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Arts

Le poème de l’âme de Louis Janmot

Matérialiser l’invisible tel est le défi relevé par Louis Janmot, dont le Musée d’Orsay présente, avec le concours du musée des Beaux-Arts de Lyon, une exposition originale sur
« Le Poème de l’âme ».

1968-158

Louis Janmot, « âme fière et pure » pour certains, « le plus paradoxal des élèves d’Ingrès » pour d’autres, est un artiste catholique lyonnais, auteur d’une œuvre unique, qui relie texte et image, à travers un poème et son illustration dans deux cycles de tableaux et dessins uniques et de très belle qualité.

Une vie inspirée et tourmentée

Louis Janmot (1811- 1892) naît à Lyon dans une famille de négociants qui travaillent avec les tapisseries d’Aubusson et le monde de la soie. Ses parents lui assurent une solide éducation. Il reçoit des cours de philosophie de l’abbé Noirot inspiré par le néoplatonisme. Il s’entoure de nombreux amis qui seront des figures éminentes du courant catholique libéral de France. Il existe à l’époque une riche vie artistique à Lyon et les peintres religieux font légion. Il s’inscrit à l’école des Beaux-Arts suivant une formation accélérée dont il gagne le concours de fin d’année avec un autoportrait. Il possède à 19 ans un trait sûr et une maîtrise technique précoce.
Il monte à Paris avec quelques condisciples, comme Hippolyte Flandrin, pour continuer sa formation. Il s’inscrit à l’atelier de Jean-Auguste-Dominique Ingres où il retrouve un petit cercle de compatriotes avec lesquels se constitue un réseau d’entraides et d’amitiés. Il ne réussit pas à rentrer dans l’école de Beaux-Arts et Ingres part à Rome comme directeur de l’Académie de France.
De cette formation, il retient l’importance du dessin comme tout préalable à la peinture.
Fin 1835, il fait un séjour à Rome où il retrouve Ingres et surtout découvre l’antique et les peintres du Trecento (1) et du Quattrocento (2). Un autre voyage à Florence lui permettra de découvrir
Fra Angelico et Sandro Botticelli qui seront également une grande source d’inspiration.
De retour à Lyon, il commence sa vie professionnelle, partisan des idées du catholicisme libéral et cherchant à contribuer au renouveau de la peinture religieuse. Ses créations obtiennent un succès mitigé dans les Salons parisiens et entre temps, il commence à créer l’œuvre de sa vie qui sera Le poème de l’âme.
Il connaîtra une décennie fructueuse à Lyon où il participe au décor de nombreuses églises.
Son mariage lui apporte un apaisement et il crée une famille nombreuse de huit enfants.
Son épouse et ses enfants seront ses modèles de prédilection. Des difficultés vont apparaître, après l’échec pour obtenir le poste de directeur de l’école des Beaux-Arts à Lyon, et il monte à Paris où d’autres projets n’aboutissent pas. Il s’installe à Bagneux avec sa famille, mais là aussi son bonheur est de courte durée, avec la mort de son plus jeune enfant et de son épouse Léonie en 1870.

1968-160

La guerre franco-prussienne arrive, il doit quitter sa maison et il perdra la garde de ses enfants. Son pessimisme et sa négativité s’aggravent et il se sent accablé par la fatalité, qui se ressentira dans ses tableaux. Il s’installe à Toulon et ses pensées deviennent de plus en plus conservatrices avec l’avènement de la Troisième République. Son œuvre sera sauvée par le soutien décisif d’un collectionner et photographe, Felix Thiollier qui décide d’éditer Le Poème de l’âme et devient
son principal mécène. Il participe dans cette dernière partie de sa vie du salon tenu à Paris par une de ses élèves, Berthe de Rayssac ce qui lui permet de prendre contact avec une jeune génération d’artistes, en particulier symbolistes qui s’inspireront de son œuvre, comme Odilon Redon.
Après son décès, ses enfants donneront l’ensemble des peintures et dessins à l’Académie de Médecine de Lyon, où ils sombreront dans l’oubli et seront vandalisés en 1968. Après cela, la collection passera au Musée des Beaux-Arts de Lyon en 1978 où les tableaux seront restaurés et bien exposés depuis. L’exposition du Musée d’Orsay rend hommage à un auteur et une époque moins connue mais importante de l’histoire de l’art lyonnais.

