Un chemin vers l’intériorité
Une Maître de Vie, la philosophe Delia Steinberg Guzmán, ancienne directrice internationale de Nouvelle Acropole, nous a quittés le 15 août 2023. Mais elle laisse une œuvre immense au service de la communauté humaine.
À l’image de sa vie, les enseignements de Delia Steinberg Guzmán étaient accessibles et pratiques. Son souci constant fut que le plus grand nombre d’individus puisse accéder à la compréhension du sens de la vie, afin que chacun puisse décider librement de son destin.
Il y a quelques années, lors d’un de nos congrès internationaux de philosophie, elle nous proposa un cours sur la manière d’atteindre la spiritualité. En l’écoutant, il me sembla que face au désarroi et à la totale confusion actuelle, il pourrait servir de bâton pour tous les pèlerins de l’âme. Elle proposa trois niveaux progressifs à atteindre pour la pratique de la vie intérieure : l’échelon de la vie morale, l’échelon philosophique et l’échelon spirituel.
« Souvent, il y a une confusion sur la façon de nous préparer, sur les valeurs à développer sur un chemin ascendant, pour oser parler de spiritualité. Bien souvent nous parlons de spiritualité sans nous rendre compte que nous avons sauté des étapes préalables indispensables » constatait-elle.
L’échelon de la morale
La force morale est le point d’appui de tout. Elle nous permet d’affronter les différentes épreuves ou difficultés de la vie sans perdre notre centralité et sans tomber dans le psychologisme. Elle remarquait : « Il est évident que nous devons travailler avec le psychisme, mais si nous restons au niveau psychologique, notre travail deviendra superficiel et subjectif. Le psychologique ne résout pas tout, il travaille avec l’ego personnel qui veut éblouir à l’extérieur et n’a pas de dimension morale ».
Pour obtenir la santé psychologique et mentale, nous devons former notre caractère et dépendre moins de nos défauts et plus de nos qualités morales ou vertus, comme les appelaient les philosophes de l’Antiquité. Les Grecs nommaient la vertu arêté, c’est-à-dire ce qui mène à l’excellence. Les Romains utilisaient le mot vir, le vigoureux, le fort, qui ne se réfère pas au masculin mais à la force de caractère.
La force de caractère, c’est l’assurance intérieure et la stabilité, nous disait Delia Steinberg Guzmán. « Faire de la philosophie sans se sentir en sécurité sur le plan moral, c’est nous tromper nous-mêmes et tromper ». Le vrai philosophe pratique les enseignements sans craindre l’échec car il en tire des leçons. La vie morale qui est l’accord entre les idées et les actions, est intérieure. Ce n’est pas une façon de juger ou de critiquer autrui en lui faisant la leçon.
Sur l’échelon moral, nous cherchons à reconnaître le bien et le mal. À la question : « Mais qu’est-ce que le bien ? » elle nous répondait : « le rapprochement avec les lois de la nature et aussi tout ce qui nous rend meilleurs ». Le mal consiste à s’éloigner des lois de la nature, comme nous le constatons avec les désordres que les activités humaines provoquent dans le monde, en aggravant la condition humaine de millions de personnes.
La force morale ne peut reposer sur une foi aveugle mais sur nos convictions. « Ne cherchez pas la stabilité avant d’avoir l’assurance intérieure. Sans sécurité intérieure, nous rendrons stables l’insécurité et les défauts » exhortait-elle.
La morale de l’âme
« L’empereur stoïcien Marc Aurèle demandait à ses interlocuteurs : « Seras-tu droit ou redressé ? » La valeur morale qui réunit la majorité des êtres humains depuis des millénaires est la droiture. En obtenant cette attitude intérieure de droiture, la valeur morale devient un aimant pour notre perfectionnement ». Ces enseignements proviennent d’une morale atemporelle ou morale de l’âme comme disait Jorge Angel Livraga (1). Cette voie morale nous conduit à l’examen intérieur du sens de notre vie.
L’échelon de la philosophie
« La philosophie cherche à améliorer notre vie, à nous rapprocher de la vérité des choses, à nous rendre plus heureux, à nous rendre meilleurs » expliquait Delia Steinberg Guzmán.
L’échelon de la philosophie, appuyé sur notre vie morale, nous conduit à apprendre à différencier le vrai du faux, la vérité de l’illusion. « Elle nous permet de découvrir le peu de valeur des opinions sans fondement de sortir des fantasmes et de développer la merveilleuse vertu qu’est l’investigation » ajoutait-elle.
Nous devons nous demander : sur quoi est-ce que je fonde ma vie ? Le test auquel nous devons tous nous soumettre, disait-elle, est de savoir si nous vivons selon la vérité des choses ou selon nos préjugés, nos fantasmes, nos illusions : « La vérité a plusieurs niveaux. Il y a un noyau que nous pourrions appeler le Vrai et ensuite de très nombreuses expressions de la vérité. Mais pour trouver la vérité, nous devons d’abord reconnaître que dans toute forme de vie, il y a une vérité ».
