Écologie-Nature

L’eau, le nouvel or bleu ?

L’eau, dans les années à venir risque de devenir rare pas seulement en raison du dérèglement climatique mais également des actions humaines qui défient le bon sens.

La sécheresse et les fortes températures de cet été ont fait prendre conscience au public (et semble-t-il aussi aux dirigeants de ce pays) que notre équilibre de vie était affecté, non plus seulement par le pouvoir d’achat, le prix de l’essence ou un virus, mais par une situation où la nature meurt, les incendies se déclenchent, et où la population peut manquer d’eau potable comme dans certaines communes.

Néanmoins si la prise de conscience est récente, cette situation n’est que la conséquence d’un certain nombre de problématiques, dont toutes, loin de là, ne sont pas liées au changement climatique.

Le réchauffement climatique a bon dos

Pourquoi les nappes phréatiques ne se remplissent plus comme avant ? Une moindre pluviométrie en est-elle la seule cause ? 
Comment peut-on expliquer aux populations ayant subi depuis ces dernières années des inondations sans précédent que les nappes ne peuvent se reconstituer à ce point ?

Le réchauffement climatique a bon dos. En réalité, outre la bétonisation des villes, autoroutes, parkings, routes et autres effets de l’urbanisation sans limites, depuis 50 ans, les agriculteurs ont également contribué, malgré eux, à « bétonner » leurs champs. Et ce sont des surfaces infiniment plus vastes que l’emprise urbaine même si cette dernière devient excessive.
Avec la « Révolution Verte » des années 70, et les encouragements à l’augmentation des rendements par une mécanisation jamais vue du travail agricole, les paysans sont devenus des exploitants agricoles, ouvriers sur d’énormes engins qui tassent la terre et la compactent, en même temps que chimistes sur des terres dont on a supprimé toute végétation par le remembrement et les herbicides.
La terre a été labourée de plus en plus profondément, créant un socle imperméable en sous-sol. La terre superficielle coupée par les « pales » qui ont remplacé le petit soc de la charrue, est devenue tout aussi lisse et dépourvue de porosité du fait de la destruction mécanique et chimique des formes de vies qui l’aérait en profondeur. Le battant des pluies n’a ensuite qu’à rendre la surface de la terre totalement imperméable. 

Éviter sécheresse et inondations ?

Une terre non travaillée est poreuse. Une prairie ou une forêt ne connaît jamais d’érosion. L’eau de pluie s’infiltre immédiatement dans cette épaisse « moquette » que constitue l’humus. Les racines des arbres et l’important réseau de champignons et de mycorhizes (1) font pénétrer l’eau en profondeur jusqu’à la nappe phréatique. S’il y a trop d’eau, celle-ci s’écoule vers les rus et les rivières, limpide car elle n’apporte pas avec elle de terre, le tissu mycorhizien rendant la terre compacte et l’empêchant de se dissoudre facilement. 
Les rivières ont une eau transparente, et ce n’est qu’exceptionnellement que des cours d’eau peuvent déborder, par effet conjugué de fortes pluies et de fontes des neiges.

Par contre, depuis quelques décennies, nous voyons à chaque averse des rivières et des fleuves de couleur marron, entraînant la terre des champs qui a été lessivée par la pluie. Les champs laissés à nu pendant les intersaisons, qui correspondent souvent aux saisons pluvieuses, ne peuvent rien absorber. La terre nue, du fait de la battance de l’averse devient imperméable (alors qu’une simple couverture végétale lui aurait restitué sa capacité d’absorption). Et si cela ne suffisait pas, le labour en grande profondeur aura rendu la terre elle-même lisse et imperméable sur plus de 50 cm de profondeur.

Ainsi, nos pratiques modernes de gestions des territoires naturels produisent un quadruple fléau : une érosion massive des terres agricoles, une pollution des rivières et des mers par les multiples produits chimiques qu’ils contiennent, des inondations des villages situés sur le passage des coulées de boues (on ne peut plus parler de rivières), et finalement, une reconstitution très appauvrie des nappes phréatiques.

