Y a-t-il encore de la place pour les héros aujourd’hui ?
L’histoire, la littérature abondent de héros qui ont lutté, voire sacrifié leur vie pour des causes ou idéaux supérieurs. Aujourd’hui, y-a-t-il encore des héros ? Et savons-nous les reconnaître ?
Qu’est-ce qu’un héros ? Le dictionnaire le définit comme un(e) « homme, femme qui incarne, dans un certain système de valeurs, un idéal de force d’âme et d’élévation morale ».
Le héros est une personne qui s’oublie, laisse son intérêt personnel pour être au service de quelque chose d’autre que de lui-même.
« Les héros, ce sont des gens qui sacrifient leurs intérêts à une idée qu’ils ont dans la tête », écrit Gabrielle Roy (1).
Les héros du quotidien
Ce qui fait le héros c’est l’adversité, les circonstances adverses.
Sans péril il n’y aurait pas de héros. Sans misère ni exclusion, pas d’Abbé Pierre, sans prise d’otages, pas d’Arnaud Beltrame, sans déportation, pas de Justes. Dans un monde harmonieux, il n’y aurait peut-être plus de besoins, plus de places pour les héros.
Mais pour le héros, la notoriété et la reconnaissance publiques sont secondaires. C’est au quotidien qu’on reconnaît le héros. « La vie, le malheur, l’isolement, l’abandon, la pauvreté, sont des champs de bataille qui ont leurs héros ; héros obscurs plus grands parfois que les héros illustres. » écrit Victor Hugo dans Les Misérables.
« Il est plus difficile d’être un honnête homme huit jours, qu’un héros un quart d’heure. » Pour Jules Renard, vivre en incarnant des valeurs humaines au quotidien serait le réel héroïsme. L’acte héroïque en lui-même, sans pour autant lui ôter sa valeur, demande à être poursuivi chaque jour dans une attitude et une manière d’être au monde et à soi-même.
Héros ou idoles ?
Il n’y a pas de place pour les héros aujourd’hui car la place est prise ! La place est monopolisée par des stars du sport, du spectacle, des réseaux sociaux, de la téléréalité,.. Notre époque a remplacé les héros par les idoles et transformé l’héroïsme en spectacle.
Car notre société de consommation refuse les idéaux. La conception actuelle de la culture valorise aussi bien Shakespeare que la sublime paire de bottes ou le cheval de course génial nous dit Alain Finkielkraut dans La défaite de la pensée (2). « Nulle valeur transcendante ne doit pouvoir freiner l’exploitation des loisirs et le développement de la consommation ».
Le véritable héros est un empêcheur de tourner en rond dont notre époque ne veut pas entendre parler, de même qu’elle ne veut plus entendre parler de sacrifice ni d’idéaux. L’héroïsme implique le sacrifice, notion qui n’est ni flatteuse et n’a pas bonne presse ni bon impact marketing.
Le sens du sacrifice, et de l’honneur qui lui est associé, a glissé vers la fatalité et la passivité : on subit les circonstances. C’est ainsi que les héros peuvent devenir des victimes comme en témoigne l’interprétation de la mort du lieutenant-colonel Arnaud Beltrame en 2018, qui avait sacrifié sa vie pour sauver un otage. Un hommage polémique a transformé le héros en victime, évacuant le choix libre du courage et du dépassement de soi (3).
Pourquoi des héros ?
Pour les personnes qui travaillent dans l’éducation, au contact d’adolescents en quête de modèles, de dépassement, et de sens, il est visible que les héros des séries, des blockbusters ou des jeux vidéo, n’ont pas satisfait leur soif d’autre chose, à savoir une quête que nous pourrions qualifier d’existentielle.
Car notre époque, peut-être plus que les précédentes, a besoin de valeurs de références, qui sont incarnées par des héros.
Ce qui fait le héros est la qualité de son action, il agit et lutte au nom d’un idéal de justice. Il y a encore de la place aujourd’hui pour un tel idéal. Le héros peut devenir un modèle. « Si la raison d’agir du héros était tirée au clair, on y trouverait justice, paix, égalité, fraternité, humanité », écrit Alain (4).
Le héros force l’admiration par le spectaculaire de son action ou la pureté, c’est-à-dire la transparence, sans arrière-pensée, sans calcul, de son comportement. Il manifeste une force morale qui est un exemple.
Il y a toujours une place pour les exemples. Toute époque laisse vacante une place que peut occuper le héros, cet « homme de grande valeur, digne d’estime « dit Ronsard.
La personne dont l’exemplarité du comportement est reconnue par l’ensemble d’une communauté, pourra aider ce même collectif à investir dans la valeur humaine plutôt qu’en bourse ou en cryptomonnaie. Mais, s’il n’est pas reconnu comme tel, son action peut être ignorée et jouera difficilement un rôle pour raviver les esprits et les cœurs.
Le héros nous rappelle à notre humanité
Il y a une place pour l’héroïsme car il y a un besoin. La nécessité, entraîne l’action. Elle peut déclencher un sentiment d’urgence qui nous sort de la passivité. « L’héroïsme, c’est comme le soufflé au fromage : ça ne supporte pas d’attendre » dit Marcel Pagnol. Il y a un temps pour agir. Savons-nous voir le réel qui nous entoure et les nécessités de notre temps pour nous activer ?
En réalisant un acte héroïque, le héros nous rappelle à notre humanité. Il nous rappelle que chaque homme porte en lui un idéal de justice, de paix ou de bien. Être humain c’est vivre avec un idéal, c’est-à-dire avec des aspirations supérieures autres que notre propre intérêt personnel.
Nous avons besoin de héros !
En juin 2023, à Annecy, Henri, un jeune homme de 24 ans a arrêté un agresseur dans un parc où jouaient des enfants, Surnommé depuis « le héros au sac à dos » il a reçu des milliers de témoignages pour son acte héroïsme. Il déclarait dans une interview quelque temps plus tard : « Nous sommes une jeunesse condamnée à l’héroïsme ». Que nous révèle cet engouement ?
Nous avons besoin de nous redonner une boussole individuelle mais aussi collective pour relever les défis de notre période. Les héros du quotidien ou l’irruption des héros inédits dans un événement tragique, nous rappellent le Nord de la boussole.
« Si des sentiments comme l’honneur finissent par se tarir au point que le peuple oublie même qu’ils ont pu exister un jour, qu’il oublie que l’on meurt volontairement pour conserver l’honneur, préférant la mort à la honte, qu’il finisse par perdre l’habitude d’employer les mots qui se rattachent à ces sentiments, le sol qui donne naissance au héros sera devenu stérile », écrit Robert Redeker (5).
Nous avons besoin de héros aujourd’hui parce que l’adversité est grande, les défis nombreux, la désunion, la violence… comme en témoignent les récentes actualités.
Après la Seconde Guerre mondiale, Albert Camus disait : « Chaque génération, sans doute, se croit vouée à refaire le monde. La mienne sait pourtant qu’elle ne le refera pas. Mais sa tâche est peut-être plus grande. Elle consiste à empêcher que le monde se défasse ».