Philosophie

La paix intérieure, la paix extérieure sont-elles possibles ? 

Le 24 Février 2022, La Russie envahissait l’Ukraine, déclenchant la guerre entre les deux nations. Un an plus tard, les combats continuent. À quand la paix ?  Quelles sont les conditions de la paix ? Une réflexion toujours d’actualité que Jorge Angel Livraga avait déjà menée en 1985, lors d’une conférence donnée à Madrid.

Tout d’abord, il serait bon de savoir ce qu’est la paix. Certaines personnes pensent que la paix est l’immobilité, le fait de ne pas bouger. Mais imaginez un homme pris, lors d’une grande catastrophe, dans un amas de décombres. L’immobilité n’est certainement pas la paix pour lui. Parfois, les gens pensent que la paix est le fait de pouvoir travailler. C’est peut-être le cas, mais ce n’est pas non plus quelque chose à laquelle ils peuvent s’identifier. La paix est quelque chose de beaucoup plus profond, une attitude intérieure.

La paix intérieure

Pour parler de la paix dans le monde, nous devrions commencer par parler de la paix dans l’homme. […] Pour atteindre une paix vraiment intérieure, nous ne pouvons pas la chercher dans le calme ou dans le mouvement, mais dans une juste mesure, basée sur une véritable harmonie universelle, dans laquelle l’homme ne soit pas considéré comme un élément isolé, ennemi de l’homme et de la Nature, mais comme l’ami de tout. Et un ami n’est pas celui qui partage une table mais celui qui est à côté de nous. Comme le disaient les anciens Romains, c’est celui qui est en concorde, cœur à cœur.
Nous devons donc savoir que pour atteindre cette paix intérieure, nous devons être en harmonie avec nous-mêmes. Il existe en nous, de façon naturelle […], une certaine harmonie, que nous brisons et polluons par notre mode de vie. Nous devons rechercher l’harmonie intérieure, et c’est assez facile, si nous nous appliquons à l’atteindre. […]

L’amour permet de trouver le sens des choses

Il est préférable d’aimer que d’être aimé. Il vaut mieux être une source qui donne qu’un puits qui reçoit. Il est préférable d’offrir, de donner, d’avoir la capacité d’aimer sans calculer au préalable ce que cet amour doit nous rapporter. Alors quelque chose s’éveille en nous et nous comprenons notre environnement. Nous comprenons l’oiseau, la montagne, le vent, et aussi nos frères et sœurs humains ; nous comprenons les différents moments de l’histoire par lesquels l’humanité est passée ; nous comprenons, de manière pacifique, toute la sagesse du monde, qui est le fruit de Dieu, et l’harmonie universelle dans laquelle toutes les choses sont unies, qui est aussi le fruit de Dieu.
[…] La paix intérieure, c’est pouvoir se retrouver, reconnaître que dans cette grande sagesse divine, nous ne sommes pas tous nés pour la même chose, et que chacun a son propre chemin, son propre destin, sa propre nourriture, son propre vent et sa propre façon d’être et de s’exprimer.
[…] Pour cette paix intérieure et individuelle, ni les livres ni les conférences ne suffisent ; mais il faut observer la Nature, observer l’eau, le feu, observer le vent et les montagnes. Pour comprendre l’Être au cœur de l’homme, il n’est pas nécessaire d’avoir de grandes connaissances , il faut aller au fond des choses et trouver le sens de tout ce qui nous entoure et de tout ce que nous portons en nous-mêmes.

La paix collective

Est-il également possible d’obtenir une paix collective, une paix universelle ? C’est encore plus difficile. Obtenir une paix universelle implique que tous les peuples du monde soient pacifiques. Si tous les hommes du monde ne sont pas pacifiques, ou du moins pas ceux qui sont au pouvoir, le monde ne sera pas pacifique non plus. Il ne suffit pas de faire de grands discours sur les avantages de la paix. […]Comme à tant d’autres peuples du monde, on nous a transmis de nombreuses théories et de nombreux projets, mais en fin de compte, notre pouvoir d’achat ne cesse de diminuer et l’insécurité publique augmente progressivement ; les difficultés entre les personnes elles-mêmes sont plus grandes, et les menaces qui planent sur nous sont plus effrayantes. Il ne s’agit plus d’un couteau en silex ou d’une hache en bronze, ni d’une épée, ni même d’un fusil ; on parle maintenant de guerres de type galactique, de rayons laser qui tuent au lieu de guérir, d’étranges satellites espions qui tentent de déstabiliser tout ce qui est construit dans le monde, de gaz toxiques, de défoliants qui arracheraient les feuilles des arbres et plongeraient le monde dans une sorte d’hiver perpétuel. Ces menaces, bien sûr, ne peuvent nous conduire à la paix. Le travail politique, collectif et social doit commencer chaque jour par un travail pédagogique. Nous ne pouvons pas rêver d’utopies, nous ne pouvons pas croire qu’à cause de ce que nous disons, le monde deviendra pacifique…
Nous pensons que la paix extérieure, la paix collective, passe nécessairement par la paix intérieure.
Tant qu’il y aura des gens égoïstes, qui s’accrochent aux biens matériels, il y aura de l’exploitation dans le monde. Tant qu’il y aura des gens qui haïront les autres simplement parce que leurs yeux sont d’une autre couleur, ou parce qu’ils ne leur sont pas sympathiques, il y aura du racisme dans le monde. Tant qu’il y aura des gens qui, au lieu de répondre aimablement et avec des arguments logiques, au lieu de comprendre l’autre, le frappent ou lui donnent des coups de pied, il y aura de la violence dans le monde. Tout cela, ce sont des épreuves que nous devons affronter, et nous ne pouvons pas penser à élaborer un décret de pacification du monde ; nous avons déjà vu ce qu’engendrent les bons décrets ou ce qu’a réussi la Société des Nations à Genève.