La limite de l’eau douce

Les scientifiques du Stockholm Resilience Centre (2) ont défini en 2009, neuf paramètres exprimant les limites planétaires à ne pas franchir pour assurer la survie de l’humanité dans de bonnes conditions. Nous en avons déjà dépassé six sur les neuf. Parmi celles-ci la limite relative à la disponibilité de l’eau douce. 
Jusqu’à présent, le cycle de l’eau douce représentait une limite à part entière. Or cet indicateur de l’état de santé de l’environnement prenait seulement en compte les prélèvements en eau douce et la qualité de cette ressource. Il s’agit de « l’eau bleue » qui regroupe l’eau de surface, des nappes phréatiques et des rivières. 
Les scientifiques proposent désormais d’affiner ce paramètre en prenant en compte « l’eau verte », celle qui est stockée dans le sol et la biomasse par les végétaux et les moisissures, qui se traduit par l’humidité du sol, et qui est absorbée et « évapotranspirée » par les plantes et retourne directement à l’atmosphère. Cette « eau verte » représente la plus grande quantité d’eau, puisqu’elle totalise 60% de la masse des précipitations. Ces scientifiques demandent la création et l’ajout d’une 10e limite planétaire portant sur « l’eau verte » qui, à peine conceptualisée, est dépassée.
Comme la politique de l’agriculture intensive a impliqué depuis les années 70 de déraciner de multiples arbres, haies, etc. pour augmenter la surface arable, les arbres, arbustes ne sont plus là pour maintenir la terre, ni pour maintenir l’humidité de celle-ci, la fameuse « eau verte » qui nous manque désormais de plus en plus.

Une maladie de la modernité

Le mode de civilisation « moderne » choisi par tous les systèmes politiques au monde aujourd’hui a pour base commune une vision prédatrice de la nature, considérée comme notre fournisseur et substrat à exploiter. Dans la vision mécaniciste qui la caractérise, les systèmes complexes, de synergies multiples à moyen et long terme n’ont pas leur place ; seules, des motivations d’exploitation et des relations binaires de cause à effet à court terme sont intégrées. 
Malgré les avertissements de bon nombre de scientifiques, dont Jean-Marc Jancovici (3) n’est pas aujourd’hui l’un des moindres, on met en œuvre toujours « davantage de la même chose » pour sortir des problèmes que cette situation a créés, ce qui est absurde comme l’exprimait déjà Einstein à son époque pour signifier son doute sur l’avenir.
Nous vivons un moment de l’histoire de l’humanité que celle-ci n’a jamais vécu à l’échelle globale : la prise de conscience de son impact désastreux sur l’environnement et ses conséquences sur sa propre survie. Certaines civilisations ont disparu pour les mêmes raisons, mais d’autres sont apparues. La nouveauté est dans la dimension « globale » de notre problème de civilisation.

Il est urgent de se tourner vers un nouveau paradigme…

(1) Symbiose entre un champignon et une plante
(2) Centre de recherche sur la résilience et la science de la durabilité de Stockholm. Émanant de l’université de Stockholm, Il agit conjointement  avec l’Institut Beijer d’économie écologique de l’Académie royal des sciences de Suède, sur la gestion des écosystèmes et le développent durable et équitable à long terme
(3) Né en 1962, ingénieur engagé dans la lutte contre le réchauffement climatique, créateur du bilan carbone qu’il a développé au sein de l’ADEMA (Agence de l’environnement et de la maîtrise d’énergie) et auteur de livres
https://jancovici.com
par Jean-Pierre LUDWIG
Président de l’association EPONA (Expérimentation pour une Nouvelle Agriculture)
exposait photos
© Nouvelle Acropole
La revue Acropolis est le journal d’information de Nouvelle Acropole

Par Jean-Pierre LUDWIG

Président de l’association EPONA (Expérimentation pour une Nouvelle Agriculture)

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