu’il n’y avait pas de soleil, ni de lune, ni d’étoiles, et il disait tout cela jusqu’à ce que le Bouddha mélange quatre éléments simples et le guérisse de sa maladie.
À l’image de cette parabole, l’aveuglement actuel de la jeunesse est dû aux idéologies polarisées, aux fake news, à la pornographie, aux addictions et aux bulles d’information qui empêchent les jeunes de voir au-delà de l’algorithme que le matérialisme, ou certains intérêts, veulent leur faire voir. La guerre à laquelle ils sont confrontés n’est pas tant un conflit d’idées que la différenciation du vrai et du faux, du temporel et de l’éphémère, du plomb et de l’or.
Le Noble Octuple Sentier apporte une voie pour éclairer cet aveuglement, en proposant des principes éthiques et pratiques, pour aider à discerner entre les ombres et la lumière, à travers 8 principes de sagesse.
1) Compréhension juste : qu’est-ce qui est réel et qu’est-ce qui est illusoire ? qu’est-ce qui est éthique et qu’est-ce qui ne l’est pas ?
La première étape dans cette bataille est de VOIR : prendre un moment pour réfléchir et discerner, pour être capable de reconnaître les intérêts cachés de certaines idées qui sont promues, principalement sur les réseaux sociaux. Les jeunes eux-mêmes, dans ces enquêtes, reconnaissent combien ils sont influencés par les fake news. Voir implique de faire un petit examen quotidien, de noter si ce que je vois est éthique ou non, si c’est vertueux et si cela nous conduit à la séparation ou présente un autre intérêt dont on profite.
2) Pensée juste (intention) : quelle est notre nourriture ? d’où vient-elle ?
Tout comme notre corps est alimenté et peut tomber malade avec des aliments contaminés, notre mental et nos émotions sont constamment alimentés par les réseaux sociaux, leurs vidéos, leurs chansons, leurs messages de haine et bien d’autres absurdités. Actuellement 40 % des 16-25 ans passent en moyenne 3 à 5 heures par jour, c’est-à-dire plus de vingt-huit à trente-cinq heures par semaine et plus d’un millier d’heures par an.
Tout cela touche directement notre façon de penser et modèle notre façon de voir le monde, comme voir le sexe comme une chose éphémère sans besoin d’amour, l’apprentissage de l’intimité à travers la pornographie, la croyance que le bonheur ne peut être atteint que par les biens matériels et que la beauté se résume à un corps mince et n’a aucune relation avec l’éthique.
La deuxième étape de cette bataille est de NOURRIR : mieux choisir la nourriture que nous donnons à notre psyché, choisir les pensées que nous voulons et qui doivent être nourries, celles qui forgent le caractère des jeunes, les pensées de courage, d’honneur, de fraternité, de dépassement ; avoir un temps de désintoxication des réseaux, en évitant le défilement abrutissant et le vide qui survient après plusieurs heures sans avoir nourri nos pensées les plus élevées.
3) Parole juste :
« La vérité se propage à la vitesse de l’escargot, le mensonge à la vitesse du lièvre », dit le dicton populaire. La diffusion rapide des contenus rend aujourd’hui difficile de prouver la véracité des informations ; les vérités sur les questions politiques, sociales ou de santé sont déformées par des mèmes (1) ou des titres sensationnalistes.
Nous pouvons citer quelques exemples de ce que l’on appelle fake news : la 5G propage le COVID, l’ail peut prévenir le COVID, Tom Hanks est mort, un enfant est réfugié sur une plage, une tempête apocalyptique s’abat sur New York, des fausses nouvelles sur des incendies en Amazonie, les vaccins sont équipés de micropuces pour nous contrôler.
Cela crée de la confusion, une polarisation sociale et des décisions sont prises sur la base de mots incorrects prononcés par des milliers de personnes. Nous devons revenir à ce conseil toltèque d’être impeccables dans nos paroles, qui ont tellement à voir avec notre estime de soi. La droite parole implique de parler avec vérité, avec bonté et qu’elle soit utile, en évitant de partager des nouvelles sans en vérifier la véracité et encore plus si elles ont un langage de division.
Dans un monde où la communication numérique amplifie les conflits, il est essentiel d’encourager les conversations qui favorisent le dialogue plutôt que la confrontation.