Tous ces tableaux, conçus comme une partition musicale, affirment le désir de l’âme de s’élancer vers l’infini et la marche de l’homme vers l’Idéal

L’œuvre d’une vie

C’est à la suite d’une sorte d’illumination, à 21 ans, lors de son voyage à Rome, que le projet épique du Poème de l’âme prend racine. Comme l’explique Alain Vircondet, (3) cette œuvre connaît une lente maturation, freinée par les épreuves familiales, financières et de santé du peintre. Il inscrit son œuvre dans l’esprit de la grande reconquête néo-catholique de l’époque, concevant son œuvre comme un devoir apologétique et moral. Il entend participer, avec un élan inspiré de Lamartine et Chateaubriand, du retour triomphant du sacré et du religieux. Les poèmes appuient les peintures et les éclairent.
L’œuvre se construit durant une cinquantaine d’années et c’est fin des années 1870 qu’elle peut être vue dans sa globalité lyrique et catéchistique. Par des cycles successifs, ontologique, social et moral, elle trouve son achèvement dans le cycle de la rédemption avec Délivrance et Sursum Corda. « Tous ces tableaux, conçus comme une partition musicale, affirment le désir de l’âme de s’élancer vers l’infini et la marche de l’homme vers l’Idéal, sur une voie semée de dangers, mais veillée par des anges gardiens… » (4)

Choix esthétique et métaphysique aux multiples sources

Il s’agit d’une œuvre difficile à classer dans une catégorie ou école particulière mais qui subit plusieurs influences tant au niveau de la pensée que de la représentation artistique. D’une part, Janmot semble inspiré par « l’École mystique de Lyon » et les courants illuministes qui établissent une relation au divin par une inspiration intérieure directe. Le vécu intérieur est supérieur à la spéculation.
Au niveau de la théorie de l’art, sur laquelle il écrira également, il en fait une lecture chrétienne du beau inspirée de la vision néoplatonicienne de l’abbé Noirot qui dira que « le beau est l’infini vu à travers le fini. » « Le but de l’art est d’éclairer dans chaque intelligence cette face de la raison qui nous montre le beau, comme le but de la morale est d’éclairer cette face qui nous montre le bien. » (5) Nous reconnaissons les quatre archétypes de la Réalité, les Idées inspiratrices de Platon : le Beau, le Bien, le Vrai et le Juste. Le passage de cette vision esthétique à l’apologétique, défense et illustration du christianisme, est le but aussi des peintres nazaréens, que Janmot respecte mais trouve trop tournés vers le passé.

1968-174

Il est certainement inspiré par les grands cycles épiques à commencer par la Divine Comédie de Dante (5) et le passage de l’âme par divers mondes et stades. A tel point, que l’âme inspiratrice et médiatrice de son deuxième cycle de dessins se nomme Beatrix, en allusion à la Beatrice de Dante. Janmot se réfère également à une conception cyclique de l’histoire et le poème de l’âme la représente dans sa descente dans la temporalité et son retour au monde céleste des origines. Sa pensée s’inspire également de la vision théosophique de Jacob Böhme reprise par Louis-Claude de St Martin à travers « L’homme du désir », qui évoque la vision de l’homme comme une créature déchue, qui conserve une étincelle de son origine céleste et aspire à rencontrer Dieu qui ne peut lui être dévoilé qu’au terme de trois étapes de révélation progressive.
Les thèmes illuministes qui se dégagent du poème sont l’origine divine de l’âme, la deuxième naissance sur terre, le motif du double ou de l’androgyne dans la nostalgie de l’unité primitive. Baudelaire s’interroge en voyant dans le poème un garçon et une fille, s’il s’agit de deux âmes sœurs ou de l’aspect masculin et féminin d’un même être. Les représentations sont épurées et apolliniennes et notamment dans le tableau Virginité, on retrouve une correspondance croisée avec la notion d’anima et animus de Jung (théorie bien ultérieure), avec la maîtrise de la colombe par le garçon (allusion à l’anima) et la maîtrise du fauve par la fille (allusion à l’animus).

Les phases du processus : l’enchaînement des deux cycles

Le peintre-poète relève le défi insensé de vouloir représenter l’âme, de rendre visible l’invisible et toutes les péripéties qu’elle rencontre dans l’aventure de la vie. « Le récit est présenté à la manière d’un mythe, c’est l’odyssée d’une âme, représentée sous les traits d’un jeune enfant que l’on voit grandir et évoluer de tableau en tableau. Sa quête de pureté et d’harmonie, sa soif d’idéal se cristallisent dans la rencontre avec son âme sœur qui, comme lui, aspire au ciel… Les aventures des deux héros s’arrêtent brutalement à la fin du premier cycle, avec la mort de la jeune femme, qui plonge l’homme devenu adulte dans un désespoir qui fera l’objet du second cycle. » (6)

