Sommes-nous des malades imaginaires ?
Sommes-nous des malades imaginaires ? Question provocatrice, une année après le début d’une pandémie mondiale !
Regardons les faits. Nous savons aujourd’hui que la COVID-19, dont 99% des malades se portent bien, a un âge moyen de mortalité en France de 85 ans. Et pourtant, nous constatons que la pandémie a de lourds effets sur notre moral. Les cabinets des psychiatres, psychanalystes et psychothérapeutes sont débordés, notamment par des jeunes. Le taux d’états dépressifs dépasse 20 % de la population générale (1).
Serions-nous, comme dans la pièce de Molière, des malades imaginaires ?
La mort est-elle un échec ?
Si nous nous interrogeons en tant que philosophe sur ce que signifie être un malade imaginaire, nous dirions qu’il s’agit d’être un malade dans sa tête, c’est-à-dire imaginer une fausse réalité.
La première fausse réalité est, peut-être, l’idée que nous pourrions échapper à la mort. Idée largement nourrie par les utopies transhumanistes qui nous font miroiter la possibilité de transcender cette composante indissociable de la vie. La mort, occultée par notre société, est aujourd’hui vécue comme un échec, qui devrait un jour être surmonté par la technologie et l’intelligence de l’homme.
Or cette pandémie nous oblige à regarder en face notre propre finitude.
« La finitude, l’échec et les obstacles font partie de la condition humaine. Tant que nous n’aurons pas accepté la mort, nous serons affolés à chaque épidémie » soulignait André Comte Sponville, et d’ajouter « La santé n’est pas une valeur, c’est un bien. »
Le refus de la mort nous fragilise. « Notre réaction au COVID-19 montre que plus on dénie la mort, moins on tolère le risque et l’incertitude » déclare Marie de Hennezel (2). Et de souligner « que beaucoup de personnes âgées de 80 à 100 ans se montrent plus fortes que certains jeunes adultes pour faire face aux aléas du virus et à l’impensé de la disparition. »
Refuser la mort nous rend vulnérables. On ne s’aguerrit pas en fuyant ce que l’on craint mais en l’affrontant. C’est pourquoi les anciens philosophes, comme les stoïciens, pratiquaient des exercices pour développer leur résistance intérieure et leur force morale. L’un d’eux, memento mori, avait pour but de mettre la mort en face de soi à chaque instant, comme un critère pour évaluer les décisions du jour, les choix et les orientations à prendre. Et pour se rappeler plus profondément que la vie ne nous appartient pas, et que l’alternance de la vie et de la mort est un mystère qui nous renvoie à des interrogations plus intimes et philosophiques.
Les médecins, les nouveaux maîtres ?
Dans la pièce de Molière, les médecins ne sont pas les seuls à être ridicules, Argan, leur patient, l’est tout autant, sinon plus. C’est lui le malade imaginaire, l’hypocondriaque qui fantasme ses maux et érige sa santé comme bien ultime. Son véritable mal est finalement son amour immodéré pour la médecine.
N’est-ce pas le mal qui nous a saisi collectivement ?
« Je déplore le pan-médicalisme, cette idéologie qui attribue tout le pouvoir à la médecine. Une civilisation est en train de naître, qui fait de la santé la valeur suprême… Auparavant, la santé était un moyen pour atteindre le bonheur. Aujourd’hui, on en fait la fin suprême, dont le bonheur ne serait qu’un moyen ! Conséquemment, on délègue à la médecine la gestion non seulement de nos maladies, ce qui est normal, mais de nos vies et de nos sociétés», constate encore André Comte Sponville (3).
On sait combien, dans la pièce de Molière, cette soumission d’Argan à la médecine, le transforme en monstre immoral, méchant et cruel. Et nous, nous sommes-nous interrogés sur la place de notre santé dans notre vie ? Est-elle un moyen ou une fin ?
Un vaccin de l’âme ?
Nous faisons reposer tous nos espoirs sur le progrès médical de la production de vaccins. Sans nier la réalité de cette avancée sur le plan technique, ne pourrions-nous pas envisager d’autres antidotes à la maladie ?
Et si l’on élaborait un vaccin de l’âme ? Car la COVID-19 n’est-elle pas en train de mettre tristement en lumière le désarmement moral de notre pays qui gère sa plus grande crise depuis la guerre avec des méthodes qui se révèlent inaptes à mobiliser la force héroïque de la population ?
Ce vaccin aurait pour but de nous guérir de nos fausses visions de la réalité et de nous-mêmes, erreurs qui nous conduisent à penser que les seules solutions dépendent des autres et de la technique.
Pour sortir de l’hyper-protection qui nous infantilise et nous cantonne dans le rôle de victimes effrayées, nous mettrions fin à la comptabilité absurde des morts, malades et hospitalisés quotidiennement. On ne gagne pas une guerre avec des chiffres, mais dans sa tête. Tous les champions le disent, la victoire s’obtient d’abord à l’intérieur.
Ensuite nous déclarerions l’art, la lecture et la culture comme biens essentiels, eu égard à l’importance de leur rôle pour la psychologie humaine, pour son élévation, sa grandeur, et, au final, sa force et sa santé.
Et enfin, nous affirmerions que, plus que jamais, nous avons besoin de la philosophie pour retrouver la force morale qui nous permet de vivre avec sérénité notre condition de mortels et faire face avec créativité et résilience aux difficultés inhérentes à la vie.
(1) 21% au 12 novembre 2020. Source Le monde du 26 novembre 2020 https://www.lemonde.fr/planete/article/2020/11/26/anxiete-depression-stress-post-traumatique-la-pandemie-de-covid-19-a-un-fort-impact-sur-la-sante-mentale_6061148_3244.html
(2) https://www.letemps.ch/societe/andre-comtesponville-laisseznous-mourir-voulons
(3) dans Le Monde du 8 janvier 2021
https://www.lemonde.fr/idees/article/2021/01/08/marie-de-hennezel-plus-on-denie-la-mort-moins-on-tolere-le-risque-et-l-incertitude_6065549_3232.html
(4) https://www.letemps.ch/societe/andre-comtesponville-laisseznous-mourir-voulons
La mortalité en France…
Sur quasiment une année, entre le 1er mars 2020 et le 16 février 2021, 82 812 décès de patients COVID-19 ont été rapportés à Santé publique France : 58 578 décès sont survenus au cours d’une hospitalisation (71%) et 24 234 décès en établissements d’hébergement pour personnes âgées (EHPAD) et autres établissements sociaux et médicosociaux (ESMS). 92,7% des cas étaient âgés de 65 ans ou plus. L’âge médian des décès est de 85 ans. 65% des décès sont associés à une comorbidité (une hypertension artérielle dans 22% des cas, une pathologie cardiaque pour 35%).
Pour comparaison nous déplorons en France 600 000 décès par an, dont les tumeurs cancéreuses sont la première cause de décès (163 602) en 2013, devant les maladies de l’appareil circulatoire (cardiopathies, accidents vasculaires…) avec 142 175 décès. Viennent ensuite les décès regroupés sous l’appellation « causes externes », avec 36 920 décès. Cette catégorie additionne les accidents (24 915 décès), les accidents de transport (3 157 décès), les chutes accidentelles (6 657 décès), les intoxications (2 055), les suicides (9 819), les homicides (430)
… Et dans le monde
« Et pourquoi tant de compassion geignarde autour du COVID-19, et pas pour la guerre en Syrie, la tragédie des migrants ou les neuf millions d’humains (dont trois millions d’enfants) qui meurent de malnutrition ? (1) C’est moralement et psychologiquement insupportable. » André Comte Sponville