Le corps et l’âme
Sculptures italiennes de la Renaissance
De Donatello à Michel Ange
Cette exposition (1) riche de 140 œuvres présente la sculpture italienne de la seconde moitié du XVe siècle et du début du XVIe siècle, période considérée comme l’apogée de la Renaissance. La représentation de la figure humaine prend des formes novatrices accentuant la présentation des sentiments.
On part de Donatello, un des premiers à avoir réhabilité l’art antique en pleine redécouverte à l’époque et on finit par quelques œuvres de Michel Ange, le grand génie de la Renaissance. Mais l’exposition découvre également d’autres auteurs de différentes régions d’Italie pour montrer la richesse des productions et des échanges entre elles. C’est une époque trouble pour l’Italie, entre les guerres d’Italie qui opposent les Principautés et États locaux aux grandes monarchies, comme la France et à la fin le Saint-Empire romain germanique.
Mais, l’art et la beauté apparaissent comme un rempart face aux incertitudes et instabilités de l’époque. La vision néoplatonicienne, développée avec l’Académie néoplatonicienne de Florence, inspire toujours la quête d’un idéal de perfection dans les œuvres et alterne avec le pragmatisme et réalisme de Machiavel qui porte un regard désenchanté sur la situation de son temps.
« La Grèce conquise conquit son farouche vainqueur » disait Horace. L’Europe de la Renaissance sera, après 1494, une Italie en grand – soit un système d’États concurrents et prospères vivant sous l’empire du latin des humanistes, et ayant adopté comme langue du politique, en matière de théories du pouvoir, mais aussi d’arts visuels, celle d’une Italie qu’ils avaient balayée par leurs « nouvelles et sanglantes façons de guerroyer » (2).
L’exposition est structurée autour de trois parties : La fureur et la grâce ; Émouvoir et convaincre ; De Dionysos à Apollon.
L’exposition se concentre sur l’interprétation de l’être humain à travers la sculpture et la peinture. Avec une nouvelle lecture de l’Antiquité classique, ils explorent la représentation la plus parfaits des corps, mais surtout pour révéler par le mouvement, les sentiments les plus profonds et les plus intimes. Ils représentent le corps au repos, en mouvement, luttant, rêvant, et mettent en valeur les émotions et les passions de l’âme tant dans le domaine sacré que dans le domaine profane.
Michel Ange occupe une place toute particulière car, selon Vasari, il atteint l’accomplissement de la buona maniera. Sa domination de la nature et l’Antiquité, du passé et du présent marque le statut unique de Michel Ange.
En regardant les antiques : la Fureur et la grâce
Les compositions complexes traduisent la force et l’exaspération des mouvements du corps, inspirés des modèles antiques, mettant en jeu autant la force et les torsions du corps masculin que l’effet expressif des plus intenses passions de l’âme, comme à travers les œuvres d’Antonio de Pollaiolo, Hercules étouffant le géant Antée.
A contrario, les drapés élégants entourant des corps généralement féminins, permettent de révéler le charme de la figure humaine qui débouche sur la représentation utile de la grâce à travers le nu, dont les trois Grâces sont l’expression suprême.
Si les scènes de lutte expriment surtout la fureur, la délicatesse des démarches et des gestes qui rappellent les nymphes antiques, accentuent l’image de la grâce.
Mais la fureur n’est pas réservée qu’aux hommes, car ce sentiment se dégage également de représentations de Judith brandissant son épée et du rapt dionysiaque qui emporte ménades et bacchantes.
L’art sacré : pour émouvoir et convaincre
Surgit une volonté affirmée de toucher violemment, dans les représentations sacrées, l’âme du spectateur. Autour de 1450, l’émotion et les mouvements de l’âme prennent une place déterminante au cœur des pratiques artistiques. Un véritable théâtre des sentiments se déploie en Italie du Nord entre 1450 et 1520. Cette recherche du pathos religieux s’incarne également dans les émouvantes figures de Marie-Madeleine ou de saint Jérôme qui fleurissent en Italie à cette période.
Le thème de la Passion du Christ permet à Donatello, dans les années 1450, à Padoue puis en Toscane, de déployer sa pleine maîtrise du traitement des émotions dans un langage plastique où le drame humain est rendu avec une expressivité toujours plus vive, dans les visages comme dans les gestes.
De Dionysos à Apollon
La réflexion inépuisable sur l’Antiquité classique s’exprime à travers les œuvres élaborées à partir de modèles classiques comme le Tireur d’épine ou le Laocoon (dont la découverte en 1506 à Rome provoquera un impact puissant chez de nombreux artistes).
Au commencement du XVIe siècle apparaît le « sublime » mettant en place un nouveau classicisme sous l’impulsion de Raphael et de Michel-Ange. Michel-Ange opère cette synthèse formelle qui intègre à la fois la connaissance scientifique des corps, un idéal absolu de beauté et la volonté de dépasser la nature et l’art.
Cette recherche l’emmène à créer les Esclaves (Louvre) pour parvenir jusqu’à l’expression de l’ineffable dans ses œuvres.
