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PRATIQUES PHILOSOPHIQUES #11 Surmonter sa colère                                                                      

La colère est une émotion ambigüe : ne pensons-nous pas devant un événement injuste qu’il est normal d’être en colère ? D’autres vont affirmer que la colère, sœur obèse de l’indignation, est nécessaire pour faire changer les choses. Et d’autres enfin que la colère donne de l’énergie pour passer à l’action. La colère serait-elle alors une émotion acceptable, voire souhaitable ?

Eh bien non ! Au fond de nous-mêmes nous savons que nous emporter et sortir de nous-mêmes est l’expression d’une violence qui empoisonne nos relations. Que de paroles, voire de gestes, regrettés car exprimés sous le coup de la colère ! La colère nous échauffe, ce qui altère notre discernement (on voit rouge) et notre prise de décision. Bref c’est un poison. Et elle est parfaitement inutile pour changer les choses, car se mettre en colère est aussi vain que se fâcher contre la pluie.

Les philosophes nous ont enjoint à surmonter cette émotion négative, tout particulièrement Sénèque. Parce qu’il avait un frère colérique, il lui a écrit une sorte de traité de gestion de la colère (1). Pour commencer, afin de bien souligner combien la colère est néfaste, il fait un portrait saisissant de l’homme colérique : « Ses yeux s’enflamment, étincellent ; son visage devient tout de feu ; … ses lèvres tremblent, ses dents se serrent ; ses cheveux se dressent et se hérissent ; … il gémit, il rugit … ses pieds trépignent, tout son corps est agité ; … hideux et repoussant spectacle de l’homme qui gonfle et décompose son visage. »

Aller à la source

Comment surmonter notre colère qui semble surgir aussi naturellement et subitement qu’une tempête ? Il n’est pas facile d’arrêter une émotion, mais la pratique de la philosophie, tout entière dirigée à l’apprentissage de la maitrise de soi, peut nous y aider. 
La clé face à la colère est d’en identifier la cause profonde. Ce n’est pas, contrairement aux apparences, l’événement déclencheur, mais la façon dont nous nous nous le représentons. Sénèque affirme que ce sont les attentes non satisfaites qui déclenchent notre colère. Il écrit que « nous sommes fortement tourmentés par tout ce qui survient de contraire à nos espoirs et à nos attentes. » Nous sommes comme des enfants capricieux qui trépignent quand on ne se plie pas à leurs désirs. Sénèque est direct avec son frère : « tu surestimes ce que l’on te doit et tu sous-estimes ce que tu dois. » C’est là que doit porter l’effort : ajuster nos attentes à la réalité pour effacer le sentiment d’être lésé. 

Agir au quotidien 

Essayons donc de débusquer nos attentes, de les nommer et de les calibrer de manière plus réaliste. Ceci est autant valable pour nous-même que pour les autres. Plutôt que de se mettre en colère face à une injustice, canalisons notre énergie pour la réparer si cela dépend de nous.
Si la crise nous prend malgré tout, la posologie sera la suivante. Sénèque pense qu’il existe un moment, au début, où nous avons la main pour dire « stop ! » à la montée de l’émotion. Essayons de nous saisir de cet instant en nous rappelant que la colère est néfaste et vaine. 

Si nous n’y parvenons pas et que nous avons été pris par la colère l’urgence est… d’attendre ! Ne plus rien dire, ni faire et surtout ne rien décider ! Sénèque nous dit qu’alors « la passion initiale… peut s’éteindre et le brouillard qui obscurcit l’esprit se dissiper. »  

Et pour finir, ne surtout pas effacer l’épisode et passer à autre chose. Faire plutôt un retour sur soi, car, nous dit Sénèque, « nous nous prémunirons de la colère si, de façon répétée, nous regardons toutes nos fautes commises par elle ».

(1) Sénèque, Dialogues, Tome 1, De la colère, Éditions les Belles lettres, texte traduit par Abel Bourgery, 2022 
Isabelle OHMANN
Rédactrice en chef de la revue Acropolis
© Nouvelle Acropole
La revue Acropolis est le magazine de l’école de philosophie Nouvelle Acropole

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