Société

Fleurs d’Équinoxe

Un film sur le temps dans la vraie dimension du zen.

Fleurs d'équinoxe
Fleurs d’équinoxe

Wataru Hitayama (joué par Shin Saburi), grand chef d’entreprise prend très mal l’affront que lui fait subir sa fille Setsuko (jouée par Ineko Arima), en refusant un mariage qu’il a arrangé pour elle. Le titre du film fait référence à, d’un coté l’automne près d’un père vieillissant et autoritaire, de l’autre, le printemps avec Setsuko, résolue à épouser l’homme de son choix. Elle organise le mariage sans son aide et c’est contre sa volonté qu’il y assiste. Le couple part ensuite pour Hiroshima et, poussé par ses amis, Hirayama surmonte ses convictions et va leur rendre visite.

En véritable artiste zen, Yasujiro Ozu a réussi à capter le temps qui s’écoule et plus que cela encore. En un mot, chaque être dans le monde tout entier est un temps particulier dans un continuum unique. Cinéaste unique, il a restitué le temps dans sa vraie dimension. Alors que la pendule universelle est toujours en mouvement, que la marée de la vie monte et descend conformément à la loi, la caméra du maître reste en dehors. Posée sur une plate-forme privilégiée, elle contemple les êtres dans leur alternance.

L’action est toujours reliée par des plans étranges qui semblent surgir d’un autre espace-temps. Tous les lampions de la rue oscillent à peine dans le vent ; plus loin dans la campagne le soleil se lève, des panneaux publicitaires envahissent l’espace, un enfant écoute la pluie tomber et tous ces plans n’ont a priori rien à voir avec l’histoire qui se déroule. Et pourtant, dans le déroulement du récit, ces images nous renvoient dans le grand Tout, dans l’Universel.

La touche d’Ozu se reconnaît entre mille autres. Des principes immuables s’opèrent. Les êtres sont filmés, liés aux objets et aux choses. À la limite, ils ne sont que des atomes identiques à ceux que constituent un vase, une fleur, un paysage, un décor. Et pourtant la vie pulse à l’intérieur de ces corps d’hommes et de femmes qui agissent dans des cadres à grande profondeur de champ. Cette profondeur permet à Ozu de réunir dans un seul plan plusieurs actions en même temps, qui ont bien sûr des résonances entre elles. La caméra est toujours placée à 50 centimètres du sol et contemple sans sourciller les mouvements vibratoires qui interagissent entre ses personnages. Le regard à faible hauteur accentue encore la profondeur de champ, donne de la noblesse à ses acteurs et sur le plan philosophique c’est le regard humble d’Ozu sur le monde, son humilité en tant qu’homme face au Tout qui l’entoure et dont il n’est que l’infime partie. Dégagé du principe de causalité, son oeuvre nous montre toute chose dans sa gravitation.

Chaque film d’Ozu s’inscrit dans la famille japonaise, depuis les enfants, les adultes et les grands parents. Ozu dira vers la fin de sa vie «À travers l’évolution des parents et des enfants, j’ai voulu montrer comment le système familial japonais commençait à se désintégrer.» Fleurs d’équinoxe en est un bel exemple. C’est le premier film en couleurs d’Ozu, couleurs qu’il va utiliser avec la subtilité d’un maître en haïkus comme le choix de la couleur rouge comme dominante, rouge de la passion, rouge de la blessure. Entre joie et tristesse Ozu filme sublimement et subtilement cette aspiration de chacun au bonheur, quête d’un équilibre dérisoire selon lui face à l’impermanence.

Par Lionel TARDIF

Mardi 8 avril 2014 à 19 h

Espace Daniel Sorano : 16, rue Charles Pathé – 94300 Vincennes –

Tel : 01 43 74 73 74

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