Mais elle soulignait que pour pouvoir voir à l’intérieur des choses, il faut d’abord obtenir un état de tranquillité et de sérénité, un état d’ataraxie qui est celui où l’on n’est pas soumis à la passion. Alors que l’homme agité est toujours dépendant des éléments extérieurs qui le perturbent, l’apprenti de la sagesse ne se laisse pas envahir par le monde extérieur. À cet égard, Delia Steinberg Guzmán converge avec les grandes philosophies morales de l’Antiquité, telles que le stoïcisme et l’épicurisme, nous encourageant, par son exemple, à les mettre en pratique aujourd’hui.
Elle nous prévient contre un défaut très grave dans la recherche de la vérité : l’impatience. « Le fait qu’il n’y a pas d’urgence, n’est pas la lenteur, qui est paresse. Ne pas se hâter, c’est avancer sans inquiétude, c’est avancer calmement. Vivre et rechercher les lois de la nature demande de respirer, sans anxiété. Nous avons besoin d’un grand changement en nous-mêmes, d’apprendre à chercher la vérité. De cette recherche naissent des convictions qui ne peuvent être imposées ».
Les convictions naissent lorsque nous avons saisi quelque chose de la vérité que nous pouvons mettre en pratique. Être dans le vrai ne se limite pas à un engagement intellectuel, c’est aussi un acte pratique et moral. Car cela implique d’être vrai, non pas par rapport à quelque chose d’extérieur, mais en tant qu’acte individuel intérieur.
La vérité réside dans un acte existentiel consistant à vivre pour la vérité en faisant d’elle un mode de vie qui nous rapproche de son essence. Il s’agit de pouvoir concevoir une vie autre. Les Grecs appelèrent cette ouverture de la conscience aletheia, c’est-à-dire, découverte, dévoilement, révélation : aller au-delà des apparences.
L’échelon de la spiritualité
Delia Steinberg Guzmán constata, par son expérience, que nous sommes immergés dans un monde qui attaque continuellement la spiritualité par le biais de sa posture antimorale et antiphilosophique. La fausse liberté de l’individualisme narcissique nous a conduits à la crise que nous vivons. « Sommes-nous sûrs que notre choix part de la conscience et non de la mécanicité du mental ? » interrogeait-elle.
Elle nous incitait, comme les philosophes à la manière classique, à redonner du sens à ce qu’est la spiritualité, par la recherche du durable, de l’impérissable, de la Réalité. « La spiritualité est, en principe, un état de conscience ».
Le mot esprit vient du latin spiritus, le souffle. L’être humain possède une intelligence qui lui permet de comprendre le monde, mais aussi de s’en libérer. Comme le dit le philosophe Bertrand Vergely, lorsque l’intelligence devient une faculté pratique menant à la liberté et non plus seulement une faculté théorique d’explication de la réalité, nous pouvons parler d’esprit. L’esprit nous renvoie au sens, à ce qui se cache derrière les choses. Il nous libère du poids de la lettre morte et nous conduit à sa signification symbolique.
Delia Steinberg Guzmán nous a laissé quelques recommandations pour faciliter notre pratique de la spiritualité. Tout d’abord, nous appuyer sur notre vie morale et la pratique de la philosophie pour comprendre et discerner le sens des choses intérieures et extérieures que nous vivons.
« La spiritualité n’est pas croire, mais savoir. C’est pourquoi nous avons abandonné le psychologisme, car la foi émotionnelle est souvent irrationnelle. Pour parler de spiritualité, il faut savoir. La spiritualité, c’est voir les choses telles qu’elles sont et non pas telles que nous voulons qu’elles soient ou telles que nous aimerions qu’elles soient. Nous ne pouvons pas prétendre à des transformations si nous ne voyons pas d’abord les choses telles qu’elles sont ».
Pour obtenir un changement intérieur ou extérieur, nous devons constater sa véritable nature et partir de ces réalités pour éviter que l’énergie que nous utilisons ne se dilue sans aucun résultat.
La spiritualité était, pour elle, l’amour du prochain. Personne ne peut avancer s’il ne s’intéresse pas à ce qui est bien pour l’autre. Apprendre à s’oublier soi-même est paradoxalement l’une des clés de notre propre amélioration intérieure. « Je ne parle pas d’un amour en particulier pour une personne ou une autre. C’est comme si notre cœur devenait rayonnant et pouvait se déverser sur tous, parce que tous ont du bon et du mauvais. L’important est d’aimer, car sans amour, la fraternité n’est pas possible. La fraternité fait partie de la spiritualité, c’est un principe indispensable pour atteindre des objectifs plus élevés » déclarait-elle. Elle a constamment insisté sur le fait qu’au-delà des mentalités de chaque pays, nous devons comprendre que les cœurs humains sont les mêmes partout dans le monde. Les différences ont été créées par le mental.
L’une des explications qu’elle aimait le plus au sujet de Nouvelle Acropole est qu’il s’agit d’une École de Philosophie à la manière classique, basée sur la morale et cherchant la régénération spirituelle du genre humain. Pour que nos écoles dans le monde puissent promouvoir la dimension spirituelle, nous devons développer la capacité à découvrir la vérité et à découvrir le bien.
« La spiritualité est un état de conscience dans lequel nous pouvons sentir que nous faisons partie du monde entier et que nous pouvons pénétrer toutes les choses, tous les êtres et toutes les vérités » nous expliquait-elle encore.
Cher Maître de vie, merci de nous avoir appris à partager le Bien, la Vérité et la Réalité et à nous sentir partie intégrante de l’Humanité et de l’Univers.