Agriculture naturelle : cultiver la nature et l’homme
Redécouvrir la nature pour mieux la cultiver ! Voilà l’exhortation à laquelle se livre Masanobu Fukuoa, agriculteur et philosophe japonais du début du XXe siècle, pionnier largement reconnu comme visionnaire dans le domaine de l’agriculture durable.
C’est une approche innovatrice de l’agriculture et de la vie en elle-même, que Masanobu Fukuoka propose dans son ouvrage La révolution d’un seul brin de paille, Une introduction à l’agriculture sauvage (1), écrit dans les années 1975, mais d’une brulante actualité. Il y remet en question les méthodes conventionnelles de l’agriculture moderne, en affirmant qu’une intervention minimale de l’homme et une compréhension des processus naturels peuvent produire des récoltes abondantes et saines.
Retrouver l’harmonie entre l’homme et la nature
Né en 1913 dans une ferme de l’île de Shikoku au sud du Japon, Masanobu Fukuoka commence sa vie professionnelle en tant que microbiologiste. C’est vers 1935, au cours d’une période de désillusion face aux pratiques agricoles modernes et aux normes sociétales, qu’il a une révélation : celle de l’inutilité de l’action humaine, seule la nature fait bien les choses.
Quelques années plus tard, à la suite d’une expérience ratée dans la ferme de son père, il redevient technicien avec la mission d’augmenter la production alimentaire en temps de guerre. Pendant huit années, il réfléchit sur les préceptes de l’agriculture scientifique et de l’agriculture naturelle. C’est là que se dessine sa mission de vie : atteindre l’harmonie entre la vie humaine et le monde naturel. « Donner une forme à mes pensées, les mettre en pratique, et ainsi déterminer si mon discernement voyait juste ou faux. Passer ma vie dans l’agriculture, à faire pousser du riz et des céréales d’hiver – ce fut le parti que je pris. »
C’est seulement à la fin de la guerre, qu’il retourne dans son village natal pour y mettre en pratique ses idées sur l’agriculture naturelle.
Découvrir les lois naturelles
Dans son livre, Masanobu Fukuoka se décrit à de très nombreuses reprises comme observant et admirant l’activité de la nature. Loin d’être une vague rêverie cette observation des écosystèmes lui révèle l’interdépendance de tous les êtres vivants et l’impact néfaste de l’intervention humaine sur les processus naturels. Il prône un retour à des méthodes plus simples mais cependant efficaces.
C’est ainsi qu’il formula la méthode de l’agriculture naturelle autour de quatre grands principes : ne pas cultiver (labourer) ; ne pas utiliser de fertilisant chimique ou de compost préparé ; ne pas désherber avec cultivateur (outil mécanique) ni avec herbicides ; ne pas dépendre des produits chimiques (2). Il mettait l’accent sur une intervention humaine minimale et la relation symbiotique entre les plantes, les animaux et le sol.
Il affirmait ainsi être capable de produire de meilleurs rendements avec moins d’efforts et sans nuire à l’environnement. Selon lui, comprendre et respecter les processus naturels permettait à la nature devenir plus résiliente, de protéger la biodiversité, tout en intervenant de manière minimale. Travailler avec plutôt que contre la nature, tel est le secret de l’abondance.
Un agriculteur philosophe
Cette méthode radicale va au-delà de la simple agriculture ; c’est une véritable philosophie de vie, un appel profond à repenser notre interaction avec l’environnement et à vivre nos vies, en plaidant pour une existence plus durable, consciente et holistique.
Le livre peut paraître inorganisé, peut-être comme un jardin d’agriculture naturelle, ses 39 chapitres décrivant tout à la fois les actions et leur succession dans le temps et des réflexions philosophiques.
Il plaide tout d’abord pour une meilleure observation de la nature, de ses processus et de ses cycles pour, en s’inspirant de leur sagesse, développer les meilleures méthodes de culture. Loin de vouloir se débarrasser des prédateurs, il encourage un équilibre qui permet aux écosystèmes de s’autoréguler. « La nature, laissée à elle-même, est en parfait équilibre. » De même la matière organique (d’où le titre de l’ouvrage : un brin de paille) permet aux sols de se régénérer naturellement.
De tout cela l’homme sera le direct bénéficiaire à travers ce qu’il trouvera dans son assiette. L’agriculture naturelle lui prodiguera force et santé.
L’agriculture du vivre ensemble
L’agriculture naturelle est vivifiante pour les communautés humaines. Elle encourage le travail collectif et solidaire. Travailler la terre, produire de la nourriture sont des pratiques unificatrices, qui développent la responsabilité et le partage. Ainsi l’agriculture naturelle a le pouvoir de réunir là où les techniques modernes séparent et isolent.
De plus le travail direct avec la nature permet de rester en contact avec ses principes fondamentaux, comme la loi des cycles ou l’interdépendance de tous les êtres vivants. Ainsi l’agriculture naturelle a une valeur éducative irremplaçable. « La vie à la ferme est une école de patience ; on ne peut pas précipiter les récoltes ni fabriquer un bœuf en deux jours. »
Voir et comprendre
Pour Fukuoka, l’humanité ne connaît pas la nature car celle-ci dépasse la portée de l’intelligence humaine rationnelle.
Seuls les enfants voient la nature vraie. C’est l’idée de la connaissance discriminante, l’intellect « fragmentaire et incomplet » qu’il faut abandonner pour que « la connaissance non discriminante lève en lui ». « On ne peut jamais atteindre une véritable compréhension uniquement par le biais du savoir intellectuel ».
L’auteur montre aussi l’importance de l’acceptation : accepter de faire de multiples erreurs avant de réussir, accepter l’idée que l’homme ne peut pas faire mieux que la nature.
Les fruits et légumes créés par l’homme satisfont « les désirs passagers des gens » mais bénéficient moins au corps humain. « L’extravagance du désir est la cause fondamentale qui a conduit le monde à sa difficile situation actuelle. »
Les tout derniers chapitres posent des questions profondes sur la relativité des choses, la place de l’être humain dans l’univers, la place et l’utilité de la science …
La philosophie du « ne rien faire »
Pour conclure, nous vous offrons quelques lignes de l’auteur inspirées par la philosophie bouddhiste et taoïste et également par Gandhi.
« Large, l’agriculture Mahayana [appellation créée par l’auteur] se produit d’elle-même quand une unité existe entre l’homme et la nature. Elle se conforme à la nature telle qu’elle est et à l’esprit tel qu’il est.
Elle procède de la conviction que si l’individu abandonne temporairement la volonté humaine et permet à la nature de le guider la nature répond en lui fournissant tout. […]
L’agriculture sauvage pure… est l’école du sans-coup. Elle ne va nulle part et ne cherche pas de victoire. Mettre en pratique le non agir est la seule chose que l’agriculteur doit tâcher d’accomplir. Lao-Tseu parlait de la non-active nature […] la voie de Gandhi, une méthode sans méthode, agissant dans un état d’esprit qui ne cherche ni à gagner ni à s’opposer, est apparentée à l’agriculture sauvage.
Quand on comprendra qu’on perd joie et bonheur en essayant de les posséder, on réalisera l’essence de l’agriculture sauvage.
Le but ultime de l’agriculture n’est pas de faire pousser des récoltes, mais la culture et l’accomplissement des êtres humains. » (3)