Recréer un monde différent

Nous devons créer un nouveau monde, recréer un monde différent. Cette recréation d’un monde différent, d’un monde nouveau, dépend de chacun d’entre nous. D’où notre valorisation de l’individu, non pas de l’individu égoïste, de l’individu qui ne vit que pour lui-même, mais de l’individu qui peut se réaliser dans la coexistence avec les autres, qui peut tendre les bras, non seulement comme une bénédiction, mais aussi fraternellement, de sorte qu’il ne se limite pas à partager son manteau avec un autre, mais, si nécessaire, le lui donne entièrement.
Peut-être avons-nous encore besoin de revisiter le précepte « Aime ton prochain comme toi-même ». Peut-être devrions-nous aimer notre prochain plus que nous nous aimons nous-mêmes, parce qu’il y a sans doute des personnes qui ont besoin de plus d’amour que nous. Parce que certains d’entre nous sont forts ou jeunes, ou ont un pouvoir social ou économique, mais beaucoup d’entre nous n’en ont pas. Et il y a ceux qui n’ont rien de plus qu’une main tendue qui demande et avec eux, nous devrions avoir plus d’amour que nous en avons pour nous-mêmes.

L’amour, l’arme la plus puissante

[…] Peut-être que cette arme est plus forte que toutes les autres. Peut-être qu’aucun missile ne peut changer le monde. Et si un sourire ou une attitude différente pouvait le changer ? …
Nous devons essayer de sortir de l’asile de fous, nous devons essayer de revenir simplement à une attitude de bon sens et humaine. Il ne suffit pas de lire, même si cela peut être bon. Nous avons aussi besoin d’une attitude personnelle, d’un contact humain, d’un peu d’amour entre nos mains, et d’une attitude naturelle envers les autres, envers la Nature ; nous avons besoin que les animaux ne s’enfuient pas quand ils nous voient arriver, que l’homme ne soit pas l’ennemi de toutes les choses, qu’il ne pollue pas l’air, ne pollue pas la terre ; que l’homme soit un être de plus dans la Nature ; peut-être son roi, mais en tant que roi, qu’il soit au service de tous ; peut-être son père, non pas parce qu’il crie, mais parce qu’il sait apporter le petit cadeau, le sourire, le mot, sans avoir besoin de se glorifier pour être reconnu.

[…] Nous trouverons alors la paix intérieure et nous travaillerons à cette paix extérieure qui, même si elle ne semble lointaine, mérite qu’on y travaille. On ne travaille pas à la paix par des manifestations dans la rue, mais en en manifestant réellement ce que nous ressentons dans le cœur.
Nous pouvons aimer les hirondelles, les pierres, les hommes, le vent, les vieux drapeaux, les vieilles gloires, mais la paix est nécessaire. Et cela est possible si nous sommes capables de découvrir dans l’air du printemps ces signes de Dieu que sont les hirondelles ; si nous pouvons découvrir au milieu de l’eau qui tombe avec un murmure, les fils blancs de l’écume et leur chant quand ils s’entrechoquent, et la verticalité de la flamme. Nous aurons la paix, parce que la paix naît de notre propre guerre intérieure, de notre effort et de notre action, de notre amour.

Heureux ceux qui peuvent ressentir cet amour. Heureux ceux qui sont porteurs de la paix. Heureux ceux qui ont le courage de dire que la paix est fondamentale pour toutes choses, quel que soit le prix que nous devons payer pour l’obtenir. […]

Extraits d’une conférence donnée à Madrid, novembre 1985
Texte complet (en espagnol) : https://biblioteca.acropolis.org/paz-interior-paz-exterior-son-posibles/
N.D.L.R. Le chapeau et les intertitres ont été rajoutés par la rédaction
Jorge Ángel LIVRAGA
Fondateur de Nouvelle Acropole dans le monde

À lire

De guerre en guerre
De 1940 à l’Ukraine
Edgar MORIN
Éditions de l’Aube, 2023, 104 pages, 14 €
L’auteur met en évidence dans son dernier essai, les dangers de la radicalisation du conflit Russie contre Ukraine. Il montre, à travers l’histoire de ces deux pays, depuis le XIXsiècle jusqu’à nos jours, qu’il ne faut pas regarder ces deux pays comme « l’agresseur » et « l’agressé ». Les évènements  historiques liés aux deux pays sont complexes. Et la désinformation de nos médias et la propagande russe ne permettent pas la contextualisation du conflit. Cette guerre révèle des crises importantes : la crise écologique, la crise économique, la crise des civilisations, la crise de la pensée. Peut-on compter sur l’intelligence et l’humanité de nos dirigeants pour stopper cette dangereuse montée en puissance ? 
© Nouvelle Acropole
La revue Acropolis est le journal d’information de Nouvelle Acropole

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