4) Action juste (comportement) : quels défis viraux sont incorrects ?
Nous avons actuellement des milliers de jeunes qui font des défis viraux, dont beaucoup sont apparemment innocents ou « normalement acceptés », mais derrière ces étiquettes se cachent la glorification de troubles alimentaires, l’automutilation, le dénigrement par l’obtention de stickers ou de monnaies numériques et la sexualisation des mineurs.
Certains deviennent même mortels, comme cela est arrivé à Nylah, un garçon de dix ans qui a essayé le « Blackout challenge », un défi consistant à retenir sa respiration jusqu’à s’évanouir et qui, dans son cas, a causé la mort ; ou un garçon qui est mort après que cinq jeunes gens avaient relevé le défi viral de conduire pendant cinquante heures sans dormir et l’ont percuté.
Pour les jeunes, il est naturel d’être impulsif et d’agir sans en mesurer les conséquences. La droite action du Bouddha nous invite à la réflexion sur nos actes, à agir de manière éthique, en évitant de nuire aux autres et à nous-mêmes. Poser des questions telles que : est-ce que peut cela nuire physiquement ou émotionnellement ? est-ce que cela peut nuire à d’autres personnes directement ou indirectement ? sont des questionnements initiaux qui peuvent aider les jeunes à mieux faire face à ces défis.
5) Moyens d’existence justes : qu’est-ce que le succès ? que suis-je prêt à faire pour l’atteindre ?
Dans la parabole du « cruel héron trompeur », Jorge Angel Livraga raconte qu’un héron ment et trompe des poissons en leur proposant de les transporter dans son bec jusqu’à un lac voisin, en leur promettant de les ramener sains et saufs. Le héron, comme marque de confiance, transporte une petite carpe qui arrive intacte sur le rivage et, la voyant en bonne santé, les autres poissons décident de lui faire confiance. Cependant, le héron avait d’autres projets et les dévore l’un après l’autre au pied des arbres.
Sur les réseaux sociaux, les jeunes sont confrontés à des centaines d’influenceurs qui mentent sur leur façon de gagner de l’argent et sur la vie réussie qu’ils mènent, leur luxe, leurs voitures et leur célébrité. Ils invitent des milliers de jeunes qui les suivent à appliquer leurs formules magiques.
Pour réussir, ils utilisent des phrases comme « suis-moi pour ta liberté financière », « sois ton propre patron », « vis en voyageant », « ne sois pas un smicard ». Étant convaincus, les jeunes en viennent à payer des frais d’adhésion élevés pour des programmes vides de contenu ou à devenir esclaves d’un système de recrutement dont la monnaie d’échange est le nombre de personnes qu’ils auront convaincu pour devenir eux-mêmes millionnaires.
Des moyens d’existence justes impliquent un discernement éthique de notre manière d’agir, en gagnant notre vie sans causer de tort à autrui, ni nous engager dans des activités qui encouragent la tromperie ou la manipulation à travers des systèmes de vente pyramidaux et de promotions qui font appel à la cupidité et au désir de succès rapide. Le succès sans effort, comme nous le savons, n’est pas durable et conduit à nuire à autrui.
6) L’effort juste
Aujourd’hui, les jeunes sont influencés par un bombardement constant d’égocentrisme : « pense à toi », « amuse-toi », « fais-toi plaisir », « ne pense pas », « voyage », « vis ta vie » sont des slogans qui cherchent à manipuler les jeunes pour qu’ils perdent leurs années les plus vitales et ne puissent pas apporter de changement au statu quo qui maintient le monde dans un consumérisme et un endormissement que seuls les jeunes éveillés peuvent modifier.
Les maîtres de la caverne, mentionnés par Platon dans son mythe, veulent que les jeunes aient une apathie naturelle à l’égard de l’effort, qu’ils cherchent le succès par la voie facile, sans tenir compte du fait qu’il y aura des décisions difficiles, des moments inconfortables, que la recherche de victoires dans la vie quotidienne nécessitera des efforts physiques et psychologiques, que le stress fait naturellement partie de la vie et qu’il n’existe pas de relation qui ne demande pas d’efforts, de patience et de dévouement ; que ce qui a de la valeur dans la vie n’est pas jetable et aura toujours un coût, mais conduira aussi à des états de paix intérieure, simplement pour avoir fait un effort.