Les deux Esclaves incarnent les types idéaux apollinien et herculéen. Alors qu’ils ont été conçus comme des trophées symbolisant les victoires de Jules II, Michel-Ange les représente comme des allégories de la lutte âpre et sans espoir de l’âme humaine contre les chaînes du corps.
L’Esclave mourant, assoupi ou même endormi, résume à lui seul l’aboutissement du classicisme antiquisant du début du 16e siècle : stabilité de la figure, harmonie des formes, conception «apollinienne» du corps masculin où la souplesse des contours s’allie à la puissance de la musculature.
À l’inverse, L’Esclave rebelle, figure athlétique, par son mouvement légèrement tournoyant, inscrit la figure dans une dynamique ascendante : l’être humain, malgré ses liens, tourne son regard vers le monde céleste. Il annonce la «ligne serpentine» qui s’épanouira plus tard avec le maniérisme.
L’un évoque la vie de l’âme qui cherche à se libérer des entraves de la forme, comme la puissance dionysiaque qui traverse les formes apolliniennes.
Quelques œuvres de l’exposition
Hercule étouffant le géant Antée- Antonio del Pollaiolo
Cette sculpture présente toute la tension et la souffrance nées du combat. Sa signification allégorique est celle du combat de la vertu contre le vice. Elle exprime la fureur inspirée du pathos de l’art classique.
Deux anges volant – Andrea del Verrochio et atelier
Cet ange avec sa tunique flottant au vent rappelle les drapés antiques et le souffle de l’esprit. Il est l’expression de la grâce.
Les Trois Grâces – corps romains avec têtes de la Renaissance
Elles représentent les Charites, filles de Zeus et d’Eurynome qui personnifient par leur charme la beauté, les arts et la fertilité. Elles reprennent le canon du nu féminin classique créé par Praxitèle et inspireront de très nombreuses œuvres à partir de la Renaissance.
Scène antique dite « La Bacchante en délire » ou Cassandre – Artiste de Vénétie
La scène représente Cassandre se refugiant auprès du Palladion, la statue sacrée d’Athéna, mais son geste avec la tête renversée en arrière rappelle les images des Bacchantes. Son attitude dramatique est une autre expression de la fureur mais aussi de la peur au féminin.
L’âme juste récompensée après la mort – Bartoldo di Giovanni
Elément de la frise représentant le Destin de l’âme inspirée du mythe d’Er le Pamphylien (Platon, La République). Elle fut commanditée par Laurent le Magnifique. Astrée, drapée avec élégance, d’un geste éloquent, lance l’âme juste vers l’Empirée mérité.
Le Christ mort soutenu par trois anges – Atelier de Vénétie (?)
Inspirée de l’iconographie byzantine, Jésus mort est figuré en buste, la tête penchée sur sa droite et trois anges le soutenant tout en pleurant. Tout comme les larmes dorées qui coulent sur le visage des anges, le sang qui rappelle la souffrance du Christ constitue un appel à la compassion des fidèles.
Sainte Marie Madeleine pénitente – Andrea della Robia
Son corps est couvert par sa longue chevelure ondulée qui se noue à sa ceinture. Son visage émacié est marqué par de profondes rides et légèrement incliné vers la droite.
Ces œuvres expressionnistes témoignent des aspirations ascétiques et réformistes de Savonarole qui imposaient aux expressions artistiques une dimension édifiante et exemplaire. Sous son influence, quelques artistes sont passé à un style plus dépouillé et sévère.
Tireur d’épine – Jacopo Tatti, dit Sansovino
Cette œuvre est une des innombrables adaptations de la statue romaine du même sujet retrouvée à la Renaissance. Elle témoigne de l’impact de l’art antique et devient l’excuse pour représenter de façon plus ou moins réaliste le corps humain en exploitant toutes les potentialités.
Laocoon – Urbino
Cette coupe reprend le motif du prêtre Laocoon et ses fils assaillis par les serpents. La découverte tout à fait exceptionnelle à Rome en 1506 d’un groupe sculpté extraordinaire du même sujet en fit un des thèmes préférés des artistes de l’époque.
Christ à la colonne – Cristoforo Solari dit il Gobbo
Cette représentation est d’un classicisme d’inspiration archéologique et témoigne de sa connaissance de Léonard et des courants les plus modernes d’Italie centrale avec un Christ aux allures herculéennes.
Bacchus et Arianne – Tullio Lombardo
Cette œuvre exprime le classicisme vénitien, inspirée par le modèle des camées antiques avec les deux bustes sculptés en relief sortant d’un fond uni. Il peut représenter un couple mythique, tel Bacchus et Arianne dans une atmosphère rêveuse et sensuelle. Les bouches ouvertes évoquent un environnement musical dont le son éphémère est capté par le marbre éternel et où les vers récités avec brio par un poète musicien couronné de lierre subjuguent la jeune femme.
L’Esclave mourant et L’esclave rebelle – Michel Angelo Buonarroti, dit Michel-Ange
Ces figures devaient faire partie du mausolée de Jules II dont la construction fut abandonnée avant sa réalisation. Outre les explications déjà données dans l’article, une autre version évoque la représentation de l’humanité prisonnière dans la caverne de Platon (La République), incapable d’accéder aux réalités spirituelles.