Pour le deuxième cycle, Louis Janmot abandonne la peinture pour le dessin au fusain mais conserve le même format. Le récit de la perdition au salut de l’âme, montre une discontinuité. On distingue trois groupes qualifiés de moral, dramatique, rédemption. Le message devient plus politique et conservateur, car le ton pessimiste fait allusion également aux épreuves rencontrées dans sa vie personnelle. Un long poème de deux mille huit cent quatorze vers, intitulé L’Âme, accompagne les œuvres. Il renforce parfois le « message » ou la signification des peintures, et leur est indissociable. Le Poème de l’âme n’est ni tout à fait un simple cycle peint, ni un livre illustré ; c’est une œuvre hybride, à la fois littéraire et picturale, et qui invite à la contemplation, à l’écoute et à la déambulation.

La symbolique du poème de l’âme

Nous assistons dans le premier cycle à l’évocation de la descente de l’âme depuis le monde céleste, transportée par un ange gardien et accueillie par tout l’amour maternel. Le printemps de la vie est évoqué avec toute sa fraicheur ainsi que l’image protectrice de la famille, le danger d’une mauvaise éducation, retour sur le droit chemin, l’amour pur et vierge des jeunes adolescents. Le rêve d’idéal les conduit au sommet de la montagne. Mais la mort de la jeune femme, de ce double de l’âme renvoi le garçon devenu jeune adulte à la dure réalité du monde, de la temporalité, du caractère éphémère de la vie avec un fond de culpabilité lié à la faiblesse humaine.
Le deuxième cycle, montrera ce parcours sombre de la chute de la conscience humaine dans les vices, les doutes, la confusion et la fatalité. Et il évoquera également la souffrance psychique qui nait de l’attachement au souvenir de sa bien aimée qu’il transporte comme un cadavre vivant, à l’image du supplice de Mézence repris de L’Eneide de Virgile. Au comble de son désespoir, dans un monde gouverné par les vices, la fausse science et la vanité, l’homme adresse une prière au Christ et regrette son reniement, en aspirant à la rédemption. Cette rédemption passe par l’intercession céleste de sa mère défunte qui évoque l’image de la grande médiatrice qui est la Vierge Marie. La figure suivante de la Délivrance ou la Victoire remplace le destin de l’homme par le triomphe de la foi chrétienne à laquelle se soumet la science.
La dernière image est celle de la Rédemption, Sursum corda, « élevons nos cœurs », où l’âme sous les traits de Beatrix, l’accueille dans l’assemblée céleste présidée par le Christ en bon pasteur. Les vertus théologales, Foi, Esperance, Charité et les vertus cardinales : Prudence, Tempérance, Force d’âme, Justice les entourent. Et le message délivré est qu’il doit retourner dans le monde terrestre pour œuvrer à la libération des âmes de l’ignorance et à la régénération du genre humain et que les armes dont il dispose se sont les vertus, donc sa force d’âme. Dans un style théologique et dans l’imaginaire chrétien, nous retrouvons le message du mythe de la caverne de Platon, où l’homme qui s’est délivré des doutes et de l’ignorance de l’obscurité de la caverne doit y retourner pour libérer ses frères humains.

(1) XIVe siècle avec le mouvement de pré-Renaissance italien
(2) XVe siècle avec la première Renaissance italienne
(3) Louis Janmot, Le poème de l’âme, Éditions Beaux-Arts, 2023
(4) Alain Vircondet, opus cité
(5) Lire les articles :
Dante poète éternel, d’isabelle Ohmann, paru dans la revue Acropolis N° 332 (09/2021) https://revue-acropolis.com/dante-poete-eternel/
Dante et la « Divine Comédie » d’Isabelle Ohmann, paru dans la revue Acropolis N° 334 (11/2021) https://revue-acropolis.com/dante-et-le-voyage-initiatique-de-la-divine-comedie/
(6) Louis Janmot, Le poème de l’âme, catalogue, Musée d’Orsay/In Fine Éditions d’art, 2023
(7) Ibidem, Servane Dargnies-de Vitry, page 39
Exposition du 12 septembre 2023 au 7 janvier 2024 – https://www.musee-orsay.fr/fr/agenda/expositions/louis-janmot-le-poeme-de-lame
Exposition du 12 septembre 2023 au 7 janvier 2024 – https://www.musee-orsay.fr/fr/agenda/expositions/louis-janmot-le-poeme-de-lame

Les photos ont été fournies gracieusement par le Musée d’Orsay
Laura WINCKLER
Co-fondatrice de Nouvelle Acropole en France
© Nouvelle Acropole
La revue Acropolis est le journal d’information de Nouvelle Acropole

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