La jeunesse doit retomber amoureuse de l’effort, de la patience et du dévouement au travail, de l’action désintéressée d’aider les autres, et doit sortir de l’égocentrisme qui consiste à croire que tout effort nécessite une récompense matérielle. C’est cela l’effort juste prôné par le Bouddha.
7) L’attention juste
L’objectif des réseaux sociaux est aujourd’hui de capter l’attention et de chercher l’interaction de ceux qui les voient, ce qui va progressivement générer chez les jeunes une dépendance émotionnelle qui associe leur estime de soi au nombre de j’aime qu’ils obtiennent ; plus ce nombre est élevé, plus ils se sentent valorisés. Cela a de grandes répercussions physiques et psychologiques sur ceux qui recherchent ces « j’aime » car lorsqu’ils ne les obtiennent pas, ils souffrent généralement d’anxiété et de dépression, d’une distorsion de la perception qu’ils ont d’eux- mêmes, ce qui entraîne une insécurité par rapport à leur corps, à leurs capacités ou à leur mode de vie.
Dans cette quête de récompense immédiate, l’attention juste aide grandement à se désidentifier des images extérieures, à pouvoir reconnaître et désamorcer la recherche constante de validation et souligne l’importance de développer le détachement émotionnel.
Avec l’attention juste, nous pouvons être pleinement conscients de nos émotions lorsque nous recherchons et obtenons ces j’aime et de la manière dont nous pouvons laisser aller cette pensée sans nous y accrocher. Vivre dans le présent nous éloigne de l’obsession du regard des autres et nous amène à nous concentrer sur des expériences réelles et significatives.
8) Concentration juste :
Le terme FOMO est l’abréviation de Fear Of Missing Out ou peur de manquer, générée par les médias sociaux. Pourquoi les jeunes vivent-ils dans la peur de manquer quelque information ? Qu’est-ce qui génère la peur ?
Parce que notre mental est dans de multiples tâches ou pensées, il est très dispersé, tombe constamment dans la surstimulation et l’addiction à la dopamine que cela génère, cherchant à ne pas manquer les évènements, les tendances ou les nouvelles importantes, non seulement par peur des nouvelles elles-mêmes, mais aussi par la peur qui accompagne l’addiction à la dopamine, à la stimulation que les nouvelles génèrent. Le fait d’être concentré sur une seule tâche ou une seule pensée renforce notre mental, notre capacité à éviter le vagabondage, à résister aux distractions et donc à la compulsion de consulter constamment les réseaux ou le téléphone.
La concentration profonde nous permet d’identifier ce qui importe vraiment dans notre vie, renforce notre estime de soi et nous aide à atteindre nos objectifs.
Conséquences pratiques
Le Noble Octuple Sentier offre des outils complets et éthiques pour que les jeunes puissent faire face à la manipulation idéologique et commerciale de plus en plus présente dans les réseaux sociaux, qui sont des espaces où ils peuvent se développer, apprendre et s’exprimer, mais aussi où ils également sont soumis à un grand bombardement d’idées qui peuvent les conduire à une forte détérioration personnelle, tant physique que psychologique.
Dans un monde en mutation, les enseignements du Bouddha restent toujours valables, ils constituent une oasis de sagesse pour les périodes difficiles et une grande source d’inspiration pour les nouvelles générations.
Chaque étape du Sentier, de la vision juste à la concentration juste, fournit des outils pratiques pour développer une relation saine avec les réseaux et les médias. La parole juste encourage la vérité et l’honnêteté, le respect dans nos interactions en ligne, tandis que l’action juste et les moyens d’existence justes nous apprennent à maintenir une vie éthique et harmonieuse, sans tomber dans les pièges du matérialisme et de la validation extérieure. La concentration et l’effort justes nous permettent de vivre dans le présent et d’avoir un exercice mental pour éviter la dispersion mentale et les manipulations du monde numérique.
Si les jeunes vivent et pratiquent ces outils, ils seront non seulement mieux préparés à affronter cette nouvelle ère, mais ils auront aussi une vie pleine de justice et d’amour, si nécessaires à notre époque.